« Nul… Nul… Nul… Re-nul… Suprême nul… »

À chaque clignement des yeux, la chaine de radio de la voiture changeait. Un petit tour d’ectoplasme qui lui avait pris des mois à maitriser et qui n’avait pas son pareil pour rendre les gens complètements dingues.
Mais pas aujourd’hui !
Aujourd’hui, ceux qui pourraient croire la conductrice du véhicule mentalement atteinte —à un degré plus ou moins sévère— ne pourraient pas blâmer Leo… Oui bon, peut-être un peu, mais pas seulement elle, pour changer ! Car croyez-le ou non —on désapprouve fortement de ne pas croire, ça pourrait mettre la poltergeist sur les dents— mais la nièce de Donnie se révélait capable de voir les esprits !
Plus ou moins tous, à ce qu’avait compris Leo, et souvent les plus glauques de tous question de filer des cauchemars à une pauvre rouquine depuis sa plus tendre enfance.
Mais Leo n’appartenait pas à la catégorie des fantômes qui font peur. À moins d’être une horreur de la mode sur deux pattes, cependant, vous êtes prévenus. Ne sortez plus en baggy de sport, gens de la Nouvelle Orléans, car ceci pourrait se faire à vos risques et périls !

« Ça c’est pas nul, c’est carrément un assassinat auditif, heureusement que je suis déjà morte ! »

Un autre clignement des yeux et l’habitacle s’emplie de la très connue chanson I will survive.

« On passera l’ironie. »

Encore un petit coup et cette fois-ci, Leo s’arrêta quelques secondes pour bien écouter. Lentement, sa tête se mit à bouger en rythme avec la musique et un sourire se forma graduellement sur ses lèvres.

« Oh, c’est bien ça ! C’est nouveau ? »

Elle s’enquit du côté de la rousse qui tenait le volant. Il faut dire que depuis qu’elle était morte, elle avait très certainement raté un tub ou deux, il ne fallait pas trop lui en tenir rigueur. Pour une morte, elle faisait néanmoins son possible pour rester à la page !
Et, pour l’une des premières fois de l’histoire, une fille put danser comme une idiote dans une voiture sans que le chauffeur d’à côté ne lui jette un regard empli de jugement au feu de circulation.
Qui avait dit qu’il n’y avait que des mauvais côtés à la mort ? Certainement pas Leo en tout cas !

« Tu sais, ça faisait trop longtemps que j’étais pas sortie en voiture avec une copine ! »

Les détails étaient flous, mais elle n’était même pas certaine de l’avoir fait récemment avant sa mort. Peut-être pour ça que sa vie ne lui manquait pas tellement au final…
   

Si on lui avait dit un jour qu'elle se ferait une virée en voiture avec une fantôme, Shayna ne l'aurait probablement pas cru. Elle avait beau voir l'esprit, elle n'en n'était pas pour autant la meilleure amie d'un Casper. En fait, on pourrait même la qualifier d'associale envers cette catégorie de "marcheurs sur terre" étant donné ses nombreux efforts inutiles pour les éviter au maximum. Pour sa défense, elle n'avait pas rencontré la crème de la crème en la matière. C'était même plutôt l'inverse et chaque rencontre, assez nombreuse dans sa vie, n'avait pas gravé un souvenir très agréable dans sa mémoire.
Alors est-ce que quelqu'un pouvait nous expliquer pourquoi le siège passager à l'avant était désormais occupé par une jolie brune aussi morte que pouvait l'être Lady Di ? N'était-ce pas d'ailleurs la même brune dont elle avait fait la rencontre à son arrivée chez l'oncle Donald ?
Et si... mais cette brune portait un prénom désormais. Ce n'était plus que l'esprit à éviter, c'était Leonora, Leo pour les intimes... et en fait, elle n'était pas si "à éviter" que ça tout compte fait.
A moins évidemment que faire une virée en voiture et en musique pour zapper celles qui n'auraient jamais dû exister était en réalité un plan démoniaque... donc oui, d'esprit elle était devenue Leonora... de Leonora, elle était devenue simplement Leo.
Et plus la brune affichait ses goûts musicaux, plus la rousse avait envie de déclarer sa flamme. Ce qui n’avait pas tardé, quelques secondes plus tard, quand sa passagère avait parlé d’assassinat :

« Enfin quelqu’un qui est d’accord avec moi ! Tout le monde adore ce truc et si tu veux t’intégrer socialement, t’es obligée de supporter ça au moins une fois dans une soirée ! »

Mais où était-elle tout ce temps ?
Probablement dans son cercueil. Et oui, il fallait que son âme sœur soit déjà morte. La vie était parfois mal faite.
A la nouvelle musique qui avait trouvé grâce aux oreilles de Leo, Shay s’était contentée d’hocher la tête pour répondre avant de monter un peu le son. Pour des personnes extérieures et « malvoyantes », il y avait une jeune fille en train de s’offrir une chorégraphie solo au volant de sa voiture. En fait, pour Shay, il y avait déjà deux copines en train de pratiquer une activité tout ce qu’il y avait de plus naturel dans une relation sociale.
Si on retirait le fait que l’une était morte, et que l’autre voyait les morts. Finalement, ça n’avait plus autant d’importance que ça… en tout cas, pour qu’elle sourit à la remarque de sa nouvelle « copine », ça ne devait plus en avoir tant que ça :

« Bizarrement… moi non plus. »

C’était elle qui disait ça ? Elle était toujours entourée ! En général, elle s’arrangeait pour monter en haut de l’échelle sociale rapidement quand elle changeait de ville. Sa dernière virée en voiture entre copines ne devait pas remonter à si loin !
Quelque part… elle avait l’impression que si. Leo était différente, et pas uniquement parce qu’elle ne respirait plus.

« Ouais bha laisse-moi te dire un truc que j’ai découvert à observer les vivants. La majorité n’a aucun goût en plus d’être débile. »

Le pire, Leo faisait peut-être partie de cette catégorie lorsqu’elle était en vie. Du moins, elle avait retracé et observé quelques personnes qui composaient son cercle social lorsqu’elle respirait encore et ce n’était franchement pas joli.  C’était tous des archétypes les uns des autres en plus d’être sacrément ennuyeux.
Peut-être était-ce la mort qui avait fait revoir ses priorités à Leo. Peut-être aussi qu’elle ne s’était jamais réellement senti à sa place au milieu de ces gens et que la mort l’avait libérée de cette prison. Peut-être aussi qu’elle n’avait alors aucun ami et que ces gens s’étaient présentés à ses obsèques par politesse ou quelque chose comme ça.
Ce qu’elle savait cependant, c’était que la population, en masse, avait tendance à devenir stupide et mouton au possible.

