Plusieurs secondes après avoir raccroché avec Jonathan, Roxanne avait fixé son téléphone, adossée contre le mur de ce couloir. Elle ne pourrait pas établir de siège, rester indéfiniment ici et elle serait bien obligée de retourner tôt ou tard à leur chambre. De même qu’elle devrait se décider assez rapidement à annoncer « l’heureuse » nouvelle à Marshall. Elle le savait déjà avant que Jon ne le souligne pour elle. Le mieux à faire était de prendre son courage à deux mains, de retourner dans leur suite, et de tout dire à son fiancé sans passer par 4 chemins. Qu’importe la formulation, le principal était de lui dire la vérité avant qu’il n’en prenne conscience par lui-même.
Mais elle avait beau se répéter des « courage » intérieurement, respirer calmement, son cœur ne s’arrêtait pas d’accélérer et elle avait l’impression que la première chose qu’on remarquait en la voyant c’était ses mains qui tremblaient. Génial ! A ce rythme, elle n’avait qu’à rentrer dans la chambre et voir Marshall pour qu’il comprenne que quelque chose n’allait pas. C’était plus fort qu’elle, il suffisait qu’elle se prépare à dire la nouvelle pour se retrouver dans cet état.
Dans une nouvelle inspiration, elle avait joint ses mains.

« Ok Rox’, tu te reprends. »

Jon allait bientôt prendre l’avion. Tout ce qu’elle avait à faire entre temps, c’était arrêter de se comporter comme une lâche et une abrutie et tout dire à Marshall.
…
Vu la nouvelle, c’était pas si simple que ça pouvait le sonner. Elle était loin la belle confiance de pilleuse de tombes et de menteuse professionnelle. Les discours, c’était beaucoup plus facile quand on devait les faire à d’autres personnes.
Elle ne savait pas trop combien de temps elle s’était cachée ici avant de se décider à entrer, mais quand elle avait finalement poussé la porte de leur suite, elle avait entendu l’eau de la salle de bain se couper.
Et alors qu’elle s’apprêtait à refermer la porte doucement, elle avait entendu la chariot du service d’étages s’approchant. La laissant donc ouverte pour le type à qui elle avait filé un généreux pourboire après qu’il  ait vidé le contenu de son chariot sur la table, elle s’était efforcée de rester calme tandis que le moment fatidique approchait.
Elle ne pouvait pas attendre encore un peu ? Le laisser au moins prendre son petit dej’ de bonne humeur ?
On sait, le Fawkes il avait dit qu’elle ne pouvait pas repousser indéfiniment et malheureusement le Fawkes avait raison sur ce coup là. Mais ce n’était pas prendre un petit dej’ en mode insouciant qui allait changer grand-chose niveau timing non ? Il ne se rendrait pas compte d’ici là, après tout elle était toujours Roxanne, humaine banale mais un peu voleuse… non ? Ouais, à vrai dire elle n’avait pas trop analysé les effets pour l'instant, elle était incapable de penser à autre chose qu’au moment où les mots quitteraient sa bouche pour devenir la révélation. Si elle se sentait bizarre, c’était probablement à mettre sur le compte du stress.
Le bruit et le mouvement l’avaient tiré de ses pensées au moment où son fiancé faisait son retour. Intérieurement, elle avait fait taire le Jiminy Fawkes qui lui répétait de se lancer, et elle avait aussi tenté de calmer Rox la débile qui ne ferait que la trahir avec la boule d’angoisse justifiée qu’elle tâchait de canaliser du mieux qu’elle le pouvait :

« Votre petit déjeuner est servi Monseigneur ! »

Quoi ? Qu’on attende ou pas après le petit dej’, elle n’allait pas tout lui balancer d’un coup non ?
Ce serait toujours mieux que de rien lui dire du tout …

Si la douche faisait normalement beaucoup de bien après une nuit  bien poilue, elle l’était d’autant plus ce matin. L’envie de dormir n’égalait même pas celle de sentir le jet d’eau bouillant couler sur sa peau et évincer non seulement la transformation mais aussi cette fichue odeur d’égouts qu’il allait avoir encore dans le nez pour les deux prochains jours !
De longues minutes, Marshall se frotta énergiquement la peau avec le pain de savon qui s’encrassa tout autant que le fond de la douche. Ouep, il ne se lavait pas pour des cacahuètes !  
Une fois son degré de propreté satisfaisant, le loup coupa l’eau et s’égoutta grossièrement avant de s’enrouler la taille dans une serviette blanche brodée aux initiales de l’hôtel. Il quitta la salle de bain sans se vêtir davantage, laissant l’air ambiant achever de le sécher pendant qu’il se faisait accueillir dans la pièce principale de la suite – toujours aussi enfouie sous les valises et les manuscrits – par son adorable dulcinée.

« Oh ouais, la dalle de que j’aie ! »

Et il y avait de quoi. Ils avaient été coincés longtemps sous terre sans pouvoir avaler grand-chose d’autre que des barres énergétiques qu’ils avaient emportées pour dépanner. Sans compter que, d’ordinaire, le loup se trouvait un truc ou deux à se mettre sous la dent et là, niet – au grand soulagement de Marshall dans le cas précis, il va sans dire.
Salivant déjà à l’idée de se goinfrer de ce qu’il voyait sur la table, le frisé rejoignit Roxanne, ne retint pas son envie de lui mordiller le creux du cou au passage, avant de s’installer à table.
Il se frotta les mains, les yeux gourmands, et se fit une assiette débordante – littéralement débordante – de pancakes.
On entend déjà les plus septiques douter… sachez que, oui, il pouvait avaler tout ça sans se taper une indigestion. Surtout après une nuit en mode garou ! La transformation lui avait toujours ouvert l’appétit de façon démesurée, lui qui en avait déjà un grand à la base.

Et tandis qu’il laissait couler le sirop le long de sa montagne de pancakes, le grand gourmand posa ses yeux mordorés sur sa fiancée.

« Alors, comment va Joni ? »

Elle avait parlé à son meilleur ami et pas lui ! Ça valait quand même d’avoir un compte rendu de leur conversation. Quoi que celle-ci était prévisible. Ils étaient riches avec ce fragment et c’était sans compter tout ce qu’ils allaient pouvoir retourner rafler plus tard lorsque le loup ne serait plus une menace dans le temps à accorder à cette prochaine expédition. Devant un imaginable gain de plusieurs zéros au compte en banque, Joni était de ceux qui pouvaient en avoir la larme à l’œil d’émotion.
Il reposa le sirop sur la table et, de sa fourchette, commença à se tailler des morceaux de pancakes dans sa montagne. La première bouchée sur sa langue eut droit à une adoration démontrée par des huummmm tous plus révélateurs les uns que les autres.
Il n’y avait rien de mieux qu’être affamé pour trouver la bouffe aussi délicieuse que si elle venait directement du paradis.

