« C’est quoi ça? »
« Ça, c’est 850 livres. »
« On s’était mis d’accord sur 1300. »
« Les prix ont changé. »
« Tu… » Joni soupira. « Je suis le vendeur, je vends le produit, je décide du prix. Tu peux pas juste changer le prix parce que ça t’arrange mon gros! »

Et gros il l’était, ce pourquoi notre bonhomme aurait peut-être mieux fait de le définir d’une autre façon. Une façon plus polie… qui donnait moins envie de lui défoncer sa petite tête d’emmerdeur.
Malheureusement, ce n’était pas le genre de pensée qui traversait bien souvent l’esprit de Jonathan.

« C’est 1300, sinon tu peux peut dire adieu à ta salive de bhrochat’nu! »

Savait-il seulement à quel point c’était difficile à trouver? Et à collecter!
Oui bon ok, dans les faits, Jon ne le savait pas non plus parce qu’il n’était pas le collecteur de l’histoire, uniquement le vendeur, mais selon la dégaine crasseuse et puante de Marsh et Roxy quand ils étaient revenus de la pêche à la salive, ça n’avait pas été de tout repos!
Tirant son précieux flacon de salive vers lui, le pourvoyeur de substances démoniaques en tous genres comptait tenir bon cette transaction. De toute manière, ce n’était pas comme s’il était d’un naturel généreux lorsqu’il était question d’argent.
Plus, toujours plus, dans ses poches!

Dans cette scène, il n’y avait qu’un seul problème et c’était ledit gros. Qui, en plus d’être gros, était du genre grand – remarquez, il ne fallait pas être bien grand pour être plus grand que Joni – et imposant… avec un visage dur qui ne donnait pas envie d’argumenter…

« 850 ou rien. Et par rien, j’veux dire que je sors d’ici avec ce que je veux et que toi, t’auras rien. »

Il fit un pas en avant, menaçant et Jon déglutit. Il n’était ni du genre très brave, ni très imposant lui-même. En fait, là, tout de suite, il serait bien allé s’enfermer à double tours dans l’arrière-boutique! … ou plutôt l’arrière-arrière-boutique, puisque les étals de fioles, bocaux et autres se trouvaient déjà dans l’arrière-boutique de meubles et accessoires antiques.

« … Tu sais quoi, cet article vient tout juste de tomber en solde! 850 au lieu de 1300, une aubaine! »

Et lorsque le molosse fut parti et la maigre rémunération encaissée, le téléphone sonna ne laissant pas à Jon le temps de se morfondre sur la perdre d’argent qu’il venait de faire. Oui bon, ce n’était pas comme s’ils avaient payé, à la base, pour la salive de bhrochat’nu, mais Marsh et Roxy n’allaient pas être contents de ça.
Et en parlant du loup… enfin, de la copine du loup!

« Hey Roxy! J’attendais de vos nouvelles hier. Alors, on est riche? »

Ce disant, le bonhomme s’installa en pacha sur sa chaise, levant les pieds sur le bureau.
   

Ils avaient finalement vaincu les égouts et leur dédale de chemins sans sorties. S’il aurait été souhaitable que la victoire se fasse plus tôt, Marshall n’en savait rien pour le moment et Roxanne avait gardé le sourire sur le trajet retour vers leur hôtel. Elle avait orienté la conversation dans le thème du léger et à part la montagne de pancakes qu’elle allait commander au service d’étage et le coup de fil qu’elle passerait à Joni pour lui annoncer le succès de leur mission, rien d’autre n’avait franchit ses lèvres.
Si mentir n’était pas mentir quand on se contentait d’omettre quelques détails, il n’en demeurait pas moins qu’elle avait accumulé sa petite montagne de non-dits.
D’accord, elle appellerait réellement son meilleur ami sitôt arrivé dans leur chambre d’hôtel… mais pas uniquement pour lui dire qu’ils pouvaient sabrer le champagne tous ensemble. En fait, elle optait d’insister sur le « tous ensemble ». Faire débarquer l’anglais sur le sol américain était bien sa priorité du moment. S’il pouvait prendre le premier vol direction la Nouvelle-Orléans, Joni deviendrait son héros du jour. Oui, Marshall aurait bien besoin d’avoir son meilleur ami dans les parages. Et oui, elle avouait qu’elle ne serait pas mécontente non plus de le savoir dans le coin. On pouvait dire ce qu’on voulait de Jonathan Fawkes mais elle le définissait sans l’ombre d’un doute comme un indispensable et elle votait pour lui dans le rôle de l’ami sans hésitation et sans se forcer. En même temps, ils partageaient plusieurs points communs qui faisaient de leur conversation un endroit que son Marshmallow pouvait éventuellement chercher à fuir en les y laissant mettre toute la passion sur leurs sujets favoris.

