Assise à une terrasse ensoleillée, pieds sur la petite table ronde à observer tranquillement les quelques nuages faire la course dans le ciel bleu, Leo… faisait tache. Avec son éternelle chemise d’homme blanche et ses minishorts noirs, elle avait plus l’air parée pour un pyjama party que pour paresser sur la terrasse d’un petit café local. Sans compter que personne – encore moins une demoiselle bien éduquée – ne prenait tant d’aise en public.
Mais vous apprendrez toutefois que cette perspective change beaucoup lorsqu’on est mort. Personne pour vous voir, personne pour vous juger ! Alors ça faisait quoi de se mettre les pieds sur la table ? Rien, absolument rien !

« Oh mon dieu, vite quelqu’un appelez la police, quelqu’un a commis un crime ! »

Reposant ses pieds au sol au moment de se redresser d’un mouvement vif, la jeune fantôme porta une main à sa bouche les yeux écarquillés. Il aurait pu s’agir d’un mirage, mais non après s’en être assurée, le doute n’était plus possible.

« J’suis à peu près sûr que c’est illégal de porter une minijupe à cet âge-là ! »

Sa tête suivant lentement la passante d’au moins soixante ans de la droite vers la gauche de sa vision périphérique, Leo demeura inerte un moment devant ce spectacle pour le moins terrifiant et troublant. C’était comme vos parents qui vous évoquent leurs ébats amoureux, certaines choses étaient faites pour demeurer dans l’inconnu.

« Quelqu’un doit faire quelque chose, c’est pas possible. »

Et qui de mieux qu’une morte avec rien à faire pour donner une fashion-leçon à une grand-mère qui en avait franchement besoin ? Le stand à hot-dog était rêvé pour cet apprentissage. Un sourire mesquin se dressa sur les lèvres de la brune qui quitta sa table sans se donner la peine de se lever. Elle s’évapora de la terrasse pour réapparaitre tout juste à côté du stand et son tenancier, la vieille dame clairement décalée dans sa tête pour s’accoutrer comme si elle avait vingt ans venant droit vers elle. Leo rit d’appréhension, un rire qu’on aurait pu attribuer à la vilaine sorcière d’un film pour enfant.
La vieille poursuivait sa route sans se douter une seconde que sa journée était sur le point de s’assombrir. Et, tout à coup, lorsqu’elle passa à côté du stand à hot-dogs, pliiiitch ! La moutarde vola pour atterrir directement sur sa jupe en jeans.

« Aaaah ! Mais faites attention nom de dieu ! »

Et malpolie en plus de ne pas savoir se vêtir correctement. Décidément, cette femme avait plus d’un défaut. De quoi amoindrir la culpabilité de Leonora… si elle en avait !

« Regardez ce que vous avez fait espèce d’impotent ! »
« Haha, respire mémé, le pauvre type t’as rien fait. »
« Hey, on se calme ma p’tite dame. »
« La seule fautive ici c’est toi grand-mère, d’être sortie accoutrée comme ça. »
« Bosser un dimanche c’est pas le rêve, alors j’aimerais bien le faire en paix merci. La prochaine fois, tenez-vous plus loin, les accidents ça peut arriver. »
« Dimanche ? »

Oubliant la vieille qui continuait de faire sa scène et le pauvre homme qui cherchait à s’en débarrasser plus qu’à plaider son innocence – allez savoir, il devait supporter Leo dans sa lutte contre les criminels de la mode – la fantôme s’arrêta devant la vitrine d’un vendeur de journaux et de revues. Dimanche, la date du jour sur les quotidiens, mais oui.

« Déjà dimanche, wow ! »

Soyons indulgent. Depuis qu’elle était morte, Leo avait tendance à ne plus tenir le compte des jours qui passent.

« Oh mais c’est aujourd’hui !! »

Disparaissant de la rue, elle reprit forme au milieu de son salon, ahem, correction : le salon de Donald. Elle se précipita à la fenêtre.

« Juste à temps ! »

Une voiture se garait dans l’entrée.

« Hey ! Donnie ! Donnie, elle est arrivée, elle est là ! »

Donald ne l’entendait pas, bien sûr, mais pourtant des pas ne tardèrent pas à descendre les escaliers. Il avait senti sa présence ? Peut-être, ça lui arrivait parfois ou, le plus probable, il avait entendu la voiture.
La nièce de Donald qui venait séjourner chez-lui pour quelques temps, une nouvelle âme à tourmenter ? Ça dépendrait d’elle, Donnie y avait bien échappé lui !
   

Depuis une bonne vingtaine de minutes, le seul bruit environnant, mis à part celui du moteur, était les mots que prononçaient le chauffeur de taxi. Lancé dans une grande conversation sur les choses à voir à la Nouvelle-Orléans, il avait essayé, comme tout bon chauffeur de taxi, de connaître les raisons de la venue de la rouquine assise à l'arrière. S'il savait au moins qu'elle n'était pas étrangère mais qu'elle venait manifestement de l'étranger, s'il savait également au nombre de ses bagages qu'elle était probablement une de ses demoiselles superficielles qui ne jurent que par Prada et compagnie... chose confirmée par l'occupation majeure de sa cliente qui était de pianoter sur son téléphone sans en quitter l'écran des yeux, il ne faisait que supposer le reste.
Son métier faisait que, comme beaucoup d'autres de son espèce, il se disait excellent psychologue. Depuis plusieurs minutes maintenant, sa cliente était devenue à son sens une gamine prétentieuse et snobinarde qui pensait que ses parents avaient commis rien moins qu'un assassinat social en l'envoyant loin de New-York ou Los Angeles... au choix. La Nouvelle-Orléans n'avait rien d'une campagne certes, mais pour ce genre là, ça n'avait pas d'importance... ça ne connaissait que les villes qui rimaient avec paillettes. Ses parents l'avaient probablement envoyé ici dans une école stricte ou quelque chose dans ce goût là parce qu'ils l'avaient surpris avec un garçon ou à fumer de l'herbe.
Les détails différaient peut être un peu de la réalité, mais il était certain de ne pas tomber loin.