Mais il y avait encore de l’espoir dans ce bas monde en la personne de cette rousse particulière avec qui, enfin, elle pouvait échanger des mots plutôt que de faire naitre les cris d’effroi. Une rousse avec un bon goût prononcé qui arrivait à voir les morts. Leo avait envie d’évoquer ce mot ridicule qu’était le destin. Donnie était un homme respectable qu’elle avait jugé méritant de vivre sous son toit à elle. Qu’il ait cette nièce qui vienne y vivre avec lui quelques mois plus tard ? Oui, Leo oserait presque prononcer ce mot.

À la mention de la balade en voiture qui datait également pour Shay, Leo eut un sourire. Les deux filles s’étaient bizarrement trouvées au final. Mais s’il avait fallu à la défunte de mourir pour rencontrer la rousse, alors elle signait deux fois plutôt qu’une. Pour ce qu’elle en savait, la poltergeist était mieux dans sa peau depuis qu’elle se trouvait six pieds sous terre et la rencontre de Shay était un bonus, la cerise sur le sundae !

Le feu passa au vert et la voiture se remit à avancer. Et si plus tard on trouverait à dire qu’il s’agissait là encore de l’intervention de cette chose bizarroïde qu’était le destin, ce n’était pas ce mot qui venait aux lèvres de la fantômette lorsqu’elle vit ce truc énorme et blond bondir dans la rue.

« ATTENTION ! »
   

« Alors là je peux que t’approuver ! T’aurais vu les cheveux de cette femme quand j’ai déposé mon dossier d’inscription au lycée. L’enseignement c’est important, mais elle devrait prendre le temps de s’arrêter par le rayon soins des cheveux dans un premier temps. Et puis à la cinquantaine proche… une barrette hello kitty ? Le Monde va mal Leo… très mal ! »

Et elle, elle allait mieux !
C’était un peu prématuré, c’est sûr. Elle ne connaissait pas Leo depuis longtemps. Mais elle se sentait moins seule. Elle était complètement timbrée, Leo était morte, elle représentait ce qu’elle voulait éviter… mais elle s’était déjà habituée à sa présence. Curieusement, elle se sentait mieux quand la brune était dans le coin.
C’était bizarre non ?
… elle n’était peut-être pas comme les autres, elle ne lui donnait pas envie de se recroqueviller, de se planquer… mais elle restait ce qu’elle voulait changer en elle. Elle voulait être une lycéenne normale qui allait au lycée pour parler de sujets futiles et éventuellement apprendre des trucs… même si le niveau était de plus en plus bas dans ce genre d’établissement.
Et voilà qu’elle se retrouvait à apprécier la présence d’une morte.

A dire vrai, elle faisait plus que l’apprécier.
Depuis quelques jours, elle ressentait même le besoin de lui parler. Comme si Leo pouvait l’aider quelque part.
Elle lui faisait déjà confiance plus qu’à ses propres parents.
… ok, là-dessus, il n’y avait pas de mal !
Et si elle se faisait déjà la remarque que c’était étrange de s’attacher si vite à une revenante, elle n’était pas au bout de ses surprises. Elle ignorait à quel point Leo allait devenir importante dans sa vie… et que devant le surnom, il y aurait bientôt un possessif : sa Leo.

Pour l’instant, la journée était placée sous un autre signe. Sous le signe « écrasons un géant »… par accident, il fallait tout de même le préciser.
Elle avait redémarré après le feu et elle n’avait vu aucun panneau « attention, traversée de colosses étranges ». Le seul signal qu’elle avait eu, c’était Leo qui l’avait averti. Elle n’aurait pas été légèrement distraite par la musique et ce moment sympathique, peut-être qu’elle l’aurait vu une seconde plus tôt, deux pas plus. Là, si elle avait poussé à fond de son pied sur la pédale de frein, ça n’avait pas empêché le choc… violent.
Une main toujours rivée sur le volant, l’autre était venue se poser dans sa nuque dans un « aouh ». C’était la seule seconde qu’elle avait pris pour se plaindre avant que le cheminement ne se fasse à son cerveau

« Oh mon Dieu. »

« Oh mon colosse » plutôt. Mais laissons-lui le temps de descendre de sa voiture, l’air terrifié, pour constater cette nuance.
Détachant sa ceinture, après un regard pour sa camarade, la rousse était descendue de voiture dans un genre de prière qui ressemblait à peu près à :

« Ne sois pas mort, ne sois pas mort, ne sois pas mort…. »

Rassure toi Shay, au moins, vu tes capacités, t’auras la chance de t’excuser si jamais il l’est !
Rapidement, elle était arrivée au-devant de sa voiture pour voir le blond qu’elle avait renversé se redresser… longuement. Et pas parce qu’il était en piteux état… mais parce qu’il était grand… vraiment très grand… vraiment très très grand. Mais c’était quoi ce truc ?
Un homme Shay, un homme. Inutile d’avoir un mouvement de recul, il ne va pas te bouffer. Sauf s’il est en colère que tu l’aies renversé… ce qui peut éventuellement être fort probable.
Ça lui avait pris quelques secondes, franchement ce type était assez impressionnant, pour que les mots quittent enfin sa bouche :

« Vous allez bien ? Je suis désolée, je ne vous ai pas vu, vous êtes arrivé de nul part et… et… et…. »

Et quoi ?
Y’avait un carnaval dans le coin ?

L’impact était inévitable. Et contrairement à Shay qui avait un corps tangible qui pouvait être malmener dans ce genre de collision, Leo poursuivit sa route à travers le pare-brise et lorsqu’elle osa de nouveau ouvrir les yeux —stupide réflexe quand même pour une morte— elle se trouvait sur le bitume, au milieu de la rue où les concerts de klaxons n’avaient pas tardés à chanter. Les voitures ne bougèrent plus, certains amorçaient même une sortie de leur véhicule pour s’enquérir plus précisément de ce qui venait d’arriver.
Leo, quant à elle, se redressa  en remettant un ordre inutile à ses cheveux. Elle épousseta ses vêtements bien que leur allure n’avait pas changé d’un traitre poil et porta ensuite son attention à la rouquine qui s’extirpait de sa voiture, l’air choqué.