De retour à l’hôtel, elle avait prétexté vouloir prendre un bon bain moussant après le petit déjeuner pour éviter de se faufiler sous la douche avec son homme comme elle le faisait parfois. Non, là elle avait trop envie d’appeler Joni pour lui parler de l’exclusion adaptée et fortement conseillée du jaune ! Et puis, il y avait aussi le choix de l’entrée sur laquelle elle avait quelques doutes. Bref, appeler Jonathan était bien trop urgent à son goût pour qu’elle ne reporte pas un peu la bienheureuse douche !
Après l’avoir encouragé à prendre son temps sous la douche pendant qu’elle commanderait le petit déjeuner et qu’elle passerait de longues minutes au téléphone avec leur compatriote, elle avait déposé un baiser sur ses lèvres puis s’était dirigée vers le téléphone de la suite pour contacter le service d’étage. Avant que le son familier de la douche ne se fasse entendre, elle avait commandé le petit déjeuner puis avait attendu une minute ou deux pour se saisir de son téléphone portable.
Si vous vous demandiez pourquoi elle avait quitté leur suite, posez- vous la question sur les avantages et les inconvénients de la vie commune avec un loup. Une bonne audition n’était pas toujours un avantage, particulièrement dans le cas présent. L’excuse tout prête d’une descente à la réception pour voir si Ben lui avait envoyé le bouquin tant attendu serait sortie si jamais Marshall s’étonnait de ne pas la voir en quittant la salle de bain.
Rapidement, une voix familière aux accents anglais s’était faite entendre au bout du fil :

« Hey mon anglais préféré ! » quoi ? Il l’était après Marshall et le serait encore plus s’il sautait dans le premier avion une fois qu’ils auraient raccroché « Oui je t’aurai appelé plus tôt mais on a eu un petit contretemps. »

Petit ? Ok, un contretemps pas négligeable du tout. Contretemps qu’elle présenterait de quelle manière ?
Le problème n’était pas de le présenter à Joni mais à son Marshmallow… et elle comptait bien le faire avec l’aide du premier. Mais d’abord, les convenances exigeaient d’annoncer la bonne nouvelle avant la mauvaise nouvelle.

« Plus riches que Crésus ! D’ailleurs, je m’étais dis qu’on devrait fêter ça tous ensemble ! Qu’est-ce que tu dirais de prendre le premier vol pour venir boire le champagne que j’ai déjà mis au frais ? »

D’accord, sa bonne nouvelle amorçait la mauvaise ! Mais quand même, le champagne fallait pas trop tarder pour le boire non ? Ok, son empressement n’annonçait sans doute pas que du festif.

Quelque chose clochait.
Joni n’était pas un grand professionnel de l’art de lire les femmes, il laissait ce soin à son meilleur ami, mais il connaissait néanmoins suffisamment cette femme-là pour savoir qu’il y avait un petit truc qui tiquait dans la voix de Roxanne. C’était peut-être parce que Roxy était, à ses yeux, la femme asexuée par excellence. Après tout, la fiancée de son meilleur ami était une zone interdite, mentalement proscrite depuis des années pour Jonathan. Mais que la raison soit réellement ça ou totalement une autre, il n’en restait pas moins que Joni n’était pas dupe… pour une fois!
Quelque chose clochait, ça oui, parce qu’hier le gendre de contretemps qui empêchait les tourtereaux de donner de leurs nouvelles – à savoir une envie irrépressible de faire du sport horizontal pour fêter leur victoire à deux plutôt que sagement à trois – ne pouvait pas avoir lieu, c’était juste impossible.