Il avait pourtant un score s'approchant du 90 % d'erreur. Score obtenu par la plupart des gens dans le cas de la rouquine.
Mais puisque le chauffeur de taxi n'allait pas tarder à quitter la course en terminant la sienne, il était inutile de le décevoir en lui prouvant qu'il se trompait. Ce qu'il pouvait penser d'elle n'avait pas échappé à Shayna qui s'était abstenue de lui faire la conversation et s'était contentée de l'écouter d'une oreille discrète. Faut dire que quand il s'était mis à orienter la conversation sur un sujet qu'il avait jugé à sa portée en lui parlant de quelques boutiques sympas ou des derniers potins, elle l'avait catalogué comme idiot avant de rallumer son portable pour la troisième fois.
Il marchait très bien, comme en témoignait le message d'un ancien camarade de classe. Qu'est-ce qu'il y avait d'étonnant au fait que ni sa mère, ni son père, n'ait pensé à lui envoyer un message pour lui demander si elle était bien arrivée à la Nouvelle-Orléans ? Rien du tout.

« Et voilà, on y est ! »

Relevant les yeux de l'écran de son téléphone, Shayna les avait posé sur ce que le chauffeur de taxi prétendait être la maison de son oncle. Hum... Levant un sourcil, elle avait dévisagé l'homme, songeant peut être à lui faire repasser sa licence voir à le faire souffler dans un alcootest.

« Il doit y avoir une erreur.... »

Pour toute réponse, le chauffeur s'était contentée de pianoter son gps pour afficher l'adresse.
D'accord, c'était celle qu'elle lui avait donné à l'aéroport, mais devait quand même y avoir une erreur. Sérieusement, elle voyait mal l'oncle Donald, légitime membre du clan des fortunés, vivre dans une classique petite maison de quartier avec une boîte aux lettres imitant comme un genre de maison façon Hansel et Gretel, une trottinette sur la pelouse et... d'accord on lui avait dit que Donald était bizarre, mais de là à collectionner les nains de jardin.
Et pourtant, elle se retrouvait là, devant cette boîte aux lettres originale, le chauffeur de taxi n'avait pas eu le temps de tirer la première de ses énormes valises du coffre que déjà elle sentait des bras l'encadrer pour littéralement l'étouffer :

« Nana !!! Bienvenue, bienvenue ! Tu as fais bon voyage ? Ton avion a eu un peu de retard non ? Ou alors c'est le taxi qui... vous avez besoin d'aide mon vieux ? Rentrez ça à l'intérieur. Laisse moi te regarder... exactement comme je te voyais, un peu plus grande peut être. Non pas vous Monsieur, ma nièce. Mais viens, entre. »

... est-ce qu'il faisait la même au ralenti ? Et surtout est-ce qu'il s'arrêtait parfois de parler ? Et enfin... Nana ? Est-ce qu'il l'avait surnommé Nana ?

Leo trépignait sur place comme une gamine à noël. Elle s’était retenue de sortir, c’était déjà ça, mais elle n’en pensait pas moins. Une nouvelle âme qui vive dans cette maison, ce ne serait pas de trop ! N’en déplaise à Donald, qui était le seul colocataire qu’elle ait été en mesure de supporter depuis qu’elle était morte, mais un peu de sang jeune et neuf ne ferait pas de tord à la maisonnée.
Dans l’un de ses nombreux monologues sans fin, Don lui avait raconté l’histoire de sa nièce. Pas jojo franchement, à côté, tomber dans les escaliers et se tuer était presque une belle aventure et si elle pouvait, Leo irait bien donner deux trois cauchemars au parent de cette pauvre petite – littéralement – gamine.

Plutôt jolie, un style plus qu’acceptable, elle passait haut la main la première impression. Et pendant que ce bon vieux Don câlinait sa nièce comme un vieux papa gâteux, la fantômette ne pouvait s’empêcher de se demander si Shayna allait arriver à sentir sa présence comme son oncle. Et, si oui, elle espérait ne pas la faire flipper et fuir.
Oui, c’était une première ! D’habitude, Leo se posait des challenges et des dates butoirs pour terroriser les nouveaux occupants de sa maison. Don l’avait vraiment changée !
Remarquez, un type qui s’enchante d’avoir un esprit à la maison, ça aide à se dire ouais, celui-là il est peut-être sympa finalement.

Disparaissant de la fenêtre du salon pour apparaitre dans le vestibule, Leo entrouvrit même la porte pour le chauffeur de taxi qui avait des valises jusque sous les bras. Sans s’attarder au phénomène, il devait se dire que le vieux avait laissé la porte entrebâillée, l’homme entassa les bagages dans un coin, hélas sans douceur.