Non, vraiment, couper l’appétit de Marshall après une nuit de pleine lune aurait été cruel. Quelque part, il devait bien y avoir un dicton pour dire qu'une mauvaise nouvelle était toujours moins mauvaise quand on l'entendait avec le ventre plein. Autrement, pourquoi les gens se sentaient ils obligés de manger après un enterrement ou d'amener des petits plats cuisinés à la famille du défunt ? Avant aujourd'hui, Roxanne aurait répondu que l'être humain était tout simplement bizarre, et pour ce qui était de l'apport de plats... c'était souvent du commérage de voisinage pour jeter un coup d'oeil à la détresse des autres. Bref, quelques jours en arrière, elle aurait trouvé cette excuse tout à fait nulle. Mais aujourd'hui, elle n'était plus du tout du même avis.
D'accord, depuis un autre horizon, ne rien lui dire était pire. Mais elle allait lui dire. Le temps qu'elle trouve les bons mots, s'ils existaient, et le temps qu'il se repose un peu de la nuit dernière....
...
Rassurons-nous, intérieurement elle l'avait bien pensé. Y'a deux minutes, c'était après le petit déjeuner et maintenant ce serait après une petite sieste. Elle le savait, elle n'avait pas le droit d'attendre autant et elle ferait mieux de réfléchir à la manière de se lancer pendant qu'il descendrait ses pancakes.

Fermant les yeux sous ce contact, elle avait regretté de ne pas pouvoir simplement se serrer contre lui sans dire un mot. Les bras de Marshall, c'était l'endroit le mieux sur Terre et elle ne le partagerait pour rien au monde. Et tandis qu'elle sentait gagner cette pointe de sentimentalisme qui lui aurait donné les larmes aux yeux par culpabilité, elle avait pris place à table, se servant un pancake plus pour donner l'apparence que par faim.
Le regarder manger dans l’insouciance la plus agréable, ça n'entrait finalement pas dans une sorte de dernier plaisir. A la place, elle pensait plutôt qu'elle allait foutre en l'air plus que sa journée tout ça parce qu'elle avait été assez débile pour ne pas repousser la petite expédition d'hier soir.
Elle l'aimait beaucoup trop pour être assez forte quand il s'agissait de lui faire de la peine.

« Tu connais Joni, s'il pouvait nager dans une piscine remplie de billets, il le ferait ! »

Elle aurait pu en profiter pour lui dire qu'il se pointait par leur chez eux du moment, mais ce n'était pas une bonne idée. Pour ça, elle aurait dû lui dire pourquoi, et elle préférait se taire plutôt que de lui mentir à lui. Elle se sentait déjà assez coupable comme ça pour vouloir en rajouter une couche. Et puis, c'était une mauvaise introduction à la conversation à avoir si les soupçons de Marshall s'éveillaient à l'annonce de cette venue.
Parce que c'était mieux que de parler de Joni dans une piscine de billets ?
S'il n'y avait pas eu la suite avec la mauvaise nouvelle qui accompagnait la bonne, son coup de téléphone l'aurait mis de bonne humeur au point d'imaginer une montagne de richesses non ? Mais aujourd'hui, elle semblait avoir pour mission de gâcher la journée de la gente masculine anglaise qu'elle pouvait croiser ou appeler.
Elle s'arrêterait toutefois à deux, appeler Ben n'était pas une bonne idée, en tout cas pour la journée et les suivantes. ça, elle en était certaine :

« En fait, ce serait même un excellent cadeau à lui faire. »

Plantant sa fourchette dans un pancake, elle avait observé la scène de la mise à mort de cette grosse crêpe sans grand intérêt.
L'angoisse ou autre chose, elle ne pouvait pas prétendre à partager le même appétit que son cher et tendre.

La bouche pleine, ayant pratiquement du mal à mastiquer les immenses bouchées qu’il enfournaient depuis qu’il était assis devant son assiette débordante de sucre, Marshall fronça des sourcils qui paraissaient déjà songeurs en permanence – que voulez-vous, on ne peut rien contre notre physionomie.
Quelque chose clochait et il n’avait même pas besoin de ses sens et de son instinct aiguisé de loup-garou pour le détecter. Parfois, il suffisait d’être avec la même personne depuis huit ans pour la comprendre et Marshall sentait qu’il manquait quelque chose au comportement de Roxanne, le rendant suspect.
Ils venaient de se sortir in extremis de la pire situation qu’ils n’avaient jamais vécu en plus de se faire le plus gros pactoles qu’ils ne s’étaient jamais fait. Normalement, sa fiancée aurait dû déjà être en train d’énumérer tout ce qu’ils allaient s’offrir – jusqu’aux boutons de manchette d’une marque et d’une forme particulière pour le mariage – avec cet amont de fric. Normalement, ses yeux auraient du pétiller d’excitation à l’idée d’avoir frôlé le danger et de s’en être sorti sans une égratignure. Normalement, elle aurait dévoré ses pancakes avec pratiquement autant d’appétit que lui – surtout en tenant compte du nombre d’heures qui les séparait de leur dernier repas consistant.
Normalement, n’était pas un mot qui s’appliquait à l’état actuel de la situation.
Et ce qui manquait à l’appel était suffisant pour qu’un son de cloche résonne chez Marshall qui acheva de mastiquer grossièrement sa bouchée pour être en mesure de parler correctement malgré ce qui lui restait encore en bouche.

« Tu vas bien ? »

Il avala puis, de sa fourchette, remplit à nouveau sa bouche, incapable de prendre une microseconde de pause tant qu’il y aurait de la nourriture dans son assiette.

« Jon a encore fait une connerie et il veut pas que tu m’en parles, c’est ça ? »

Mais l’un comme l’autre, et Joni aussi, savaient que d’une manière où d’une autre, le secret ne tenait jamais plus d’une minute. De toute manière, peu importe ce que c’était, ils allaient régler la bêtise de leur ami précisément parce qu’il était leur ami.

Et en y repensant, cette hypothèse était un peu ridicule. Roxy ne ferait pas cette tête pour une bêtise de Jonathan. Plutôt s’il était arrivé quelque chose à lui ou à Ben.

« Ou il est arrivé un truc à Ben ? »

Réfléchir tout haut n’était pas forcément bon. Elle n’hésiterait pas à lui parler de Ben non plus. En fait, Roxanne n’hésitait jamais de rien avec lui. Ils n’avaient jamais hésité l’un avec l’autre, même lorsqu’ils étaient de purs étrangers, ce n’était pas aujourd’hui que ça allait commencer !