« Ça va, t’as rien ? »

Elle ne s’attendait pas au même retour d’inquiétude. Il faut dire qu’une collision ne pouvait pas vraiment abimer un fantôme plus que ce que sa mort lui avait fait.
Ce fut seulement ensuite, que l’ectoplasme porta plus d’attention à la raison de tout ce chaos. Un blond écroulé par terre. Leo n’eut pas le temps de demander s’il était mort —davantage son champ d’expertise que celui de quiconque dans la rue, soyons franc— que le type se redressa en grognant. Et on avait envie de dire qu’il se redressait deux fois plutôt qu’une, vu à quelle hauteur il se déplia. Ouais ce type était grand. Et baraqué. Et pas mal, bien que plutôt jeune. Il eut la qualité d’arracher un sifflement admiratif du côté du fantôme.
Si vous pensez que la fantômette devait revoir ses priorités en cas d’accident, sachez chers amis que la mort a le don de relativiser les choses. Nous pourrions même dire que pendant une seconde Leo regretta que celui-là ait si bien encaissé le choc. Il aurait été d’une agréable compagnie pour les yeux une fois dans l’autre monde.
Intéressant pour les yeux, non seulement d’une question de physique mais également d’allure.

« C’est quoi ces fringues ? »

Encore une fois, nous nous excusons des priorités décalées de la morte ici présente. Elle n’était plus en contact avec les vivants depuis trop longtemps, hélas. Nul doute que cette amitié naissante avec Shayna allait lui rendre service de ce côté.
   

Eirik comprenait de moins en moins où il se trouvait. Était-ce toujours le même monde ? Que lui avait fait cette sorcière ? Après avoir réussi à s’enfuir il avait couru. Toutes ces choses étranges et incongrues le terrifiaient bien plus que l’idée de mourir. Autour de lui, des gens, aussi semblable que pouvaient l’être ceux de son village, à l’exception de ce qu’ils portaient, l’observaient comme une bête curieuse. Regard qu’il leur renvoyait sans grande peine.
Où était-il ? Mais surtout, comment rentrer chez-lui ? L’un des guerriers lui avait dit qu’ils ne lui voulaient aucun mal, mais il n’y croyait pas trop.

Une fraction de seconde il eut envie de rebrousser chemin. Comment espérait-il retrouver cette satanée sorcière dans cet endroit insolite empli d’étranges bizarreries ? Mais d’où il venait comme où il allait, rien ne pouvait lui prêter main forte. Il préférait encore se débrouiller tout seul que de se faire enchainer à nouveau.
Chaines qui, d’ailleurs, trainaient encore autour de lui et l’encombraient assez pour que ça devienne agaçant.

À un moment, il s’arrêta près d’un piquet en acier, y passa la chaine pour la tendre au maximum. Puis il tira avec force. Lentement, très lentement, les mailles qui liaient la chaine aux entraves commencèrent à s’écarter. Le piquet se tordit dans un bruit sinistre, mais Eirik espéra qu’il tienne bon le temps de se débarrasser de ce poids mort. Et il tint bon. En ce qui concernait les bracelets eux-mêmes, il aurait tout le temps de voir ça plus tard. Lorsqu’il se jugerait en sécurité, si pareille chose pouvait être possible dans un univers tel que celui-là.

Perdu et sous le choc, le blond ne savait plus où donner de la tête tant tout ce qu’il voyait lui paraissait complètement surréaliste. Le plus étonnant d’entre tout était ces sortes de chars qui avançaient sans cheval pour les tirer. Ils roulaient si vite et tout seul, comme par enchantement. Peut-être la sorcière l’avait-elle entrainé dans un monde où la magie était beaucoup plus utilisée et présente que chez-lui ?

Soudain, l’une de ces étranges choses ce jeta sur lui sans qu’il ne l’ait provoquée. Le choc fut brutal et le propulsa sur un sol tout aussi bizarre que tout ce qui l’entourait. Mais où était-il tomber par tous les Dieux ?!
Sonné, comme s’il n’avait pas déjà suffisamment mal au crâne comme ça, Eirik mit un temps avant de pouvoir retrouver assez de contenance pour se relever. Ce qu’il fit en serrant les dents. Le sang pulsait dans ses veines et ses tempes menaçaient d’éclater. Il grogna, autant pour expulser la douleur que se donner assez de force pour tenir sur ses pieds.

Il y eut encore des mots qu’il ne comprit pas le moins du monde et la lumière sembla défaillir un instant avant de revenir. Étourdit, il manqua de peu de s’écrouler encore, mais la colère le poussa plutôt à frapper ce qui lui avait fait du mal d’un poing solide. Et la douleur qui résonnait dans son crâne trouva écho dans sa main soudainement souffrante à son tour. S’il avait réussi à cabosser cet engin de tous les diables, ce n’était pas sans mal !
Il voulut faire un pas pour reprendre sa fuite, mais son équilibre était bien moins stable qu’il le suspecta et il dut s’appuyer sur ce qu’il pu. En l’occurrence cette petite femme rousse qui lui parlait dans cette langue inconnue.
   

Qu'elle ait ou non quelque chose avait été le cadet de ses soucis une fois que la cause du choc avait été associée dans son cerveau. Mal, certainement... mais rien de cassé puisqu'elle était parvenue à sortir de voiture sans trop de difficultés.
Elle n'avait donc pas répondu à sa nouvelle grande copine, ne se souciant que de vérifier si elle venait de rejoindre la longue liste des meurtriers au volant. Le type, ou plutôt le géant, s'était relevé et Shay n'avait pas exprimé tout de suite son soulagement. Parce qu'il pouvait avoir un trauma ou quelque chose dans ce genre là ? Oui, mais aussi parce qu'il était... disons que c'était tout à fait le genre de type qui méritait un blanc ou deux quand on faisait sa rencontre.
Et encore, elle n'avait pas vu l'état de sa voiture qu'il venait de frapper. Là, elle plaidait coupable, la première réponse à cette agression était un :

« Hey ! Tu crois pas qu'elle est déjà assez... amochée.... »

Si on retirait la bosse qu'il venait de lui filer en plus... mais il avait ruiné sa carrosserie ! Et ça l'avait laissé sans voix.
Elle était pourtant certaine de ne pas rouler si vite que ça. Même certaine d'avoir respecté les limitations, ce qui n'était pas toujours le cas, elle l'admettait.... Une chance qu'elle ait été une bonne citoyenne aujourd'hui.
Bref, pour en revenir à sa voiture... elle était triste à voir.... et neuve à la base ! Son bébé tout voyant, tout beau pour le lycée.
Ok... si Leo perdait l'ordre des priorités, on pouvait en dire autant de Shayna visiblement qui avait répondu à sa question par une autre :

« Tu vois la même chose que moi ou c'est le choc qui me fait halluciner ? »