« Hey ! Tu pourrais faire gaffe quand même, autrement j’vais dire à Donnie d’être radin sur le pourboire. »

Ah ces types, franchement ! Dès qu’ils étaient certains que personne ne regardait, ils devenaient de vrais cochons. Remarquez, ce précepte était valable pour beaucoup de gens en général.
Le chauffeur retourna dehors pendant que Don et sa nièce approchaient. Leo prit une inspiration – pourquoi je vous le demande, une habitude sûrement – et disparu à nouveau pour retourner dans le living, assise jambes croisées sur le haut bras en cuir du canapé. La première impression, c’était important !
Même lorsqu’on ne pouvait pas la voir ?
Oui, même là. Parce que c’était le test. Leo allait enfin pouvoir savoir si la nièce tenait un peu de son oncle. Une deuxième personne à apprécier sa présence ne serait pas de trop.

« Nop, vraiment pas de trop ! »

Quand l’adolescente passa la porte, Leo plaqua même son plus beau sourire sur son visage de morte. Inutile, comme le reste, mais l’effort, ça compte pas vrai ? L’ectoplasme était, pour une fois, décidée à faire bonne impression !
   

On voyait tout de suite que Donald était une exception dans la famille, les câlins n’étaient pas une pratique courante chez les Lewis. S’il lui avait serré la main, ça l’aurait sans doute moins étonné que cet élan d’affection débordant de sincérité. C’était du moins l’impression qu’elle en avait eu. S’il avait clairement l’air bizarre, il avait également l’air heureux de la recevoir. Elle ne voyait pas de raison de simuler un accueil aussi enthousiaste.
Une fois passé le choc de cette agression de Teddy Bear, Shay avait ouvert la bouche pour au moins dire quelque chose de poli, ne serait-ce qu’un bonjour, mais elle n’en n’avait pas eu l’occasion, son oncle l’avait entraîné avec empressement vers sa maison. Et si enjamber un canard en plastique sur le chemin l’avait bien frappé, elle s’était gardée de faire tout commentaire par respect pour celui qui l’avait sauvé d’un nouveau petit séjour peu sympathique dans un hôpital pour les timbrés en acceptant de l’accueillir chez lui pour une durée indéterminée.

« Tu peux pas t’imaginer à quel point je suis heureux que tu viennes habiter à la maison. On va très bien s’entendre tous les trois. »

Tous les trois ? Elle ne savait pas que Donald avait quelqu’un dans sa vie. A chaque fois qu’elle en avait entendu parler, il rejoignait plutôt la catégorie vieux garçon loufoque, seul dans son monde de Peter Pan et visiblement heureux d’être à part, sans aucune volonté de vouloir changer. Et là, elle résumait de manière assez gentille, son père avait plutôt tendance à employer pas mal de mots vexants à l’égard de son frère. Les « timbrés » n’avaient pas leur place dans une haute société où l’ambition était la première qualité.
Elle-même n’avait plus sa place visiblement.
Non… elle n’allait pas passer sa journée à se morfondre. Elle voulait faire bonne impression. Visiblement, elle avait une note pas trop mal auprès de son oncle, autant que ça ne change pas. Même si oui il avait un canard en plastique qui traînait dans son allée, elle ne partirait pas dans les préjugés de son père. Elle était différente, et manifestement dans le même clan que son oncle :

« Je ne savais pas que tu avais quelqu’un… »
« Ahah, non, non ! Elle doit être magnifique mais notre histoire est impossible tels Samson et Dalida. Et puis, notre relation est plutôt platoniquement amical. »
« Oh… »

Ne cherche pas à comprendre Shayna. Manifestement, il s’agissait de quelque chose qui échappait au commun des mortels. Commun des mortels que Donald semblait pourtant vouloir rejoindre en adoptant des coutumes typiques… genre mettre une banderole « welcome home Nana » sur le mur qui faisait face à la porte. C’était la première chose qu’elle avait remarqué en entrant dans la maison, et à voir l’air fier de son oncle, elle avait supposé que se forcer à sourire était une bonne idée de réponse. Il l’avait ensuite relâché et elle avait pu faire un premier état des lieux dans le salon… assez rapide. Si elle avait constaté la petite table avec la citronnade, les gobelets en plastique et les friandises comme s’il avait prévu une boum pour l’arrivée de sa nièce, son regard s’était arrêté plusieurs secondes sur le canapé avant qu’elle ne lui tourne le dos rapidement.
C’était impossible. Pas déjà. Pas dans cette maison. Donald n’avait pas emménagé avec de la compagnie, non. Et tout ça, pour la simple, bonne et excellente raison qu’elle disait non !
Ne pas lui parler, faire semblant de ne pas la remarquer, et tout irait bien. Elle ne passerait pas pour la timbrée du coin. Tout ça, c’était terminé.

Et tandis que Donald jurait quelque chose à propos de cookies pour quitter la pièce, elle se retrouvait seule en compagnie du Casper des lieux à laquelle elle tournait toujours le dos.
Elle l’avait regardé dans les yeux, l’espace de trois secondes, mais parfois ça pouvait suffire.
Et elle en avait déduit ? Elle ne voulait rien en déduire. Être trop curieuse n’apportait rien de bon et elle ne voulait pas terminer une nouvelle fois planquée comme une idiote sous un lit.
Dans l’entrée, elle avait entendu Donald échanger quelques mots avec le chauffeur de taxi. Pour s’occuper les mains en attendant et principalement ne pas avoir l’air en train d’imiter une statue, elle s’était saisie d’un gobelet et du pichet afin de remplir le premier.