« C’est l’odeur d’égout qui te coupe l’appétit Love. T’aurais dû venir prendre une douche avec moi » dit-il sur un ton plus joueur qui sous-entendait bien plus qu’une simple et innocente douche.

Et, sincèrement, il se demandait en quoi appeler Jon avait été plus urgent que cette douche !

« Mais si tu veux, j’suis bien prêt à en prendre une deuxième. »

D’un clin d’œil ravageur comme il avait le secret, il acheva son invitation avant de refourrer une pelleter de pancakes dans sa bouche. Heureusement que son mode glouton n’affectait pas négativement sa dulcinée, autrement son offre se serait prit un mur avant même d’être achevée !

Si la question la prenait un peu au dépourvu, elle aurait pourtant dû s’y attendre. Si Jon n’était pas dupe face au champagne, pourquoi Marshall le serait face à un classique petit déjeuner ? Elle avait beau tenter de jouer la comédie de la scène routinière à la perfection, elle n’avait pas fait la connaissance de son fiancé la veille. Il fallait s’y attendre, le jeu finissait toujours par éveiller des soupçons dans ce cas même quand on avait le sentiment de s’y concentrer à 100 %. Si elle se forçait tant bien que mal à cacher les petits signes physiques, elle avait vraisemblablement commis quelques fautes d’inattention qui n’avaient pas échappé à l’œil expert du Marshall. Alors oui, il fallait s’y attendre, la comédie ne pouvait pas durer éternellement et elle serait bien obligée tôt ou tard de priver son Marshmallow du bonheur apparent de cette journée.
En fait, maintenant était plutôt l’occasion idéale. Il avait prononcé les trois petits mots magiques qui se transformaient en perche immanquable à saisir si on avait le courage de la prendre. Il suffisait de se lancer et de le priver définitivement d’une dernière journée « d’insouciance ». Elle n’allait de toute manière pas attendre jusqu’à la prochaine pleine lune, qui viendrait dans moins d’un jour, pour le laisser avoir la grande révélation des conséquences de leur idiotie.
Plantant une nouvelle fois ce pancake qui avait visiblement fait quelque chose de mal, elle avait secoué la tête pour chasser toute culpabilité du Joni et pour chasser toute inquiétude du sillage de Benjamin :

« La dernière fois que j’ai eu de ses nouvelles, il était en compagnie d’une danseuse du ventre… et je suis pas sûre que ce soit le genre d’histoire que tu veuilles entendre pour conserver ton appétit. »

Si elle avait eu faim, il est certain que rien qu’en y pensant, elle aurait repoussé son assiette dans une moue de dégoût. Des histoires de ce genre, Benjamin en avait tout un tas à offrir à ses oreilles et il prenait parfois un peu trop le goût du partage à son sens.
Ce n’était pas en se plaignant de l’ouverture en dialogue de son père d’adoption qu’elle en viendrait aux faits. Et d’accord, peut être que c’était idiot de le laisser terminer son petit déjeuner comme s’il s’agissait du dernier repas du condamné… ok, c’était définitivement idiot. Et c’était également risqué de repousser un peu plus l’échéance. Après tout, assassiner son pancake de sa fourchette ne l’avancerait pas plus dans sa préparation psychologique. Et maintenant qu’elle le regardait, il ne ressemblait plus à grand-chose... s’il existait un crime de torture contre les pancakes, elle était définitivement coupable.
Repoussant son assiette, elle avait finit par relever les yeux vers Marsh avant de se lever dans le but de s’éclipser de table :

« ça doit être ça, j’crois que je vais aller me noyer sous une douche pendant que tu termines d’achever ces pancakes comme il se doit. »

C’est clair qu’il leur faisait bien plus d’honneur qu’elle de ce côté.
Tout comme il était peu conseillé et intelligent de partager une douche avec le ténébreux avant de lui avoir dit quelque chose. Même si ne pas accepter une proposition perverse était toujours étrange dans leur cas.
Un bon jet d’eau froide dans son cas l’aiderait peut être à se remettre les idées en place mais à vrai dire elle n’avait pas raisonné de cette manière. C’était une esquive comme une autre face aux potentiels mensonges qu’elle pourrait formuler avant lancement définitif et crash complet…. Elle n’était vraiment pas douée pour lui mentir et pour affronter son regard en le faisant. Si aujourd’hui on lui demandait d’escroquer ce brun là, ce serait sans aucun doute un échec cuisant.
Elle lui parlerait, après sa douche. Elle n’avait pas tellement le choix de toute manière et elle entendait Joni lui confirmer depuis l’Angleterre.

« Ywooouh »

Un frisson de dégoût le traversa de part en part à la mention de Ben en train de se trémousser avec une danseuse du ventre. Parfois, même si le cerveau voulait tout sauf imaginer pareil cauchemar, la scène venait tout naturellement en tête avant même qu’on ait eu le temps de se dire n’y pense surtout pas!
C’était bien suffisant pour rappeler à Marshall pourquoi il ne demandait jamais de nouvelles du père adoptif de sa fiancée. Chaque fois, la réponse ressemblait plus ou moins à ça.
Mais des hypothèses sur l’attitude un peu étrange de Roxanne, le frisé en avait encore d’autres dans la manche et la plus probable était l’odeur d’égout. Même sans un odora canin comme le sien, il y avait de quoi avoir l’appétit déranger… à moins d’être un loup à l’estomac bien creux, par quel cas même la pire des odeurs de pourriture ne suffirait pas à calmer les rugissements affamés de son ventre.

La bouche encore pleine, pour ne pas changer des trois dernières minutes, Marshall ne s’objecta pas vraiment à terminer les pancakes bien que l’attitude de sa future femme devenait de plus en plus bizarre.
C’était comme si… nha, impossible. Roxanne n’avait rien à lui cacher! Mais vrai qu’elle semblait distante depuis son réveil dans la tombe. Du moins, distante selon leur critère, car, pancakes ou pas, affamé ou pas, elle n’aurait jamais permis qu’il reste assis à bouffer du sucre plutôt que de l’accompagner sous la douche.
Ce n’était que partie remise et il mit son attitude sur le compte de la fatigue, ne voyant pas ce que ça pouvait être d’autre. Dès que la brune fut dans la salle de bain, le loup se mit à engouffrer les pancakes encore plus vite – oui, c’était chose possible. Principalement sans respirer, il dévora son assiette et l’observa, vide, quelques instants plus tard, satisfait.
Roxy mettait toujours trois plombes sous la douche peu importe la raison, il avait le temps!