Jon commençait à ne pas trop aimer cet appel, surtout maintenant que la future mariée changeait de sujet sans s’expliquer. Ils étaient riche, d’accord, normalement ça suffisait à Jonathan pour être heureux, mais cette histoire de contretemps ne lui plaisait pas. Il n’était peut-être pas un loup avec un odorat hyper développé, mais ça sentait mauvais cette histoire. Roxy n’était pas du genre à garder les détails pour elle. Quand les choses tournaient mal, d’habitude, elle aimait bien raconter la scène en long, en large et même en diagonale pour que Jon ne puisse manquer aucun détail juteux de comment Marshall avait réussi à les tirer de là. Aucun doute sur un truc, sa fiancée était sa fan numéro un.
Mais aujourd’hui, niet, nada de ce qui c’était passé, ils étaient juste riche et le champagne les attendaient.
Elle le prenait pour un con ou quoi?
Inutile de répondre à cette question soit dit en passant…

« Tu sais on a du champagne ici aussi. Je peux très bien boire une coupe à notre santé dans cette bonne vieille ville de Londres! »

Si cette remarque sonnait parfaitement comme Jon le citadin endurcie qui déteste quitter son confort, il y avait une attrape finement menée là-dessous.
Si Roxy insistait sans donner d’explication plus précise, c’était grave, très grave.
Marshall n’était pas mort quand même? Non, bien sûr que non, autrement elle n’aurait même pas aborder le fric et elle lui aurait parlé à travers des larmes hystériques. Impossible que cette fille garde autant son calme si son ami était mort.
On respire Jon, Marsh est vivant.
Mais c’était quoi le problème alors? Parce qu’un problème, il y en avait un, il était prêt à parier toute sa fortune là-dessus!

Et avant d’attaquer ouvertement celle à qui on pouvait donner le titre de meilleure amie au féminin, Jonathan demeura gentil en lui offrant une chance de se mettre à table toute seule. Seulement après, il la forcerait à cracher le morceau si ce qui allait suivre ne le satisfaisait pas.
   

D'accord, la stratégie du champagne n'avait rien d'une bonne amorce. En tout cas, elle s'était royalement heurtée contre un mur quelques secondes plus tard. Il faudrait plus qu'une petite coupelle de champagne pour donner envie à l'anglais de prendre l'avion, elle s'en doutait bien.
Mais est-ce que tout lui balancer comme ça était une bonne idée pour autant ? Elle n'était pas sûre que ce soit le genre de nouvelles qu'on pouvait donner au téléphone. Tout bon conseil aurait été d'attendre de l'avoir en face. Mais la question essentielle venait alors : comment le faire venir sans l'inquiéter pour autant ? Et ouais, Jonathan Fawkes n'était pas né de la dernière pluie et elle avait déjà l'impression que ce début de conversation avait mis ses sens en alerte.
Que dire ? Que faire ? Ce n'était pas des questions qui menaient à grand chose cependant. C'est vrai qu'elle avait eu toute une nuit perchée sur une statue pour réfléchir à cette conversation mais, honnêtement, elle n'avait pas eu les moyens pour le talent d'une belle et parfaite préparation.
Simplement se lancer comme ça ? Un peu brute et pas très malin, mais le résultat serait là... il viendrait. Là-dessus, elle n'avait aucun doute. Sitôt le téléphone raccroché, il ferait sa valise pour monter dans le premier avion et les retrouver. D'accord, elle était déjà capable de voir le regard qu'il lui lancerait dès qu'elle le croiserait... mais, ce n'était pas comme s'ils l'avaient un peu cherché.