Parler toute seule... grande idée pour avoir l'air normal auprès du colosse qu'elle venait de renverser et qui venait lui de s'appuyer sur elle comme si elle était plus costaud qu'elle n'en n'avait l'air.
Sur le coup, elle avait bien cru qu'elle allait tomber en arrière et que le géant s'écroulerait sur elle. Elle avait poussé sur ses jambes, tentant tant bien que mal de le tenir jusqu'à ce qu'une âme charitable veuille bien lui venir en aide. Le père de famille qui venait de l'aborder l'avait alors aidé sur sa demande à l'asseoir sur la banquette arrière de sa voiture avant de lui demander si elle voulait qu'il appelle les secours.
Pour le coup, elle ne savait pas trop.
C'était sans doute mieux de l'emmener à l'hôpital, mais elles n'en n'étaient pas si loin que ça.
Elle aurait bien demandé au principal concerné mais malheureusement le choc semblait l'avoir rendu muet. Toujours dehors, elle s'était penchée en direction de ce dernier pour lui dire sur le ton le plus doux et pacifiste possible... c'est qu'il avait une tête à avoir fait la guerre après tout :

« Je vais vous emmener à l'hôpital, d'accord ? »

Ou ailleurs ?
Aucune idée, mais elle était remontée dans sa voiture après avoir remercié et rassuré le père de famille plus aidant, et moins curieux que d'autres spectateurs de la scène. Passant une main sur son front, elle avait tourné les yeux vers sa passagère. Ah si Leo pouvait conduire, ça l'aurait bien arrangé pour le coup.
Encore fallait-il que son petit bolide démarre. Le problème avec les voitures de luxe, elle n'était jamais bien solide. Heureusement, la sienne avait démarré au bout du troisième essai... et après quelques insultes d'accord :

« Tu veux bien garder un oeil sur lui ? »

Vraiment Shay, arrête de parler toute seule ou il dira que t'avais consommé de la drogue.
Franchement... vu les fringues qu'il portait, elle n'arriverait peut-être qu'en deuxième position niveau folie.

Leo et Shay étaient très certainement faites pour s’entendre. Elles partageaient visiblement le même sens particulier des priorités et ça n’était qu’une preuve de plus à ajouter aux autres. Pendant que le fantôme critiquait sans retenue les vêtements du blessé, la rousse, elle, avait son attention plutôt dirigée sur l’état de sa voiture. Pour sûr, l’impact avait été violent et c’était à se demander pour qui ça avait fait le plus mal. Après tout, le type tenait encore debout et la voiture était, à priori, plus mal en point que lui !

« Ça dépend. Tu vois un canon trop costaud dans un costume d’époque toi aussi? »

Parce que malgré le mauvais goût vestimentaire flagrant, il fallait rendre à César ce qui est à César, ce type était franchement attirant. Jeune, certes, mais son air féroce et sa carrure compensaient largement ce petit détail qui aurait normalement dû freiner Leo. Quoi qu’étant morte, elle pouvait bien trouver des jeunes sexy si elle le voulait. Ce n’est pas comme si la police pouvait l’arrêter pour ça, pas vrai !

Rapidement, il fut décidé de conduire le géant à l’hôpital. Une décision normale. Il tenait peut-être debout, mais ça ne voulait pas dire qu’il n’avait pas un traumatisme crânien ou autre chose impossible à détecter à l’œil nu.
Revenue sur le siège passager avant, la brune se retint de critiquer la qualité des voitures de nos jours pour uniquement sourire et taper à quelques reprises dans ses mains lorsque le véhicule démarra enfin. Oui, ça méritait des applaudissements.
Et lorsque Shay lui demanda de garder un œil sur le blond étrangement silencieux, Leo s’évapora de son siège pour réapparaitre sur la banquette arrière du côté libre de l’habitacle.

« Ça va même me faire plaisir d’y garder les deux ! »

Si dévorer ouvertement le gigantesque jeune homme des yeux pouvait être considéré comme malpoli, il ne fallait pas oublier qu’il n’en avait aucune conscience. Alors ça ne comptait pas pour de l’impolitesse !
   

Docilement, Eirik se laissa manipuler comme un animal blessé. Ce qu’il était, en réalité. Blessé et perdu. Il avait mal au crâne et son côté qui avait absorber le choc de la collision. Le sol très dur et rude lui avait écorché la peau et il ne comprenait rien. Peut-être aurait-il mieux valu qu’il reste prisonnier. Au moins, ces gens qui le retenaient enchainés parlaient sa langue. Il aurait été en mesure de comprendre davantage ce qui se passait et où il se trouvait.
Et ceux-là, que feraient-ils avec lui ?

Une fois dans cette étrange chose qui l’avait percuté, Eirik avait laissé ses doigts courir sur le cuir. Il reconnaissait le textile, mais il demeurait différent de ce dont il avait l’habitude. Tout, même ce qui semblait familier, était étranger pour lui.
Les bruits, d’abord étouffés, de moteur le firent sursauter. Puis, lorsqu’il daigna démarrer, Eirik tourna la tête de tous les côtés, tâchant de comprendre comment et d’où provenait ce son. Lorsque la voiture se mit à avancer, il se cramponna de toutes ses forces à ce qu’il pouvait. Quelle était cette étrange magie ?

« Où sont les chevaux sur cet engin de malheur ? Qu’est-ce que vous me voulez ? Où m’emmenez-vous ?! »

Ses paroles étaient agressives, sèches, dures… apeurées. Parce que même si un viking était courageux, ça ne voulait pas dire qu’il ne connaissait pas la peur. Et, en ce moment, Eirik avait peur. Peur d’un million de choses. De tout ce qui l’entourait, pour être exacte. Il voulait rentrer chez-lui. Il voulait retrouver sa famille —ou du moins ce qu’il en restait. Il avait mal, il était perdu et désarmé. Il était vulnérable et il détestait profondément ce sentiment.

« Répondez ! »

Il frappa dans le siège devant lui avec force et violence. Ça ne fit qu’accentué l’élancement déjà prononcé de son crâne.  
   

Etait-ce bien le moment pour avoir ce petit sourire ?
Sans doute que non, mais n’empêche que Leo marquait un point ! Il était pas mal et il y avait sans doute bien pire à renverser.
D’accord, pas pour sa voiture. Sa voiture aurait préféré renverser un nain plutôt qu’un géant qui affectionnait la musculation. Mais d’un point de vue esthétique, le regard préférait ce blond-là à un nain de jardin, soyons honnête.
Bref, on sait, ce n’était pas l’heure de perdre sa concentration, et elle s’était retenue de répondre histoire de ne pas passer pour plus tarée aux yeux des spectateurs qui pourraient voir une rousse parler dans le vide.