Un sourire goguenard et un poil pervers lui poussa sur les lèvres tandis qu’il se leva plus silencieux qu’une faible brise pour se diriger vers la salle de bain. Retrouver sa tenue d’Adam ne fut pas bien difficile puisqu’il n’avait qu’une serviette enroulée autour de la taille.
Sa chère fiancée appuyée contre le fond de la douche, dos face au reste de la pièce, il pouvait se glisser derrière elle ni vu ni connu comme le bandit plus discret qu’un ninja qu’il était capable d’être lorsqu’il le voulait vraiment.

« Fini les pancakes, je viens chercher le dessert » murmura-t-il juste avant de lui embrasser l’épaule.

S’il voulait devenir veuf avant le mariage, il était sûrement sur la bonne voie!  

S’il existait une notice au Marshmallow, il aurait été judicieux d’apporter une petite note à la rubrique faiblesses (faiblesses très rares de l’avis de Roxanne. Un homme parfait n’en n’avait après tout que très peu). Quoiqu’il en soit, si on voulait être fidèle au descriptif, il était bon de dire qu’évoquer un Benjamin en tenue d’Adam, en mode charmeur ou tout pouvant s’en rapprocher, constituer un armement sûr. Ceci dit, ça marchait sur la plupart des gens, y compris pour elle. Le fait qu’elle le connaisse depuis des années n’y changeait rien, on ne s’habituait jamais à ce genre de scènes ! Et il suffisait d’en avoir une pour subir un traumatisme ad vitam eternam. Mener donc une attaque de ce type amenait irrémédiablement à une attaque contre soi par la même occasion.
Bref, elle n’avait pas pour but de se lancer dans une torture de son fiancé et elle préférait le laisser se remplir le ventre au maximum plutôt que de le mettre au régime forcé. De son côté, elle avait délaissé toute tentative d’avaler quelque chose et avait choisi la direction de la douche dans une action qu’on aurait pu comparer à une fuite sans trop s’avancer.

Après tant d’années en couple, il était plutôt logique de perdre l’habitude de fermer sa porte à clé quand on allait prendre une douche. Particulièrement quand ce couple là était plus qu’engagé dans l’économie d’eau. C’était comme quand on vivait seul, ça aurait été au final bizarre de penser à fermer la porte.
Elle n’avait donc pas prêté attention à ce léger détail pourtant essentiel dans sa nouvelle situation. Laissant retomber ses vêtements sur le sol, elle n’avait pas pris la peine de les ranger en un tas plus organisé et n’avait pas tarder à entrer dans la douche pour allumer l’eau sous laquelle elle s’était glissée. Morsure ou pas morsure, elle avait accueilli l’eau tiède, presque bouillante, dans un soupir de plaisir. Ça n’irait pas chasser l’angoisse, mais ça faisait toujours du bien après une nuit comme la leur. Il y avait meilleur endroit que la statue d’un très très vieux démon pour passer la nuit.
On avait beau savouré le bonheur de la douche après une nuit dans les égouts, ça ne semblait pas être pour autant le remède miracle pour vider l’esprit ou trouver les bons mots. Elle était restée un peu sans bouger avant de se décider à se saisir du gel douche remarquablement efficace contre la saleté mais pas contre la morsure. Elle était déjà plus que bien rincée quand l’arrivée inattendue de son fiancé l’avait fait sursauter. En temps normal, il y avait peu de chance pour qu’elle réagisse de cette manière et qu’elle tourne vers lui ce regard paniqué. Voilà Roxanne pourquoi il aurait mieux valu lui couper l’appétit d’office en n’attendant pas qu’il se remplisse le ventre. Il n’y avait pas de pire manière que de lui annoncer clairement le soucis qu’en se couvrant le bras d’une main pour cacher tant bien que mal la morsure, et en détournant les yeux de cet air entre l’embêtement, la culpabilité et l’angoisse.

« Marshall…. »

Oulah son prénom seulement ?
Elle n’allait pas jouer la comédie maintenant, ce serait le prendre pour le crétin qu’il n’était pas. Elle aurait dû s’en douter vu la fréquence de leur douche collective.
Voilà… en pensant bien faire, en reculant l’échéance, elle avait juste empiré la chose. C’était les deuxièmes « félicitations » en peu de temps qu'elle méritait….

Normalement, lorsqu’il venait surprendre sa dulcinée dans la douche, elle avait une toute autre réaction. Une bien meilleure réaction. Une réaction qui sonnait plus comme un t’en a mis du temps, plus que quelque chose qui ressemblait à un arrêt cardiaque. De son ouïe fine, il avait pu entendre son cœur s’accélérer sous la surprise.
Mais ça, ou même la réaction typiquement normale à laquelle il s’attendait, il n’en avait cure. Parce que cette surprise, cette façon de réagir, ça ne voulait dire qu’une chose. Un truc se tramait. Et ce truc, Roxy espérait le lui cacher autrement elle le lui aurait dit directement.
Un seul problème à ça, il n’y avait rien que Roxanne pouvait lui cacher. Il y avait-il seulement une chose qu’elle voulait lui cacher ?
Apparemment si, autrement, elle ne masquerait pas son bras comme elle le faisait.

Ses sourcils naturellement songeurs se froncèrent encore plus. Toute cette mascarade, quoi qu’elle fut, avait assez durée.

« Rox ? »

Ses yeux un peu plissés se baladèrent un instant entre le regard fuyant de la jeune femme et son avant-bras qu’elle protégeait de sa main. Il se passait définitivement un truc et il avait rapport avec ce qu’il y avait sous cette main. Pas la peine d’être Einstein ou Sherlock Holmes pour le comprendre.
Lentement, sans brusquerie, Marshall se saisit du fameux bras et retira, tout aussi lentement, la main de sa fiancée. Une lacération peu profonde, commençait lentement à faire sa croûte. Rien de grave, si ce n’était la forme de la blessure. Quatre traits un peu trop connus de l’anglais.
Il retint un mouvement de recule commençant tout bon processus par la phase de dénie.

« C’est quoi ça ? »

Rien. Ça pouvait être rien, pas vrai ? Elle pouvait s’être fait ça en descendant de la statue ou bien autre part ! N’importe où ailleurs.
… Tout, mais pas ça.
Mais en même temps, qu’est-ce que ça pouvait être d’autre ?
Son visage s’affaissa lentement pendant que l’hypothèse s’imposait dans son esprit comme étant la seule plausible. Son flaire, maintenant qu’il cherchait, percevait cette odeur bien particulière du loup en dormance. Il n’y avait aucun doute possible, mais comment ?
Il était tombé, il avait essayé de s’accrocher. Mais pourquoi avait-il fait ça ? Ce n’était pas comme si la chute aurait pu le tuer !