Son plus beau sourire n’allait pas magiquement la faire voir, évidemment. Bien que Leo avait l’habitude d’être ignorée par les vivants, cette fois était quand même un peu blessante. Allez savoir pourquoi en fait. Ce n’était pas comme si elle avait espéré que la nièce de Donald soit différente, si ? Oui, peut-être un peu. Après tout, Donnie était différent. Il ne la voyait peut-être pas et elle ne pouvait peut-être pas avoir ce qu’on appelle des conversations avec le vieux gâteux, mais il demeurait une présence agréable qui prenait la peine de s’adresser à elle.
Du moins, ça c’était avant le regard. Cette microseconde, tout juste suffisante pour qu’une étincelle d’espoir prenne naissance. Elle l’avait vue. Vue comme dans vraiment vue ! Elle s’était plantée les yeux dans les siens et pas par accident, pas parce que ses yeux avaient glissé sur elle sans la voir, non, elle l’avait vraiment vue.

Ouvrant la bouche dans un O de stupeur d’où rien, pas un traitre son, ne sorti, Leo était tellement surprise, qu’en vérité, elle ne savait pas comment réagir à ça. Depuis des mois, elle espérait être vue et entendue par autre chose que des ectoplasmes mornes et ennuyants qui se morfondaient dans une mort dont ils ne voulaient pas. Et, tout d’un coup, ce souhait qu’elle n’avait jamais osé prononcer de vive voix devenait réalité. Elle était vue. Pouvait-elle être entendue ?
C’était peut-être juste son imagination. Car, à force de parler aux murs, il est fort probable qu’ils se mettent à répondre même c’est pour de faux. La folie devait la guetter sûrement. Est-ce que c’était un truc commun aux fantômes ? Ça devait être comme ça qu’ils devenaient des poltergeists.

« Salut ! »

Un peu hésitant sur la première syllabe, plus franc sur la deuxième et on espère avoir eu l’air enjouée.
Une réponse ? Une réaction ? N’importe laquelle, même toute petite. Un signe, microscopique, Leo ne demandait rien de plus. Juste une preuve, ridicule même, qu’elle n’était pas complètement invisible.
   

Evidemment que Donald avait choisi une maison hantée ! ça coulait de sens ! Il avait peut être pensé qu’elle ne se sentirait pas réellement chez elle si elle n’avait pas au minimum un copain Casper avec lequel discuter.
Ok… il ignorait tout de son côté Madame Irma, et heureusement d’ailleurs. Il avait beau être catalogué, visiblement, comme le loufoque du coin, elle ne voulait pas pour autant aborder ce sujet de conversation avec lui… ou avec toute autre personne. La Shayna avec la réputation de timbrée, elle l’avait laissé derrière, très loin derrière… pas assez loin manifestement. Qu’est-ce qu’elle y pouvait si elle attirait le genre de population qui avait déjà une place au cimetière ? Pas grand-chose manifestement, même les petits cachets n’y faisaient rien, alors changer de ville ! Des gens mouraient partout, fallait se faire une raison. Il fallait ignorer.
…
Stratégie qui avait déjà fait ses preuves par le passé dans la catégorie « échec total », mais l’obstination était mère de toutes les débilités. Pardonnons-lui d’essayer vainement de faire amie-amie avec la citronnade. Elle ne savait pas trop pourquoi, elle avait dépassé le stade du « réel » et pas « réel » maintenant, et comprenait bien que l’asile était une étape bien inutile de sa vie, même s’il lui arrivait parfois, pour ne pas dire souvent, d’espérer que tout disparaisse miraculeusement.
Pas de miracle aujourd’hui mais une salutation.

C’était toujours mieux que « viens jouer avec moi » ou « descends à la cave, je te montrerai mon secret », genre d’invitations dont elle n’était pas fan.
Néanmoins, Shayna demeurait crispée malgré le pacifisme de premier abord, elle ne s’était pas retournée tout de suite même s’il était à présent certain qu’elle avait vu qu’elle l’avait vu… ou qu’elle était consciente d’avoir été remarquée si vous préférez.
Qu’est-ce qu’elle espérait à se prendre de passion pour de la citronnade et un gobelet qui gouttait désormais sur le plancher tant elle l’avait froissé ? Dans un soupir et un juron lâché, elle avait reposé son verre sur la table avant de se saisir d’une serviette pour s’essuyer la main.

« Non… »

Non quoi ? C’était une formule magique genre barrière contre les fantômes ?

« Je ne vais pas te répondre parce que je ne suis pas timbrée. Y’a des tas de gens qui le sont pour moi et seront ravis de discuter avec toi. Tu vas hanter une autre maison et me laisser être la petite nouvelle qui débarque au lieu de me faire devenir la nièce folle de l’oncle bizarre du quartier. Je vais prendre un autre gobelet, boire un verre, et quand je vais me retourner tu seras partie. »

On se sert un verre, on boit une gorgée ou deux pour tenir sa parole, et on se retourne avec autant d’espoir qu’on en a encore à bientôt 17 ans de voir le Père Noël débarquer un 25 décembre.