Une fois installés dans la voiture, une fois cette dernière laissant enfin au moteur la liberté d’émettre un son presque rassurant, elle s’était mise en route, laissant à Leo le soin de surveiller son passager qui devait se croire dans une voiture pour poupée étant donné la taille qu’il mesurait. Il était éveillé, ça tenait du miracle, mais il pouvait toujours faire un malaise, avoir un truc qui n’allait pas… c’était probable non… vu l’allure de sa voiture…

« Tu sais… dans d’autres circonstances, j’aurai adoré noté avec toi quelques parties et faire une moyenne générale. Là, j’vais te laisser t’en occuper et me contenter de prier pour qu’il reste en vie et… qu’est-ce qu’il vient de dire là ? »

Pas la moindre idée, mais ce n’était pas quelque chose de sympathique manifestement.
En fait, ça sonnait vachement « je vais te faire un procès » version « je vais te tuer dans d’atroces souffrances avant de jeter ton corps dans un caniveau ».
Lançant un regard dans le rétroviseur pour le voir, elle n’avait pas cherché à cacher sa crainte. Et elle aurait eu du mal à le faire de toute manière étant donné le cri qu’elle avait lâché quand il avait frappé dans son siège.
Brusquement, elle avait écrasé le frein de son pied avant de mettre point mort et frein à main pour se tourner vers lui, un doigt menaçant pointé vers son visage :

« Laisse ma voiture tranquille ! » euh Shay… il est grand… genre très grand par rapport à toi… et manifestement pas content… « S’il te plait. »

C’est sûr que la politesse, il allait comprendre.
De la même manière qu’elle comprenait le… c’était quoi cette langue ? Elle en parlait plusieurs, mais définitivement pas celle-ci.
D’ailleurs, il y avait de fortes chances pour qu’il ne comprenne pas un traitre mot de ce qu’elle pouvait bien lui raconter. Raison pour laquelle elle avait baissé son doigt avant de reprendre la parole :

« Tu comprends rien de ce que je te dis hein ? » zen, il fallait rester zen et expliquer les choses clairement. Après avoir détaché sa ceinture, appuyé sur le bouton de fermeture automatique des portes et s’être agenouillé sur son fauteuil pour lui faire face, elle avait inspiré et expiré avant de tâcher de faire au mieux en joignant les gestes à la parole « Moi, je vais t’emmener à l’hôpital. Je ne te veux pas de mal. Parce que toi, tu es sûrement blessé. Tu as mal. Alors toi, rester calme. Gentil, gentil petit… enfin grand colosse.

Se pointer elle, se pointer lui, on voyait bien ce que ça pouvait vouloir dire. Le geste de V spécial Star Trek, c’était probablement un « nous venons en paix » qu’elle pensait compréhensible pour tous. On comprenait pourquoi elle avait touché sa tête avant de faire une grimace… honnêtement, valait mieux éviter un geste d’égorgement ou autre qui aurait pu avoir l’air menaçant. Niveau du volant pour lui dire qu’elle l’emmenait quelque part… elle ne pouvait pas savoir que ça il n’y comprendrait rien. Pointer le fauteuil avant d’abaisser ses mains à plusieurs reprises c’était pour la sagesse. Mais franchement, pour elle, ce qui ressortait de ça :

« Je ne pensais pas que je devrai m’abaisser à avoir l’air si ridicule que ça un jour. Ah ça non… mais vu de l’extérieur ça devait avoir l’air tordant. Un soupir plus tard, elle ajoutait le plus pacifiquement possible « Tu seras sage, on est d’accord ?

« Ça pour être en vie, il l’est, y’a pas de souci à se faire de ce côté. »

Même que pour un type qui venait de se faire renverser par une voiture, il se portait comme un charme. Peut-être une bosse à la tête, quelques ecchymoses devaient déjà commencer à bleuir sous les vêtements, mais, franchement, le géant ne s’agiterait pas autant s’il avait quelque chose de cassé. À moins qu’il soit l’un de ces cas excessivement rare de gens qui ne ressentent pas la douleur ?
… Il avait surtout l’air du dernier évader d’asile en date.

« Qu’est-ce que j’en sais ? À mon avis, c’est pas à l’hôpital qu’il faut aller, mais la maison de fous ! »

Ce mec ne faisait aucun sens… en plus d’être sacrément violent. Remarquez… S’il ne comprenait pas plus ce qui se disait autour de lui qu’elles ne le comprenaient… il y avait de quoi être de mauvais poil. Mais il aurait fallu que Leo fasse preuve d’un peu d’empathie, ce qu’elle ne faisait plus tellement depuis qu’elle était morte. Se réveiller fantôme faisait revoir le sens des priorités du tout au tout, prenez bien note.

Et lorsque Shay freina brusquement, pour la seconde fois en moins de dix minutes, Leo se serait très certainement frappé la tête contre le banc devant elle si son corps n’avait pas la pratique faculté d’être immatériel. Sa tête passa au travers du siège pour reprendre ensuite sa place sans incident fâcheux.
Être mort, une calamité vous dites ? Du goût de Leo, c’était plutôt une bénédiction !
   

De mal en pire que ça allait, rien de moins. Comme si son crâne ne le faisait pas assez souffrir, l’arrêt brusque de cet engin de malheur le propulsa contre le siège avant et sa tête cogna à nouveau.
Sonné pour la troisième fois de la journée —la première l’ayant quand même envoyé dans l’inconscience quelques temps— l’impact eu raison de son énergie et s’il donna l’impression d’écouter ce que la petite rousse disait, c’était surtout parce qu’il avait cessé de gigoté un moment, tenant uniquement sa tête.
Il ne comprenait pas les mots que cette femme disait… et qu’elle se conduisait très étrangement, mais ses perceptions étaient sans doute faussées par l’environnement. Pour lui, tout était étrange ici.

Quand l’engin redémarra, Eirik en fut un peu moins surpris, bien que sa nervosité ne s’effaçait guère. Il se sentait à l’étroit dans ce truc, oppressé, prisonnier… encore. Mais ce n’était rien comparé à ce qui l’attendait.
Une fois devant un énorme bâtiment blanc grouillant de vie et de bruits qu’il n’avait jamais entendu, la fille le quitta pour revenir avec un troupeau de gens habillés de vert ou de blanc. Des guerriers, sûrement, elle l’avait conduit droit dans un piège !
Lorsqu’on voulut le faire sortir, il utilisa ses pieds pour propulser le premier homme hors de son chemin et s’extirper de la charrette qui fonctionnait sans chevaux. Ces guerriers n’avaient pas d’arme… mais lui non plus. Ils se regardaient tous et parlaient dans cette langue étrangère, les mains tendues dans sa direction.