« A distance, c'est pas pareil. Et puis, qu'est-ce que j'y peux si tu me manques déjà ? Parler arrangements floraux, c'est pas la même chose au bout d'une ligne. »

Qu'est-ce qu'elle avait de mieux ? L'existence d'une femme imaginaire belle, sexy, intelligente, auprès de laquelle elle avait vanté les mérites du Joni de Londres ? Mouais, faudrait acheter une poupée gonflable pour faire passer un peu le mensonge et ce n'était franchement pas terrible.
Sa future robe ? La liste des invités ? Honnêtement, ce n'était pas rare qu'ils discutent de tout ça le téléphone collé à l'oreille. En fait, c'était même assez fréquent, voir parfois hebdomadaire.
Poussant un soupir, elle s'était arrêtée en plein milieu du couloir. Elle n'avait pas rencontré Joni la semaine dernière, la meilleure méthode était encore le direct avec un bout de tact si elle ne voulait pas qu'il prenne l'avion en imaginant des histoires plus terribles les unes que les autres :

« Pour être un peu plus honnête... Marshall va avoir besoin de toi... je vais avoir besoin de toi. Faut que tu viennes Joni, c'est grave. »

Parce que ça, ce n'était pas alarmant ?
Pas de pierre à la figure, c'était un peu venu comme ça avant d'être pensé et retourné. Le mal était fait mais au moins c'était assez suppliant pour qu'il fasse sa valise non ?

« Désolée, on va dire que c'est pas si grave que ça mais important et qu'un meilleur ami serait pas de trop pour mon fiancé. »

Joliment rattrapé mais un peu tardif.

Ok, sans répondre à la question, Roxy avait répondu à la question. Elle le prenait vraiment pour un con!
Les arrangements floraux n’étaient pas pareil par téléphone ? Bien sûr que non, ça allait même mieux parce qu’ils fonctionnaient avec des photos !  Et tout ça n’aidait en rien Jon sur le reste. Il y avait définitivement du louche là-dessous. Un louche qu’il n’aimait pas d’avance même en ignorant ce que c’était pour la simple et bonne raison que Roxanne n’arrivait pas à cracher le morceau de but en blanc.
Aisément, l’absence de panique complète se transforma en une panique anticipative qui elle-même évolua en panique tout court lorsque la future madame Montgomery admit que Marshall allait avoir besoin de son meilleur ami sous peu.
Marshall n’avait pas besoin de Jon. Jon avait besoin de son copain bien plus que l’inverse et ce depuis toujours. Pas grave, mais important. Non, c’était grave, peu importe la merde, c’était grave, autrement Marshall n’aurait pas besoin de Joni parce que Marsh était de ces types qui n’ont besoin de personne pour régler leurs histoires. Par déduction, nous pouvions donc assumer que ce truc mystère était de ces trucs qui ne peuvent pas se régler et qu’on ne peut qu’accepter.
Enceinte ? Mais non. De un, parce que ça pouvait se régler et, de deux, parce que Marsh sauterait de joie au plafond bien avant de percevoir ça comme un problème désastreux… Pour Jon se serait la fin du monde, mais chacun ses points faibles comme on dit.

« Rox merde, qu’est-ce qui se passe ? »

Il n’allait pas parcourir la moitié du globe sans savoir pourquoi, c’était stupide. Pour Marshall il en ferait même le tour à pied, là n’était pas la question, mais connaître la raison d’un vol précipité en direction de la Nouvelle Orléans ne serait pas de trop. Si ça avait été Paris, moins d’une heure et la question était réglée, mais le faussaire avait besoin de plus d’information lorsqu’il se payait une première classe pour le continent du big mac géant.
Son ton n’avait été ni hargneux, ni haineux, ni colérique. Il était calme, posé, incitait à la vérité et la confidence. Les mensonges, les arnaques et les entourloupes étaient leur spécialité, mais entre eux, l’honnêteté était la reine du bal.