« J’suis con… »

Ça pour être con, il l’était. Dès la minute où il avait accepté cette expédition une journée de transformation, il avait été un parfait idiot. C’était de sa faute, cent pourcent de sa faute.
Et maintenant, il avait contaminé Roxanne.
Ok, la petite voix du bon sens dirait que ce n’est pas si terrible d’être un loup, Marshall en était d’ailleurs une preuve lui-même. Mais les transformations affreusement douloureuses ? Roxy allait souffrir trois nuits par mois, d’une douleur que seul lui et ses semblables pouvaient imaginer, pour le restant de sa vie et c’était de sa faute.

« J’suis tellement con. »

Livide depuis sa découverte, il était sorti de la douche d’un coup, reprenant sa serviette au passage pour s’éponger vite fait.
Il avait besoin d’air. Une fois en dehors de la salle de bain, eux qui n’étaient pas des fées du logis, il n’eut qu’à se baisser pour ramasser des vêtements pour entreprendre de s’habiller.

Il était trop tard désormais pour avoir des remords ou tenter de se rattraper avec une annonce plus douce, le mal était fait. Dans quelques secondes, Marshall comprendrait ce qu’elle lui cachait et l’image écœurante, mais amusante, d’un Benjamin en pleine partie de chasse féminine serait bien loin derrière eux. Il aurait mieux valu lui faire perdre son appétit que le laisser découvrir par lui-même les conséquences de leur petite sortie inconsciente d’hier. Mais, sur le moment, elle ne s’était pas dit qu’il le découvrirait de cette manière en venant la rejoindre pour une douche commune. Si elle lui aurait vraiment dit ensuite ? Oui…avec du mal, mais elle lui aurait dit. Elle n’avait pas trop le choix de toute manière, l’inconvénient de ce secret c’est qu’il ne tenait jamais la pleine lune.
Une expression paniquée dans le regard, elle était restée sans réaction face à l’inévitable qui s’apprêtait à se produire. Elle n’avait pas cherché à dégager son bras et à prendre la fuite dans leur suite, elle s’était contentée de rester passive tout en connaissant déjà la suite. Sa réaction à lui, elle la devinait déjà et elle était loin de lui plaire autrement elle n’aurait pas fait sauter un certain anglais dans le premier avion en partance pour la Nouvelle-Orléans.

« C’est rien…. »

Ça n’était rien ? C’était tout ce qu’elle trouvait à lui répondre quand il découvrait sa blessure au bras. Ok, la formulation était sans doute un peu mauvaise et maladroite mais, après tout, ça aurait pu être bien pire quand on se replongeait dans la nuit dernière. Aujourd’hui, Marshall pourrait être au téléphone avec les pompes funèbres.
Hum… cet argument là, autant le garder pour elle :

« J’veux dire, c’est pas si grave. »

Acte II : après avoir cherché les bons mots pour au final ne rien dire, dédramatiser la situation.
Mais elle n’avait pas pu aller plus loin que ces quelques mots. Après s’être manifestement blâmé de cette nouvelle condition, Marshall avait quitté la douche, puis la salle de bain, sans rien ajouter de plus. Elle ne se vanterait pas dans un moment pareil de connaître son fiancé sur le bout des doigts, mais elle l’avait pressentit de manière aussi certaine que Jon qui devait avoir bouclé ses valises en quatrième vitesse à présent.
Avec précipitation, Rox avait coupé l’eau avant de sortir de la douche ruisselante. S’enroulant rapidement dans une serviette, elle s’était bien moquée de laisser des gouttes sur le carrelage probablement italien avant de le faire sur un parquet de qualité dans le reste de l’appartement.
Il était là. Elle n’avait qu’à le regarder chercher les premières affaires à passer pour comprendre qu’il comptait bien disparaître elle ne savait pas trop où. Il voulait s’éclipser et se blâmer tout à loisir. Prendre tous les torts, s’en vouloir et toujours s’en vouloir. Mais non. Sur ce coup là, elle admettait qu’elle avait le plus de torts. Sur une momie réveillée, elle pouvait faire preuve de mauvaise foi, mais pas aujourd’hui. Après tout, sans son obstination, ils auraient rebroussé chemin et ils ne se seraient sans doute même pas rendus dans ce tombeau :

« Marsh attends ! T’y es pour rien ! »

D’accord, techniquement, il pourrait répondre que ça prendrait un loup pour en faire un autre. Mais la technique, la technique, c’était pas si important que ça dans le cas présent.
Heureusement pour eux, il n’y avait pas de Ben dans le coin pour en rajouter une couche en sortant qu’il l’avait prévenue depuis des années.
Prenant le risque de se faire repousser parce que l’envie de solitude et de se morfondre serait plus forte pour lui, elle lui avait pris une main des siennes, l’agrippant comme si elle cherchait par là à le retenir désespérément. Le laisser partir serait définitivement une mauvaise idée.

« ça va je t’assure, c’est pas grave. Je vais bien. »

Ah oui ? Si ce n’était pas grave, pourquoi elle avait tant tardé à lui dire ?
Parce qu’elle savait qu’il réagirait de cette manière. Ils étaient en vie, tous les deux. Qu’est-ce qu’il pouvait bien y avoir de plus important que ça ? Le reste était vraiment sans importance. Elle ferait avec. Et même si ce serait peut être difficile au début, elle s’accommoderait. Tant que Marshall était avec elle, elle se moquait bien du reste.

« Pas grave ? »

C’était à prévoir. Huit ans ensemble, huit ans à le voir tous les mois subir la transformation et user de ses sens surdéveloppés et de cette force bien utile elle aussi. Évidemment qu’elle pensait que c’était pas si grave et, au fond, une petite voix pas très maligne avait envie de dire qu’elle avait raison, mais justement, c’était plus grave que ça.

« Tu penses savoir ce que c’est, le problème c’est que tu sais pas. »

Personne ne savait à moins de l’avoir vécu. Il n’y avait pas de mot pour décrire la douleur de la transformation. De savoir que durant toute la nuit, vous devez une bête sauvage assoiffée de sang. Que vous pourriez dépecer votre propre mère sans vous en rendre compte. Les réveils déboussolé, sans savoir où vous êtes, complètement à poils et vulnérable comme jamais. Constater que vous vous trouvez à côté des restes d’un animal mort et que vous avez encore le goût du sang dans la bouche, ce n’est rien parce que lorsque vous vous serez dit qu’il aurait pu s’agir d’un être humain, la carcasse d’un animal lève à peine le cœur.
Ce n’était pas pour rien que ça s’appelait une malédiction et que certains des loups qu’il avait rencontrés n’étaient que l’ombre d’eux-mêmes. Marshall avait de la chance. Il avait du caractère, mais, surtout, il avait Jon et Roxy. Sans Joni pour voir tout de suite les bons côtés, sans Rox pour illuminer chacun de ses jours, le loup ne serait sûrement pas aussi facile à vivre. Et encore, Roxanne pensait que ce n’était pas si grave. Elle ne le connaissait pas avant qu’il soit mordu. Elle ne connaissait que le Marshall en maitrise de ses sens, peut-être pas en maitrise du loup mais qui avait déjà commencé à l’apprivoiser.