Il grogna. On l’attrapa par le poignet. Il frappa. Il se fit entourer. On voulut l’immobiliser par derrière. Il lui suffit d’un coup de coude sur le nez pour se libérer. Il jeta son adversaire sur le sol et en frappa un autre d’un pied dans l’estomac pour l’écarter de lui. D’autres guerriers arrivèrent, ils portaient du noir ceux-là. Il repoussa les deux premiers sans trop de problème, puis trois noirs et un vert lui saisirent chacun un membre. Il se débattit comme il put. Pestant. Jurant. Deux d’entre eux avaient plus de difficulté à retenir leur prise, puis, quelque chose bougea dans son dos et il sentit une piqûre sur sa fesse.
Et la terre commença à tanguer. Il secoua la tête, luttant contre cette magie. Encore une sorcière ! Les hommes le relâchèrent, demeurant néanmoins autour de lui.
Derrière eux, il vit la petite rousse observer la scène et sa vue se troubla… et il s’effondra.
   

Une fois à l’hôpital, et non pas à la maison de fous… même s’il fallait admettre que le conseil de Leo n’était pas si mauvais que ça, Shay s’était adressée au premier docteur qu’elle avait croisé pour lui exposer brièvement le problème. Evidemment que celui-ci avait eu l’air choqué quand il avait vu l’homme qu’elle était supposée avoir renversé, tout comme ses confrères. Pour quelqu’un qui venait de subir un accident de la route, il avait plutôt la forme. En fait, même pour quelqu’un qui ne s’était pas fait percuter pour une voiture, il avait la forme. Et si elle n’avait pas su trop quoi faire jusque-là, elle s’était sentie davantage inutile encore quand l’inconnu semblait mener un combat contre ces pauvres urgentistes qui ne demandaient rien de mieux que de faire leur travail.
Elle avait bien fait un pas à un moment, hésitante. Mais qu’est-ce qu’elle aurait bien pu dire ou faire pour faciliter les choses. Non seulement elle ne le connaissait pas, mais en plus elle l’avait renversé. Et pour couronner le tout, ils ne semblaient pas parler le même langage.
La lutte avait duré un temps et elle aurait pu se dire qu’il était manifestement tiré d’affaire à en juger par son énergie.
Pourtant, même une fois le colosse endormi emmené, elle était restée planter au milieu du couloir.

« Je crois que je vais rester un peu, au moins le temps d’avoir des nouvelles. »

On aurait pu penser que l’inquiétude qui se lisait sur son visage et à travers ses gestes concernait Goliath. Et s’il était vrai qu’elle aurait aimé apprendre qu’il était en bonne santé, la plus grosse partie de cette angoisse était dû à une toute autre chose :

« ça t’ennuie pas de rester avec moi ? »

Envolée la belle assurance de lycéenne populaire ! On aurait presque pu la confondre avec une petite fille qui attend dans la salle d’attente du dentiste.
Disons que c’était presque pareil.
Les hôpitaux… elle avait des tas de raisons pour les détester et ne pas s’y sentir en sécurité et la première pouvait se trouver dans le regard circulaire qu’elle venait de lancer avant de s’installer sur une chaise du couloir.


Les mains moites, crispées sur sa chaise, Shay avait inspiré et expiré pour la énième fois.
« Allez Shay, il ne va rien se passer », « Déstresse », « Tu n’es pas toute seule », c’était le genre de phrases qu’elle se répétait en boucle depuis qu’elle avait collé son postérieur sur cette chaise pour ne plus en bouger.
Elle devait être à moitié maso.
C’était un hôpital ! Sans compter sur le fait qu’elle en avait fréquenté un d’un tout autre genre et que les souvenirs le concernant n’avaient rien d’agréables, il y avait des tas de gens qui y mouraient tous les jours, même toutes les heures.
Oui il y avait du passage. Oui Leo était là. Mais Leo qu’elle adorait déjà mais connaissait à peine ne pourrait pas faire grand-chose si elle faisait une mauvaise rencontre.
Malgré tout, sa présence s’était révélée suffisamment rassurante pour qu’elle tienne jusque-là. Jusqu’au moment où elle s’était figée, détournant brusquement la tête du bout du couloir vers l’opposé. L’ignorer. Parfois ça pouvait marcher. Parfois seulement… faire semblant de ne pas les voir, ce n’était pas toujours suffisant et elle ne savait pas si le « type » en peignoir était du genre à la prendre pour un aimant.

« Je vais aller voir comment va Goliath. »

Sans d’autres termes, elle s’était levée pour mettre de la distance entre elle et l’apparition, la démarche un peu trop rapide.
Elle n’avait pas jeté un seul coup d’œil derrière son épaule, même pas pour regarder si Leo l’accompagnait ou non, et n’avait fait qu’une pause qu’en croisant l’un des urgentistes malmenés pour qu’il lui indique la chambre du colosse en précisant qu’il était parti pour dormir un moment et qu’il était plus sage de revenir demain. Il serait encore là même si les premiers examens révélaient qu’à part quelques bleus et autres semblables, il se portait comme un charme.
Sagement, elle avait hoché la tête et avait attendu qu’il ne s’intéresse à autre chose pour se diriger vers la chambre du surnommé Goliath dont elle avait poussé la porte quelques secondes plus tard.
Niveau précaution, ils n’y étaient pas allés de main morte. Il était peut-être supposé dormir un moment, mais ils lui avaient néanmoins attaché les poignets aux rebords du lit.
S’approchant doucement, elle n’avait pas eu le temps de tirer une chaise pour s’asseoir à côté que les paupières du jeune homme s’étaient ouvertes.
… une forte dose hein ?
Elle avait attendu qu’il revienne à lui pour lancer avec un faible sourire qui se voulait sans doute rassurant.

« Salut. Tu te souviens de moi ? »

Tu sais la fille qui t’as renversé ?
Crois-nous Shay, même vaseux, y’a peu de chances pour qu’il t’oublie ! 

Plantée dans la salle d’attente de l’hôpital, Leo avait presque oublié ce qu’elles étaient venues faire dans ce lieu pour commencer. Si la rousse n’en menait pas large et n’était pas franchement alaise dans ce rendez-vous d’âmes errantes, Leo, elle, se sentait aussi à son aise que dans un café. À savoir qu’elle ne mâchait pas ses commentaires malgré le fait que, ici, une certaine fraction des critiqués pouvaient l’entendre.