« Il est arrivé un truc à Marsh ? »

Un autre meilleur ami que lui aurait pu dire tu te prépares à le larguer ou quoi ?, mais ce n’était même pas une option envisageable pour le faux antiquaire. Son pote et cette fille allaient partager le même cercueil tant ils étaient inséparables, une rupture était juste impossible au programme ! Encore plus que l’éventualité où le soleil ne se lèverait pas le lendemain ou que la terre cesserait de tourner !
L’absence de détails précis était le pire dans cette discussion. Savoir qu’il y avait un truc, mais ne pas savoir quoi exactement… c’était encore pire que de connaître la vérité selon Jon. Car, plus souvent qu’autrement, l’imagination est bien plus détestable que la réalité lorsque le cerveau se perd au milieu des conjonctures et des scénarios plus abracadabrants les uns que les autres.
Et Roxy espérait qu’il grimpe dans un avion pour se taper huit heures de vol où il n’aurait que ça à faire ? Se perdre dans milles hypothèses et se ronger les sangs jusqu’à l’atterrissage ? Non merci ! Jon était doué pour s’enflammer en nombreuses psychoses débiles, mais lorsque ça concernait son frère de cœur il aimait bien garder les deux pieds sur terre…
   

Bravo Roxanne ! Car, clairement, elle méritait des félicitations pleines d’ironie. Et non, on ne pouvait pas parler de talent sur les coups de téléphone, ou tout du moins pour annoncer quelque chose via ce moyen de communication. En fait, on pouvait même dire que c’était clairement foiré. Finalement, peut être aurait-elle dû mettre son temps à attendre sur cette statue pour faire quelques répétitions, ça aurait pu améliorer les choses au moins un peu. En tout cas, ça n’aurait pas pu être pire !
D’accord, pour sa défense, ce n’était pas la nouvelle la plus évidente à dire du monde. Mais malgré tout, elle aurait peut être pu faire mieux. Seulement comment faire venir Joni sans éveiller ses soupçons, ou sans lui balancer carrément la nouvelle ? Compliqué hein quand l’anglais les connaissait trop bien !
Se mordant la lèvre, c’était probablement ce genre de pensées qui était passé intérieurement dans son esprit. Elle n’avait plus tellement le choix maintenant. Ou si, elle pouvait toujours ne rien lui dire et raccrocher avant de couper lâchement son portable, mais elle n’était pas le genre de femme à laisser ses amis se torturer l’esprit dans un coin en s’imaginant les trucs les plus horribles. Sans compter que ça aurait été un peu idiot après l’avoir appelé pour le mêler joyeusement à ça.
Et, si elle n’était pas capable de le dire à l’anglais à des kilomètres de là, comment espérait-elle pouvoir parler à celui à quelques pas ?

« Désolée, la prochaine fois je préparerai un bon mensonge pour te faire venir… une stripteaseuse peut être… pourquoi j’ai dis champagne alors qu’on a inventé le striptease au juste ? »

A vrai dire, on n’en savait rien. Mais ça n’aurait probablement pas fonctionné non plus.
Ce qui pouvait marcher maintenant, c’était la clémence en lui disant, une bonne fois pour toute, pourquoi il devait prendre le premier avion pour pointer ses fesses à la Nouvelle-Orléans.
Après une inspiration, Rox avait donc mis fin au massacre complet qu’était ce coup de téléphone :

« Il va bien... pour l’instant. Il m’a griffé Jon. »

Si le but était d’être direct, on pouvait dire qu’il était plutôt accompli. C’était sans doute un peu court, mais l’essentiel était dit. Elle avait néanmoins ajouté après une courte pause

« On s’est retrouvés coincés dans ce tombeau hier soir et on célèbre maintenant le soulagement d’être tous les deux en vie. »

Elle n’oubliait pas un léger détail ? Genre pourquoi Marshall allait bien pour le moment et pourquoi ils avaient tout de même le cœur à célébrer leur incroyable bêtise ?
Elle allait y venir mais, franchement, dans toute la confession, ce n’était pas le point le plus négatif. Si Jonathan Fawkes était un prêtre, il choisirait de cibler sa morale sur l’insouciance qui conduisait à se retrouver bloqués dans des égouts un soir de pleine lune.
Ceci dit, il était tout de même bon de mentionner cette petite précision :

« Et il est fort possible que je ne lui ai comme qui dirait rien dit côté mauvaise nouvelle ce matin. »

Alors, c’était si difficile que ça de tout avouer ? C’était en tout cas beaucoup plus facile de le dire au blond plutôt qu’au brun. Oui, même si elle n’obtiendrait pas de félicitations maintenant qu’elle s’était montrée plus claire… y’avait pas franchement de quoi être fière d’hier soir. Elle avait néanmoins finit par lâcher un soupir avant d’enchaîner sur un ton plus suppliant que celui qui lançait une invitation pour sabrer le champagne :

« Dis moi que t’es en train de regarder à quelle heure part le prochain vol. »

S’il pouvait se téléporter, ce serait même la plus belle nouvelle au monde sur le moment.