« T’vas devenir une bête Rox, par ma faute ! Parce que j’suis qu’un pauvre con ! »

Les nerfs à vifs, il se retira des mains de sa fiancée et enfila ses vêtements avec brusquerie. Ça avait cet effet aussi. Certes, Marshall était déjà un peu sanguin avant, mais l’animal réagissait rarement par la retenue et le calme.
Se laissant tomber les fesses sur le lit avec aussi peu de délicatesse que le reste, il voulut enfiler une botte, mais ses mains tremblantes ne l’aidaient pas à accomplir cette tâche. Il la laissa retomber lourdement sur le plancher avant de se planter la tête dans les mains.
Il avait envie d’hurler sa rage contre lui-même.

« C’est moi qui t’ais fait ça… alors que je m’étais jurer de tuer le premier qui te ferait du mal… »

Il l’avait fait avec les vampires, pas vrai ? Mais cette fois, c’était lui le coupable. Ce soir, lorsque la lune serait pleine, Roxanne allait achevé de développé le gène et devenir un loup-garou. Elle allait souffrir le martyr, comme jamais elle n’avait ressenti de douleur auparavant… à cause de lui.

« J’aurais dû tirer quand je pouvais. »

Il faisait bien évidemment référence à ce moment dans les tunnels où il s’était collé le flingue contre la tempe et où il avait manqué de courage. Voilà ce qu’il en coûtait maintenant.

D’accord, visiblement, la stratégie de dédramatiser le tout n’était pas efficace en quelques secondes. Il était hors de question de lâcher pour autant. Oui, elle maintenant, ce n’était pas si grave. A partir du moment où ils respiraient tous les deux, tout allait bien ? Compte tenu de leur bêtise, et particulièrement de sa propre bêtise et non de celle de Marshall, ils s’en tiraient plutôt bien non ? Le fait qu’ils soient en vie tous les deux relevait presque du miracle. Comme à chaque fois qu’ils se fourraient dans les ennuis. S’en sortir était quelque chose qu’ils faisaient quotidiennement, rentrer dans le clan des loups n’y ferait pas exception non ?
Si elle sentait que son optimisme avait des raisons de se manifester, Marshall n’avait pas complètement tort non plus. Même si elle vivait avec lui depuis des années, elle ne savait pas réellement ce que c’était. Elle le voyait peut-être, elle l’imaginait sans doute, mais le vivre elle ne l’avait jamais fait et elle ne le ferait pas avant ce soir. Ceci dit, si elle avait cherché à se rassurer concernant sa première transformation, elle n’aurait probablement pas cherché à le faire avec le Marshall du moment. Ce qu’elle plaçait en haut de sa liste des priorités pour le moment, c’était de rassurer l’homme qui partageait sa vie et elle n’était pas prête de baisser les bras au premier échec.

« Franchement, si on doit partager les torts, j’pense que c’est moi qui gagne sur ce coup là. »

Peut être. Mais il ne saurait probablement pas du même avis qu’elle.
En attendant, plutôt que de le réconforter, la culpabilité semblait continuer son cheminement et gagner pas mal de terrain. Appeler Jon était la seule chose pas trop mal qu’elle avait faite depuis hier soir.
Il avait décidé que tout était de sa faute, elle pensait le contraire. Y’avait-il seulement un moyen de le faire changer d’avis quand il semblait déterminé à prendre le rôle du fautif ? Quand elle l’entendait dire ce genre de conneries et ramener cette scène qu’elle avait préféré écarter tant elle se serait sentie incapable de continuer s’il avait été au bout, elle ne pouvait pas se résoudre à le laisser penser qu’il était le monstre de l’histoire.
De sa main, elle avait balayé les larmes qui avaient coulé malgré elle sur sa joue, avant de faire les quelques pas qu’il avait fait pour prendre de la distance. Elle s’était mise à genoux, en face de lui, et avait cherché son regard, contact qu’elle avait tenté de garder en encadrant le visage de Marshall de ses mains :

« Et j’aurai fait quoi, moi sans toi ? T’as pas le droit de dire ça, t’as même pas le droit d’y penser. »

Si elle le perdait, le genre de phrases « tu retrouveras quelqu’un, tu passeras à autre chose avec le temps » ne marcherait jamais avec elle. On pourrait trouver ça exagéré, et pourtant c’était vrai, mais il était devenu sa raison de vivre. Sans lui, elle était complètement perdue. Les larmes essuyées avaient été remplacées par d’autres qu’elle n’avait pas pris la peine de faire disparaître avant de poursuivre :

« On est là… tous les deux. Entre les différents scénarios possibles d’hier soir, je trouve qu’on s’en sort pas si mal. On m’aurait demandé de choisir, on en serait au même point à l’heure actuelle. »

Oui, entre mourir et laisser Marshall, vivre sans lui et devenir un loup, il ne faisait aucun doute qu’elle aurait fait ce choix.

« Tu es là… et pour moi c’est tout ce qui compte…. »

Elle n’avait pas attendu d’invitation, elle ne lui avait pas laissé l’opportunité de choisir la distance et la solitude quand ses bras s’étaient noués dans son dos et qu’elle s’était serrée contre lui.
Elle ne le laisserait pas faire. Elle ne le laisserait pas quitter cette chambre pour s’accuser de tout

Pour le partage des torts, Marshall n’était pas aussi enclin que Roxanne à le répartir de cette manière. Roxy n’était pas en cause. C’était lui qui était porteur de la malédiction et c’était lui qui lui avait transmise. Il aurait dû savoir que tenter de jouer avec le feu c’était prendre le risque de se brûler. Et une fois brûlé, les dommages étaient irréparables.
La rage qu’il éprouvait était toute dirigée uniquement contre lui-même. Il avait été idiot et, surtout, il avait été inconscient. Qu’est-ce qui lui avait pris d’être si peu prévoyant ?
La réponse était pourtant simple. Douze ans sans un incident de ce genre. Ça poussait à endormir la vigilance. Et il avait fallu que le prix à payer tombe sur Roxanne, sa Roxanne.
Jamais, il ne serait en mesure de se pardonner ce qu’il avait fait.
Abattu, il avait osé prononcer le pire.
Il aurait dû tirer quand il en avait encore la chance. Il aurait dû supprimer la menace inévitable qu’il était sur le point de devenir. Oh, il l’avait su. Dès l’instant où il avait abaissé son bras avec lâcheté, il avait regretté son geste.
Mais à ce moment-là, il avait été incapable de se séparer d’elle. Cette faiblesse lui en couterait jusqu’à la fin de ses jours.