« Non mais t’as vu celui-là ? Hey ! Les années 70 c’est fini depuis longtemps mon gros ! »

Si le gros en question se retourna avec une tête intriguée quant à savoir qui osait lui parler ainsi au milieu de son éternelle errance sans trouble d’aucune sorte, Leo avait déjà détourné son attention sur quelque chose d’autre, ou plutôt quelqu’un.

« Ouuuh, t’as vu  celui-là, il est canon ! Putain, j’aimerais bien qu’il soit mort lui ! »

Hélas, le port de la blouse verte d’infirmier le faisait très certainement appartenir au monde des vivants. À moins qu’il aime tant son boulot qu’il ait décidé de passer son après-vie dans ces corridors tristes… mais on en doutait fort !
Au premier abord, Leo serait bien allée se promener un peu partout pour rencontrer d’autres morts de son espèce —à savoir, ceux qui avaient de l’humour et la décence de connaître le siècle qu’ils hantaient— elle fut faire l’effort de demeurer sur place à la demande de Shay.
Un seul coup d’œil à son teint pâle était néanmoins suffisant pour la convaincre de rester pour soutenir la seule copine qu’elle se soit fait depuis sa mort.

« Te bile pas, le premier qui pose les yeux sur toi dans l’idée de te hanter, je lui fais comprendre que t’es déjà prise et avec la manière forte ! »

Elle frappa dans son poing, chose qui n’émit pas le son habituel de peau tapant contre peau qui rendait ce genre de menace un tantinet plus sérieuse.
Toutefois, le temps est relatif pour les morts et il vient un moment où on finit par oublier pourquoi il est si important d’être à un endroit en particulier. On perd le focus et sans réellement s’en rendre compte, on est ailleurs…
   

Le brouillard était épais. La tête cotonneuse et incapable de figer sa pensée sur quelque chose en particulier, Eirik avait du mal à seulement ouvrir les yeux.  C’était un rêve. Un rêve stupide et excessivement bizarre, mais tout ceci n’avait été qu’un rêve.
Le réveille difficile et le mal de crâne inqualifiable ? L’alcool. Il n’en fallait pas plus pour expliquer ça. Juste une bonne grosse cuite avec ses frères après la bataille. S’il avait rarement été victime d’un tel mal de bloc, il fallait seulement croire que la beuverie avait été plus monumentale que les autres, tout simplement.
Son corps qui lui faisait mal de partout comme si on l’avait roué de coups ? Eh bien… il s’était battu, cette sensation était pour le moins normale, pas vrai ? En bougeant un peu, cependant, il réalisa que ses mouvements étaient entravés. Ça, ce n’était pas normal.
Le géant blond lutta pour ouvrir les yeux, papillonnant un peu au début à cause de la lumière désagréable qui ne venait assurément pas du soleil.

L’étrangeté de la pièce, les bruits jamais entendus auparavant qui semblaient posséder un rythme constant —hormis un qui s’affolait aussi sûrement que lui— tout ça lui fit comprendre qu’il n’avait pas rêvé et qu’il était toujours coincé dans cet endroit digne des enfers.
Sans ces grands yeux verts pour le fixer et ce léger sourire, probable qu’Eirik se serait débattu beaucoup plus que ça. Il se sentait fatiguer et faible, mais il n’aurait pas abandonner dès les premières secondes à se libérer de ses liens. Qu’avaient-ils tous à l’attacher ici ?!!
Il soupira quelque chose qui s’apparentait à un grognement en laissant retomber sa tête sur l’oreiller.

Sans un mot, puisqu’il ne comprenait toujours pas ce qui quittait la bouche de la petite rousse, il planta ses yeux dans les siens. Il voulait seulement rentrer chez-lui, ce n’était pourtant pas compliqué. Mais la frustration de se réveiller pour la deuxième fois dans cet étrange univers inconnu commençait à avoir raison de sa détermination.
Que devait-il faire pour partir d’ici ? Ou ne serait-ce que pour arrêter d’être face à des gens qui lui faisaient mal ou l’entravait dès qu’ils en avaient la chance ?
Rien de tout ça ne pouvait quitter sa bouche. D’une parce que, de toute manière, la jeune fille n’aurait rien compris. De deux, parce qu’il était un viking, un fier guerrier. Il ne se lamentait pas si facilement sur son sort.
Mais ses yeux, durs depuis le début, s’étaient adoucis malgré lui. Il était fatigué et son esprit ne répondait pas comme d’habitude. Il désirait seulement qu’on le libère et qu’on le laisse retrouver sa famille. Voilà ce que ses yeux voulaient dire à cette rousse au petit sourire timide.
   

Au final, peut-être que ses parents et cette armée de prétendus médecins avaient raison : elle était cinglée. Il fallait l’être un minimum pour envisager de libérer le colosse sur ce lit. Encore plus après avoir assisté à sa fureur plus dans tôt dans les couloirs de cet hôpital. D’un autre côté, qui ne se débattrait pas face à ces types ? Elle était la première à les trouver flippant. Et elle en était réellement à l’excuser tandis qu’ils se fixaient, l’un aussi silencieux que l’autre. Il allait bien non ? L’urgentiste lui-même l’avait dit. Alors qu’est-ce qu’il y avait de mal à retirer ces liens ? Ils n’avaient pas besoin de le garder ici. Pas plus qu’il ne devait avoir envie d’y passer quelques jours.

« Tu sais… c’est une très mauvaise idée. »

Oui, une très mauvaise idée. Alors pourquoi avait-elle néanmoins tendu la main dans l’intention de le détacher ? Mystère. Peut-être que si Leo, sa conscience invisible, avait été encore là, elle l’aurait persuadé de ne pas faire cette connerie. Mais elle était seule face à un choix qui lui semblait être bon simplement parce que les hôpitaux étaient un endroit dont on devait être sauvé selon elle.
Ou alors c’était ce regard qui lui lançait. Voilà, elle blâmerait le regard. Il l’avait hypnotisé, elle n’avait rien pu faire contre sa volonté.
La main sur le poignet du jeune homme, elle s’était apprêtée à dire quelque chose quand elle avait entendu du bruit derrière elle. Immédiatement, elle s’était redressée, se retournant juste à temps pour voir la poignée de porte s’abaisser.
Elle n’avait rien à faire ici, encore moins avec les intentions qu’elle avait et elle n’avait pas réfléchi plus d’une seconde quand elle avait posé un doigt sur sa bouche en regardant l’inconnu avant de rouler en dessous du lit pour se planquer de l’autre côté.