« Ce sera pour la prochaine fois. Crache. »

Les jeux étaient maintenant faits. Cette histoire de champagne et de serviettes de table n’était pas nette et Joni n’avait pas perdu une heure à tourner autour du pot pour faire comprendre à son amie qu’il avait du flaire même en ayant les fesses posées sur un autre continent. Si on pouvait penser qu’entre menteurs ils passaient une éternité à frôler la vérité sans jamais oser la dire clairement de vive voix, on aurait tord de le croire lorsque ça concernaient ceux deux-là et leur acolyte commun. Au contraire, pour des arnaqueurs professionnels, ils était purement et simplement honnête entre eux. Ce devait être là le secret de leur succès!
Dans tous les cas, une question honnête et directe se méritait une réponse du même acabit. Quoi que, au final, peut-être qu’avoir eu le choix, Joni s’en serait passé. Il n’était pas question de lui et personne n’était en danger de mort non plus, mais, dès que les faits eurent atteint son cerveau, et que l’anglais fut en mesure de comprendre toute l’implication engendrée par cette affirmation, son estomac se tordit d’une désagréable manière.
Ce n’était pas grave, on ne mourait pas de se faire griffer par un loup-garou, mais Jonathan connaissait suffisamment bien Marshall pour savoir que cette nouvelle allait être un choc. Ça l’était pour lui aussi, il va sans dire. Malgré les avantages considérables d’être un loup-garou, il ne souhaitait cette complication de vie à personne et n’avait jamais réellement envié son compagnon de méfait favori pour devoir subir cette malédiction jusqu’à la fin de ses jours.
Et son meilleur ami venait de passer le flambeau à sa fiancée, la personne qu’il aimait le plus au monde. Il ne se le pardonnera jamais.

« Oh. »

Plutôt sans voix pour une fois, l’antiquaire ne su comment exprimer sa réaction autrement. Et, en effet, cette nouvelle valait bien un billet d’avion direct pour la Nouvelle Orléans et le plus tôt serait le mieux. Si Marshall n’était pas encore au courant, il le serait bientôt. C’était la pleine lune ce soir et il savait son copain capable de repérer sa race au milieu d’une foule depuis des années maintenant, Roxy ne fera pas exception. Dès que le gène achèvera de se développer, Marshall le sentira tout de suite.

« Tu pourras pas repousser indéfiniment, tu l’sais bien. »

Cette petite phrase moralisatrice était inutile, mais il tenait à la dire quand même. Ce serait sûrement la pire nouvelle que Roxanne allait devoir annoncer à son amoureux et même s’il savait leur couple indestructible, ce sera un sacré coup pour eux qui n’ira pas sans répercussions.

« Le mieux, c’est de lui dire avant qu’il s’en rende compte lui-même. »

Ça ne ferait qu’aggraver la situation. Joni connaissait Marsh sur le bout des doigts. Il ne supporterait pas que Roxy lui cache quoi que ce soit, encore moins quelque chose d’aussi important.
Et à sa supplication, il appuya sur une touche de son clavier pour sortir l’ordinateur de sa veille dans le but de réserver un billet dans la minute suivante.

« Je prends le premier avion. »

Aucune hésitation et il n’y avait plus de quoi faire la fine bouche à propos de l’humidité de la Louisiane. Marshall allait avoir besoin de soutient sous peu et Roxy aussi. Pour ces deux-là, Jon était prêt à supporter la Nouvelle Orléans pour les vingt prochaines années!

« Courage ma grande. »

Ses derniers petits mots avant de raccrocher. Il ne pouvait rien faire de plus par téléphone de toute manière et il devait se préparer un sac de voyage en quatrième vitesse.