Elle essaya de lui marteler dans la tête que tout irait bien et que c’était, entre tout, ce qu’elle préférait. Il manqua de s’esclaffer sans joie. Elle changerait d’avis ce soir lorsque tous les os de son corps se briseraient un à un, victimes de l’enchantement de la pleine lune.
Toujours sans rien dire, il la laissa l’étreindre, refermant ses bras autour d’elle avec automatisme. Dégouté de lui-même, il songea qu’il ne méritait pas la dévotion de cette femme.
Il resserra son étreinte. Oh il l’aimait. Il l’aimait tellement, qu’en ce moment, ça lui faisait mal. Et depuis qu’il la connaissait, jamais une femme ne lui avait paru plus belle, plus intelligente, plus drôle et plus attachante. Roxanne était sur cette terre pour lui, pour affoler et exciter tous ses sens. Elle était là pour qu’il soit en mesure de chérir une vie plus que la sienne.
Et ce cadeau, il n’avait su que le bousiller.

« Je suis tellement désolé » murmura-t-il, niché dans le creux de son cou.

De pardon, il n’en méritait aucun et n’en accepterait pas plus. Mais s’excuser était la seule chose qui lui restait à faire. S’il y avait eu un remède, il aurait mis le monde sans dessus-dessous pour le trouver, mais il n’en existait pas.
Les larmes lui vinrent à lui aussi, mais il fit son possible pour les repousser. Il n’avait pas pour habitude de paraître si misérable, même si avec Roxanne un quelconque masque était inutile. Il devait se ressaisir car l’heure avançait. Et son amour avait quelque chose qu’il n’avait pas il y a douze ans, une personne pour l’accompagner dans ses premiers pas de loup-garou.
Il s’écarta quelque peu d’elle, passant les doigts sur la peau charcutée de son bras. Il ressentait la brûlure des entailles jusque dans ses propres tripes.

« Faut nettoyer ça, ou ça va s’infecter. »

Foutaise. La blessure sera presque cicatrisée dès le lendemain sans qu’ils n’y fassent quoi que ce soit. Mais Roxy n’avait pas le droit de rechigner. Elle insistait toujours pour prendre soin de la moindre écorchure, même celles qui disparaissaient au bout d’une heure.
Et après, il la convaincrait de le laisser sortir de cette chambre. Il avait besoin d’air.

Comme si elle craignait qu’il disparaisse d’une seconde à l’autre, elle s’était serrée davantage contre lui. Et parce que les mots ne faisaient pas grand-chose, il fallait se faire une raison, elle avait gardé le silence de longues secondes, laissant simplement son cœur battre contre le sien. On pourrait lui reprocher d’être beaucoup trop optimiste, complètement aveugle voir débile pour sembler ne pas saisir toute la gravité de la situation, mais ce n’était pas le cas. Elle se doutait bien que ce soir ne serait pas une partie de plaisirs. D’accord, elle n’était pas encore une experte dans le domaine et était sans doute incapable d’imaginer à la perfection ce qu’elle ressentirait. Mais elle était sûre d’une chose. Marshall serait là, avec elle. Alors ça sonnerait peut être roman à l’eau de rose, ça donnerait peut être des envies de moue écœurée à ceux que les sentiments rebutaient, mais du moment que Marshall était là, près d’elle, elle se sentait capable de bien plus et les angoisses ne faisaient jamais le poids. Il avait ce pouvoir, parmi tant d’autres, de la rassurer et de chasser les peurs d’un simple regard. Si la technique ne jouait pas en sa faveur et qu’il était le « père » de ce mal qui l’habiterait ce soir, il était également son sauveur.
Elle n’allait pas lui dire une seconde fois que les torts, il n’avait pas à les assumer seul, loin de là. Mais elle était capable de le regarder droit dans les yeux et de lui dire en le pensant sincèrement :

« Je n’ai rien à te pardonner. »

Il ne serait pas d’accord, certains, voir beaucoup, penseraient comme lui, s’en agaceraient peut être, mais sortir quelque chose qui pouvait sembler aussi stupide ne la dérangeait pas.
Elle l’aimait. Si fort que des mots étaient incapables de décrire à quel point ce qu’elle ressentait pour cet homme pouvait dépasser tout le reste. Depuis qu’elle le connaissait, il n’y avait pas un jour où elle avait souri grâce à lui, où le rythme de son cœur avait redoublé en cadence à une simple étreinte qui lui faisait penser que jamais elle ne le laisserait filer, pas même pour tout l’or du monde. Chaque jour, elle avait pensé qu’elle était la femme la plus chanceuse du monde et qu’elle avait de quoi faire jalouser n’importe qui simplement parce qu’un certain Marshall Montgomery était son petit ami. Aujourd’hui, ce n’était qu’une épreuve, une épreuve de plus qu’ils traverseraient ensemble, main dans la main, avec l’aide d’un britannique qui, elle l’espérait, avait déjà fait chauffer sa carte bleue pour une réservation de vol.

Et tandis qu’il avait préconisé un traitement, renversant les rôles de l’infirmière et du blessé, sa main était venue doucement caresser la peau de son cou, descendant sur son bras avant de revenir jouer avec quelques mèches de cheveux, cherchant avec tendresse à lui apporter un peu de réconfort tout en tâchant vainement de calmer les élans de culpabilité qui devaient le ronger.
Dans un hochement de tête, elle avait joué les patientes dociles en se reculant, lui laissant la possibilité de passer, avant de s’asseoir sur le lit :

« Tout ira bien... on a déjà réveillé des momies, qu’est-ce qu’on ne peut pas surpasser après ça ? »

Ok, c’était différent ! Mais le positivisme poussé avec note de vantardise, c’est tout ce qu’elle avait de mieux à l’heure actuelle !
Elle aurait pu le questionner sur la suite, se renseigner pour se préparer à ce soir... mais parler de ce soir n'était probablement pas la meilleure stratégie anti-culpabilité. Le mieux qu'elle pouvait faire sur ce registre là, c'était de le laisser soigner cette blessure à la douleur lancinante.