« Et tu es encore là…. Bien sûr que tu es encore là ! Pourquoi tu serais partie après tout ? Pour me faire plaisir ? On se connaît à peine ! »

Moins de cinq minutes, c’était le temps qu’il avait fallu pour ruiner les quelques espoirs qu’elle avait pu avoir pour cette nouvelle vie !
Dans un soupir, elle avait fermé les yeux, blasée. Et maintenant ? Elle prenait ses valises et aller voir ailleurs si l’herbe était plus verte ?
Mouais… la pelouse était partout la même dans le domaine des esprits, fallait le croire en tout cas au vu de son expérience. Néanmoins, stratégie inutile ou pas, elle n’en avait pas moins fait quelques pas vers l’arrière. D’accord, la brune n’avait pas l’air d’auditionner pour un nouveau film d’horreur terrifiant, mais fallait pas se fier aux apparences sympathiques, les pires n’étaient pas toujours ceux avec la tronçonneuse en évidence.

Leo… ne s’attendait pas à ça. En fait, elle n’était pas certaine de s’être attendue à quoi que ce soit, trop habituée maintenant d’être royalement ignorée de tous, à croire qu’elle n’existait pas. Et elle n’existait pas. Les morts n’existaient plus que dans les souvenirs des vivants qu’ils laissaient derrière eux. Et cette fille, elle ne savait même pas qu’elle avait un beau jour existée.
L’espoir, néanmoins, l’avait conduite à croire que peut-être… mais jamais elle n’aurait cru une telle réaction. La nièce de Donald faisait pas que sentir sa présence comme son oncle. Elle l’entendait et la voyait. En tout cas, c’était ce que portait à croire ses yeux fixés droits dans les siens et le fait qu’elle lui parlait ouvertement. Comme si Leo était toujours faite de chair et d’os.

C’était absolument stupéfiant. Tellement que même elle se retrouva sans voix. Depuis sa mort, elle avait rarement été bouchée, encore moins par ce qu’un vivant pouvait dire, mais celle-là était différente. Elle pouvait la voir, l’entendre et lui répondre. Leo avait oublié ce que ça faisait de pouvoir être en contact direct avec quelqu’un.
Elle aurait pu associer ça à une douce chaleur se répandant dans tout son être. À condition que le froid de la mort lui ait permis de ressentir quoi que ce soit.

Un long moment, la fantômette demeura figée comme un ectoplasme pris dans la glace sans qu’elle ne le réalise vraiment. Le temps, on le percevait différemment une fois mort.
Alors, lorsque Shayna se tourna vers elle une seconde fois, déplorant avec mépris qu’elle était toujours là, Leo se dit qu’il serait peut-être temps de réagir en retour…

« Aaaaaaaaaaaaah ! »

Son long cri à la fois hystérique et joyeux aurait été en mesure d’alerter tout le quartier si sa voix avait pu être entendue de quelqu’un d’autre que la nièce de Donnie.

« Tu peux me voir ?! »

C’était une évidence, mais poser la question était une manière de s’assurer qu’elle ne rêvait pas. Ce qui était un doute bien stupide pour un fantôme. Les esprits ne dormaient pas et, donc, ne rêvaient pas.

« Aaaaaaah, mon dieu ! »

Reprenant ses cris, elle sautillait partout comme une enfant à qui on aurait annoncé qu’elle partait pour Disney. À quelques reprises, elle disparut de l’endroit où elle se trouvait pour réapparaitre autre part dans  la pièce et son aura se grésilla également une fois ou deux. Pétillante de joie incontrôlée, cela se répercutait jusque dans les moindres fibres de son corps.

« Oh mon dieu. »

Cessant soudain ses sauts trépignant, Leo réalisa  d’un coup ce que cette capacité pouvait coûter à la jeune fille qui lui faisait face. L’étendue de sa réaction hargneuse était un indice qui foudroya Leo aussi sûrement que la foudre.

« Je voulais pas te faire peur, je suis désolée. C’est que… Ça fait si longtemps, tu vois ? »
   

C’était quoi ce cri ? Une motivation avant l’attaque ? Curieuse manière de se motiver. Si le fantôme n’avait pas été fantôme, Shayna aurait dit que ça ressemblait très fortement au cri hystérique d’une adolescente qui vient d’apprendre que son père lui a dégotté une place pour le concert de l’année, celui de son idole. Et si elle doutait fort que la principale motivation d’un Casper était d’hanter son idole, quoique, il n’en demeurait pas moins que ce cri ne se rapprochait pas, de près comme de loin, à quelque chose de menaçant. Pourtant, sur le coup, elle avait sursauté, s’attendant sans doute à voir l’ectoplasme charger et se préparant à la charge avec pour seule défense gobelets, citronnade, gâteaux et autres bonbons aux formes amusantes. Bien que l’idée de balancer une mâchoire en gélatine pouvait s’avérer tentante quand on avait rien de mieux sous la main, Shay s’était contentée d’un mouvement de recul, s’accrochant inutilement à la table.
Ce n’était qu’après avoir eu ce réflexe de défense bien inutile qu’elle avait pris le temps d’analyser davantage la réaction de la « colocataire » de l’oncle Donald.
En dehors du fait qu’elle se téléportait un peu partout, la jolie brune avait plutôt l’air de manifester de l’excitation joyeuse et son comportement ne semblait pas être celui d’une malade mentale assoiffée de sang qui profitait de sa mort pour faire payer aux vivants le fait de respirer encore.

« Yep… »

Si la formule était décontractée, le ton restait méfiant. Oui, elle pouvait la voir et non elle n’en était pas aussi enchantée qu’elle. Il y avait des tas d’autres dons beaucoup plus cool que le sien chez les supers héros ! Ce n’était pas le moment de virer geek… geek et cinglée, elle ne serait même plus acceptée dans un club d’échec avec de tels traits de caractère.
Tâchant de garder le calme minimum, la manœuvre se révélait assez compliquée quand on était face au Marsupilami des fantômes. Le regard de Shay passant d’un coin à l’autre de la pièce au fur et à mesure des téléportations, elle tâchait manifestement de ne pas quitter la menace des yeux. Et si le terme de « menace » ne correspondait pas réellement, il n’en demeurait pas moins qu’un fantôme qui disparaissait n’avait pas le pouvoir de vous mettre miraculeusement à l’aise, bien au contraire.
Elle ne voulait pas lui faire peur ? :

« Alors arrête ! Arrête de faire ça, disparaître et réapparaître. Ça me rend nerveuse ! »

Et qui ne le saurait pas ? Même ses « camarades asiliens » le sauraient alors qu’ils voyaient de faux fantômes et amis imaginaires. En fait, ce genre de comportement déclencherait fatalement une réaction de panique qui mènerait au chaos dans un hôpital psychiatrique.
Expirant l’air de ses poumons, la rouquine avait tenté de retrouver un début de calme intérieur. Ok, elle n’était pas habituée à ce genre de réactions chez ce type d'individus et la brune n’avait pas l’air de planquer un couteau, mais on apprenait bien vite à demeurer sur ses gardes quand on était Haley Joel :

« Si longtemps que quoi ? Que tu n’as pas eu l’occasion de terro… oh, non, non, non. J’arrête. Je ne vais pas commencer à faire la conversation. Il faut que tu t’en ailles, dans une autre maison, faire voler d’autres lampes. Moi, j’ai déjà donné. Je suis en vacances… non, à la retraite ! Pourquoi je te parle encore ? »

C’était une bonne question. Avec, pourquoi elle lui parlait aussi sans lancer un truc un peu flippant de son histoire passé ?

« Oh, désolé. »

Sur ce coup, peut-être que Leo s’était laissée emportée.
Joignant les mains sagement devant elle, la fantôme essaya de calmer son hystérie joyeuse au mieux pour au moins stabiliser son aura. Elle grésilla encore quelques instants, mais finalement, finit par arriver à se figer à quelques mètres de distance de la rousse. Leo n’avait pas été psychiatre dans sa vie, mais savait reconnaître quand une personne avait besoin de son espace. Ce n’était pas facile à accorder, la notion de distance perdait de son sens lorsque les gens pouvaient vous passer à travers sans même réaliser que vous vous trouviez là, mais la morte était déterminée à prouver sa bonne foi en faisant des efforts.

« Je le contrôle pas toujours. »

Elle fit la moue. Il y avait sûrement un tas de choses qu’elle ne savait même pas encore faire et être tangible ne fonctionnait que pour bouger de petits objets… huhu, comme les condiments du stand à hot-dogs. Ce n’était que bien fait pour cette femme! Vraiment, il devrait y avoir des lois pour ça. Peut-être que Leo devrait aller hanter un député ou deux pour faire passer quelques idées au gouvernement? À réfléchir…

Mais de son côté, la jolie rousse ne semblait pas décidée à faire des efforts pour collaborer. Hey oh, pour qui elle se prenait, à peine arriver, à la sommer de quitter sa propre maison comme ça? Quel culot!

« Huh huh » refusa-t-elle en croisant les bras. « J’y suis, j’y reste. Et, de toute manière, c’est Donnie le chef de maison et il m’a à la bonne. »

Clairement, autrement, il ne passerait pas autant de temps à lui parler. Parfois, il lui proposait même du thé et des petits gâteaux, comme s’il oubliait jusqu’au fait qu’elle était invisible pour lui.
De toute manière, Leo ne comptait pas quitter sa maison juste parce qu’on ne voulait pas d’elle. Que Shayna demande à tous les prêtres de la région de venir purifier les lieux, rien ne fonctionnerait. Le véritable propriétaire était son fiancé – ou plutôt son ex, devrait-on dire – et il ne faisait que louer la maison à Don. Alors même si Donnie décidait de prendre le côté de sa nièce sur ce coup – une éhontée trahison ce serait, rien de moins, vue les mois de vie commune qu’ils avaient à leur actif – rien n’y ferait!

« Mais relaxe à la fin. »

Leo décroisa les bras et abandonna son attitude de poltergeist pour une expression plus conciliante. Cette pauvre fille semblait vivre beaucoup de stress.

« J’ai pas l’intention de t’attraper par les chevilles et te trainer sous le lit. Pas la peine d’entretenir tes ongles pour laisser des marques sur le parquet. »

Ruiner cette manucure serait un véritable gâchis et Leo était peut-être morte, mais elle avait encore du respect pour les choses qui sont sacrées. Et puis, ce parquet était du véritable bois vernis! À ajouter aux choses sacrées, prenez bien note s’il vous plait.

« J’ai pas eu de conversation civilisée depuis un bail, je vais pas faire mourir de peur la seule personne du voisinage qui semble savoir ce que signifie Louis Vuitton quand même. »

Difficile de percevoir Leo comme appartenant à ce genre de personne – morte ou vivante – elle-même. Mourir dans une chemise d’homme et la condamner à porter ce vêtement pour l’éternité ne lui rendait pas justice. Avoir su, elle se serait mise sur son trente et un pour le grand jour. D’ailleurs, pensez-y bien lorsque vous quitter la maison le matin. Si cette notion était plus répandue, on verrait sans doute moins de vieux joggings pourris dans les supermarchés!
   