Marshall conserva le silence. Qu’elle ne lui pardonne rien faisait son affaire puisqu’il ne désirait aucun pardon. Il était responsable et assumerait cet état de fait, même si ça devait le ronger de l’intérieur jusqu’à la fin de ses jours.
Bientôt, sûrement que cette culpabilité s’amenuiserait et passerait doucement au second plan pour être oubliée la plupart du temps. Mais bientôt signifiait que ce n’était pas pour tout de suite.
S’il n’avait que l’envie de sortir d’entre ces murs pour prendre l’air, il savait aussi que Roxy avait besoin qu’il reste à ses côtés, au moins dans l’immédiat. Il ne fallait pas être extrémiste, il n’avait pas l’intention de la quitter, l’idée ne lui avait même pas traversé l’esprit. Non, cette femme, il n’y aurait que la mort pour la séparer de lui. Alors il la garda dans ses bras un moment, sans un mot.
Si c’était là une façon de les tester avant le mariage, c’était la chose la plus cruelle que Marshall n’avait jamais connue de sa vie et celui qui leur infligeait ça avait un macabre sens de l’humour.

Le loup jugea ensuite bon de s’occuper de la blessure de sa fiancée. Ça n’évincerait en rien la malédiction, mais au moins ça lui donnerait le sentiment de faire quelque chose d’utile pour réparer son geste.
Il se leva du bout du lit lorsque Roxanne s’écarta pour le laisser passer et il retourna à la salle de bain en zigzagant à travers les bouquins et autres cochonneries qu’ils avaient semé partout dans la chambre dès leur arrivée.

« Les momies, on peut s’en débarrasser. »

Il alla chercher la trousse de premiers soins qu’ils s’étaient procurés après l’altercation avec les vampires et revint s’asseoir à côté de la jeune femme. Une fois assis, Marshall soupira, déplorant sa propre attitude, tandis qu’il ouvrait la boite rouge.

« Excuse-moi. C’est moi qui devrais te rassurer en ce moment et non l’inverse. »

Il se pencha sur elle pour l’embrasser avant de se mettre en recherche de la gaze et du désinfectant. Il sortit rapidement la bouteille, mais dut fouiller encore un peu pour mettre la main sur la gaze. Lorsqu’il eut imbibé la gaze d’alcool à friction, il tendit une main, attendant que Roxanne veule bien y déposer son bras blessé. Une fois que ce fut le cas,  il entreprit de nettoyer délicatement chaque sillions de peau déchirée avec soin.

« On ira à la crypte ce soir et tu seras pas toute seule. Je serai avec toi tout le temps. »

Il ne disait pas que ça irait bien, parce qu’il n’y avait pas de mot pour ce qu’elle s’apprêtait à vivre. Mais il se sentait obliger de préciser qu’il serait avec elle à chaque seconde de souffrance même s’il se doutait que Roxanne n’avait pas besoin de l’entendre dire pour savoir qu’il l’accompagnerait dans cette première expérience comme dans les suivantes.
Après avoir désinfecté soigneusement la plaie, Marshall laissa la gaze de côté et s’empara d’un bandage qu’il enroula autour de la blessure, toujours avec la même lenteur et douceur qu’il avait depuis le début.

« Pour le meilleur et pour le pire, pas vrai? »

Il tenta un sourire qui n’en avait pas tout à fait l’air, mais c’était le mieux qu’il pouvait faire dans les circonstances.

D’accord, si on se basait sur une question de durée, peut être que les momies avaient du bon. Mais bon, le fait d’en réveiller de temps à autre avait tendance à banaliser les choses et à les faire passer pour moins dramatiques. C’était une plaisanterie qui serait passée en un autre moment, une plaisanterie à laquelle elle aurait pensé avant de la prononcer sur un air qui engageait au débat, mais pas aujourd’hui. Si elle avait régulièrement réponse à tout, elle n’avait pas su quoi dire sur ce coup-là. Les doses d’optimisme pour réconfort n’étaient visiblement pas sans fin et elle finirait par être à court d’arguments pour répéter les premiers. Premiers qu’elle pensait toujours. Ils s’en sortiraient, comme à chaque fois. « Baisser les bras », « défaite » et autres mots et expressions de la catégorie ne rentraient jamais dans leur quotidien.
Mais les belles paroles devaient parfois être mises de côté quand elles ne servaient à rien comme aujourd’hui. Elle finirait par l’agacer tout au plus et obtiendrait le rôle de l’inconsciente de service qui ne prend même pas la peine de s’inquiéter de sa première pleine lune.
D’une certaine manière, elle pouvait tout à fait postuler pour le décrocher. Elle était davantage préoccupée par le moral de son fiancé que par les effets présents et futurs de cette griffure. Pire encore, elle avait même hâte de passer la première nuit pour pouvoir lui répéter que tout irait bien, qu’elle vivrait avec maintenant qu’elle était véritablement en connaissance de cause. Et à vrai dire, la manière dont se déroulerait la première nuit n’aurait pas tellement d’importance, tout ce qui en avait c’était d’aider son Marshall à surmonter l’épreuve de la culpabilité.

A son excuse, elle avait répondu d’un sourire qui voulait dire que ça n’avait pas d’importance. Elle imaginait bien ce qu’il pouvait traverser en ce moment, et sa situation n’avait rien de plus agréable que la sienne. Répondant à ce baiser, sa main s’était brièvement poser sur sa joue dans une caresse.
En patiente docile, elle lui avait ensuite confié son bras sans ajouter un mot ou se plaindre. Il était inutile de rajouter à la culpabilité sous prétexte que désinfecter avait tendance à piquer par la même occasion. Surtout que, même s’il avait plus le rôle du patient que du docteur, Marshall était loin d’être brute dans ses mouvements.

« Tant que j’ai mon héros avec moi, je peux surmonter tous les obstacles. »

Tourner dans un film à l’eau de rose ? Visiblement, ça pouvait se faire ! Le sourire manquait sans doute d’un peu de conviction, mais elle y avait néanmoins répondu. Dans une situation pareille, il ne lui restait pas grand chose à part le grand optimisme, sans doute un peu forcé à certains moments, et l'attitude qui allait avec.
Une personne aimant les grandes phrases fatalistes aurait probablement trouvé à dire que ça devait bien arriver un jour ou l'autre. Dans leur cas, ils connaîtraient ce soir une nouvelle "étape" dans leur couple. Pour ne pas y avoir encore pensé, elle n'avait sans doute pas le droit d'être convaincue que rien ne changerait dans le fond... mais même si trois fois par mois, elle connaîtrait les désavantages de sa nouvelle nature, il y aurait, le reste du temps comme ces trois fois là, un Marshall pour l'épauler.