Ok y'avait un mieux. Casper au féminin avait finalement cessé de se la jouer Jumper en restant à une même place... et une même place pas trop proche d'elle, définitivement un choix judicieux !
Mais, mieux ou pas, elle était toujours morte, ce qui faisait d'elles deux personnes avec une distance plus grande que ça à respecter. Une distance si grande qu'elles ne devraient jamais se trouver dans la même pièce, voir dans la même ville !
Elle le savait, inutile de le lui dire, elle en demandait trop. C'était impossible. Et si elle s'obstinait à prendre la fuite, elle était consciente intérieurement du ridicule de la situation. Qu'est-ce qu'elle y pouvait si elle n'était pas assez folle pour que son instinct de survie ne fonctionne plus ? Méfiance naturelle quand on avait pas connu des compatriotes très sympathiques de la brunette, elle était donc restée sur ses gardes malgré la bonne volonté dont semblait vouloir faire preuve la jeune femme. Bonne volonté qui semblait pourtant connaître déjà ses limites.
Si lui demander de rester en place était une condition acceptable, lui demander de débarrasser le plancher était balayé d'un simple revers de la main sans réflexion.

« Tu sais, la voisine doit... attends une minute, Donald te voit ?! »

Et voilà que soudainement, elle posait des questions ! Pour quelqu'un qui ne voulait pas faire la conversation il y a deux minutes, c'était un comble !
Ok, Casper Girl avait le droit de lui balancer une réplique de ce goût là... mais l'alignement de mots sans protestations se valait bien. Donald l'avait à la bonne... inutile d'avoir un cerveau qui débordait de sa boîte crânienne pour en déduire qu'elle n'était peut être pas la seule timbrée de la famille.
...
Haley Joel ou pas... son oncle décrochait le rôle... et même si notre seuil de tolérance à la folie était plus qu'acceptable.
Dans le même registre d'analyse psychologique, le fantôme de la maison méritait qu'on se questionne à deux fois sur la classification des esprits dans la catégorie "méchants à éviter à tout prix". C'est vrai, dans l'attitude, elle n'avait pas l'air de vouloir prendre le même chemin que certains de ses frères et soeurs avant elle... et dans le comportement non plus. Quels intérêts avaient-elle de faire semblant alors que mordre tout de suite avait le même effet ? Oh y'en avait ! Certains étaient joueurs ! On pouvait être mort et fourbe, l'un n'empêchait pas l'autre.
... mais ?
Disons que soit elle jouait très bien la comédie, soit il émanait réellement d'elle quelque chose de différent :

« Bonne nouvelle ! Si tu pouvais t'en rappeler ad vitam eternam, ce serait encore mieux. »

"Ad vitam eternam" ? Mauvais choix de terme !

« Etant donné que le déménagement n'est pas une option, ou est en tout cas une option inutile... bien que j'aurai bien le réflexe inutile de le tenter... je veux bien réfléchir à l'idée de croire à ce que tu me dis. »

C'était un début ! Mais c'était la mention "Louis Vuitton" qui avait eu sa bonne influence ?
... Ok p'têtre bien que c'était un plus dans cette proposition qui ressemblait à un contrat à l'essai.
Et parce qu'elle était morte, et potentiellement instable, elle lui épargnerait son commentaire après analyse de la chemise portée. Quand on disait que la mort était injuste ! Et encore, Leo pouvait s'estimer chanceuse, elle avait vu bien pire ! Les fantômes des années 70 à 80 devaient avoir des envies de suicide chaque fois qu'ils passaient devant un miroir.

« Nop. »

Leo fit la moue. Sa réaction face à Shayna aurait probablement été moins déchainée si ça avait été le cas, mais hélas, l’oncle Don n’avait pas le talent de sa nièce.

« Il est très sensible à ma présence par contre et on s’aime bien. »

C’était loin d’une romance, mais deux âmes solitaires comme les leurs trouvaient réconfort à pouvoir échanger avec quelqu’un, même si ce quelqu’un était incapable de répondre. Parler dans le vide à une personne que vous arriviez à sentir, d’une certaine manière, demeurait plus doux que la solitude dure et franche dans laquelle l’un et l’autre était plongé depuis longtemps.

« Mes précédents colocataires étaient bien moins sympa avec les gens comme moi. »

Se faire proposer des gâteaux, même si on ne pouvait pas les toucher, c’était plus agréable que de voir l’exorciseur des pages jaunes débarquer avec son eau bénite et ses charabias de charlatan à deux balles.
En fait, si ce n’était du fait que la rousse était la nièce de Donnie, Leo l’aurait déjà mise dans la catégorie des gens pas sympa. Toutefois, il semblait y avoir de l’espoir puisqu’elle voulait bien reconsidérer le caractère dangereux de Leo. C’était aussi bien car cette jeune fille apprendrait bientôt que le seul danger que la fantômette pouvait représenter pour elle était celui de lui interdire de sortir de la maison si elle portait l’un de ces affreux assortiments sportifs fait en serviette éponge.
La clé était de donner un peu de temps à l’adolescente pour s’acclimater. Pour Don, Leo était prête à le faire, ce qui montrait à quel point elle pouvait apprécier le vieux bonhomme passionné de nains de jardin !

« Cool ! Alors on va faire comme ça. Tu respires, tu bois une limonade, tu t’installes tranquillement et pendant ce temps-là, je retourne sur ma terrasse de la rue Bourbon ! T’as pas idée à quel point cette ville devrait engager de la fashion-police. »

Nous dirons que la Nouvelle Orléans avait de la chance d’avoir un fantôme avec rien de mieux à faire de son temps que de donner des leçons à ces criminels éhontés.
Un petit pot des épaules et un sourire de gamine qui voyait son idole à la télé plus tard, Leo sentait que malgré des débuts peu envieux, cette rencontre miraculeuse allait en devenir une bonne sous peu.

« Si je repère du mâle potable, je prends note et je te raconte à mon retour. »

Un petit clin d’œil et pouff, elle n’était plus là.
Pour une première approche, c’était très acceptable. Mieux que certaines dont elle avait gratifiés d’autres nouveaux arrivants dans sa maison. Les avant derniers avaient eu droit à la jonglerie de leur vaisselle en porcelaine. Ils auraient pu applaudir la performance au lieu de fuir en courant et en hurlant. Après tout, Leo avait été capable de faire quatre tours complets avant que les assiettes ne commencent à s’écraser sur le sol pour se briser !
   

Oui, ça aurait été un peu gros. La nièce timbrée, délaissée par ses parents, qui vient emménager chez son oncle tout aussi timbré et délaissé qu'elle. Dès le début du film, on apprend qu'au final, l'un comme l'autre n'est peut être pas si timbré que ça et qu'ils voient tous les deux des gens qui sont morts. Définitivement, ça aurait été un peu gros, le genre de scénario qui n'aurait peut être même pas vu le jour au cinéma tant il manquait en rebondissements.
Et pourtant, une fraction de seconde, Shayna avait espéré que le fantôme qui avait élu domicile chez Donald lui déclare qu'elle se tapait des conversations avec lui depuis pas mal de temps maintenant.

« Oh... »

Elle n'avait même pas cherché à masquer la déception qui avait pris place sur son visage. C'était peut être un peu égoïste étant donné qu'elle ne possédait pas le don le plus cool du monde, mais le partager avec son oncle aurait été une bonne nouvelle pour elle. Oui, elle aurait été contente d'apprendre qu'il était un traumatisé de la vie tout comme elle.
A défaut, il semblait être une personne sympathique au point qu'un esprit, qu'il ne voyait même pas, semblait beaucoup l'apprécier. C'est vrai que d'entrée de jeu, il avait l'air pas mal bizarre, mais elle ne pouvait pas nier qu'il avait eu une approche sympathique. Être cool n'était cependant pas un argument qui avait compté pour Monsieur Lewis.
Dans le rôle du fou, il lui arrivait de se demander comment son père s'en serait tiré. Probable que s'il avait été un Haley Joel, il se serait bourré de cachets pour ignorer complètement ce qu'il ne pouvait ignorer. Elle avait bien essayé d'adopter l'attitude de la normalité mais, fallait se faire une raison, ce n'était pas la plus intelligente.

Ici, avec la demoiselle morte du coin au prénom encore inconnu, son père aurait peut être pris la fuite. ça, ou il l'aurait ignoré complètement dans un premier temps.
Shay était cependant la seule concernée par le problème, et alors qu'elle acceptait de réfléchir à la situation sous un angle différent, l'inconnue démontrait une nouvelle fois qu'elle ne se plaçait pas parmi les rôles de grands méchants d'un film d'horreur.
Malgré elle, la rouquine avait même eu l'ombre d'un sourire tandis que la femme en chemise débitait les projets de sa journée. A l'entendre, vivante, elle aurait sans doute discuter avec elle plus d'une fois. En fait, avec un début pareil, elle se serait probablement liée d’amitié avec elle de manière naturelle.
Quelque chose l'empêchait aujourd'hui ?
Fallait voir... elle n'était pas partie en lui balançant un truc à la gueule. Elle n'avait toutefois pas eu l'opportunité de trouver un mot ou deux à répondre, son oncle était revenu dans la pièce, clairement essoufflé, et s'était posté à côté de son petit goûter préparé. Et alors qu'il mordait dans un muffin étrange de couleur violente, il s'était remis à parler sans manifester la moindre gêne au fait d'avoir une quasi inconnue qui se tapait l'incruste chez lui :

« Alors, t'as goûté ? Qu'est-ce t'en penses ? C'est une recette que j'ai trouvé dans un bouquin de chimie. C'est les muffins du futur ! J'ai monté une partie de tes valises... elles sont toutes là hein ? »

Comme s'il avait dit une énormité, les sourcils de Shayna s'étaient levés avant qu'elle ne secoue la tête :

« Évidemment que non ! Même avec le supplément, c'est compliqué de prendre la moitié de ses affaires en avion. Les compagnies aériennes ne pensent pas aux personnes qui déménagent et ne vivent pas que de tongs et de maillots de bains ! »
« Je suis content de voir que tu as une langue... viens, je vais te montrer ta chambre. »

Il aurait du faire une crise cardiaque à la mention d'autres affaires qui arriveraient plus tard, mais un sourire à la fois rassuré et ravi était passé sur son visage avant qu'il n'entraîne sa nièce en la prenant pas le bras.
D'accord, l'inconnue en chemise avait au moins le mérite de dire la vérité, Donald semblait être une personne sympathique... timbré, mais mignon à sa façon.