Allongée de l’autre côté, tout ce qu’elle avait vu des médecins qui venaient de faire leur entrée, c’était leurs pieds. Mais à eux, ils leur suffisaient de faire le tour du lit pour la trouver. Elle n’avait pas bougé d’un centimètre et le rythme de son cœur s’était affolé quand l’un des deux s’était légèrement rapproché pour prendre le carton au pied du lit. C’était le moment parfait pour remercier sa petite taille.

« A votre avis Docteur Matthews ? »
« Un trouble mental, ça me semble évident, regardez sa tenue. »
« Il serait plus prudent de le garder le temps de lui faire passer quelques tests. »
« Vous pensez ? Au vue de son agressivité, je préconise qu’un établissement spécialisé le prenne en charge. On a assez de témoins pour que sa famille ne puisse pas s’en plaindre. »

Attentive à chaque mot, Shayna avait écouté la suite de la conversation qui avait duré quelques minutes de plus.
Tout compte fait, elle n’était pas si cinglée que ça, c’était eux les vrais malades. « Un établissement spécialisé »… elle n’avait pas besoin d’un dessin. Ils avaient l’internement facile. Peut-être qu’elle manquait d’objectivité sur le sujet mais ce n’était pas un peu rapide pour le déclarer malade mental ?
Une fois la porte refermée, elle s’était redressée, posant un regard plus triste qu’auparavant sur celui qu’elle avait renversé.

« D’accord. » oui d’accord, sa nouvelle conscience n’était pas là et puis « … j’suis vraiment cinglée. »… définitivement, mais cette prise de conscience ne l’avait pas empêché de poser une main sur le poignet du colosse dans une demande qu’il ne comprendrait pas « Juste… sois gentil. On est dans le même camp toi et moi maintenant. »

Le camp des malades mentaux. Aujourd’hui était le jour où elle avait décidé de devenir l’ange gardien de tous les internés, voilà ! C’était en tout cas cette espèce d’élan de solidarité qui l’avait poussé à faire ce qu’elle s’apprêtait déjà à faire plus tôt en libérant les poignets du pas très bavard.
Sans attendre, elle s’était dirigée vers la porte qu’elle avait entrouverte pour jeter un coup d’œil dans le couloir afin de s’assurer de l’absence des blouses blanches. La laissant presque close, elle s’était à nouveau tournée vers le colosse dans un geste de la main qui semblait l’inviter à la suivre :

« Je vais te faire sortir d’ici. » si elle aurait pu se contenter de comprendre un « libère-moi » dans son regard, le plan avait manifestement changé depuis le passage des médecins « On va aller chez mon oncle. Tu pourras appeler qui tu veux de là-bas. »

Elle ne pouvait pas savoir que le signe d’un téléphone de la main ne lui évoquerait rien mais lui tendre ensuite pour qu’il la prenne et la suive était néanmoins plus clair.

Dans le genre à n’y rien comprendre, on ne pouvait que difficilement faire mieux qu’Eirik depuis les dernières heures. L’espoir n’était cependant pas complètement perdu. Au milieu de ce cauchemar, le géant blond eut le vague sentiment de se faire une alliée. Lorsque ses yeux s’étaient permis de trahir la dureté viking pour l’abandon de l’adolescent perdu qu’il était en réalité, la petite rouquine s’était rapprochée de son lit. Le souci brillait dans son regard, mais ce n’était pas le même qui l’avait poussée à le conduire dans cet endroit fanatique de la torture. Non, il n’y avait pas d’angoisse dans ses orbes verts, juste la volonté de lui prêter main forte.
Et Eirik se sentit soudain plus fort malgré sa tête lourde.
Une fois de plus, il ne comprit aucun mot qui quitta sa bouche, mais cette main tiède qui frôla sa peau au moment de se poser sur l’une de ses entraves, il l’a sentit comme une caresse inespérée. C’était le premier geste de douceur qu’on lui tendait depuis qu’il était atterri ici. Et bien que la jeune fille roula sur le sol plus vite que son ombre pour une raison encore inexpliquée pour le guerrier, elle laissa quelques picotements agréables derrière elle, là où elle l’avait touché.
Puis, il crut comprendre le pourquoi de ce geste inopiné lorsque deux hommes vêtus de blancs entrèrent dans la chambre. Eirik ne ferma pas les yeux. Il foudroya les deux inconnus du regard et tenta de se libérer pour se jeter à leur cou et leur faire comprendre ce qu’il en coûtait de le traiter ainsi.

« Quand je serai libre, j’égorgerai tous vos guerriers et je mettrai vos têtes sur des piques ! »

Charmant. Avec ça, il avait toutes les chances de se faire libérer maintenant. Si ce n’était à ça prend qu’il avait la forte présomption que s’il ne les comprenait pas, ils ne le comprenaient pas plus en retour.
Ils continuèrent d’ailleurs de discuter entre eux comme s’il n’était pas là et qu’il n’avait rien dit. L’un d’eux se contentant seulement de resserrer un peu plus les liens qui le retenaient au lit.
La circulation sanguine maintenant coupée, le nordique continua de grogner ses insultes jusqu’à ce qu’ils aient quitté la pièce. Le discours sanglant prit fin uniquement lorsque la rousse refit surface. Lorsqu’elle reposa la main sur son poignet maintenant endolori et irrité de ses tentatives de libération, il cessa même de gigoter dans tous les sens dans l’espoir d’affaiblir ses liens.
Il planta de nouveau les yeux dans les siens… et ne comprit pas un traitre mot. Toutefois, le doigt sur la bouche était assez évocateur pour que le blond arrive à saisir l’essentiel. Elle allait l’aider à se libérer. Au milieu des enfers, il avait réussi à rencontrer une âme charitable… selon les points de vues, évidemment. Elle l’avait tout de même douloureusement renversé avec son engin de malheur.  

Les mains enfin libres, il défit l’entrave à l’une de ses chevilles pendant que la jeune fille terminait avec l’autre. Puis, il se leva d’un bond, avant de s’appuyer vaguement sur l’épaule de sa nouvelle acolyte le temps que les points noirs devant ses yeux s’évaporent.
Ensuite, il aurait bien foncé pour mettre en œuvre toutes les horreurs qu’il avait proférées, mais la demoiselle fut plus rapide et lui saisit une main pour le guider à l’extérieur de la pièce, puis du couloir. Ils rasèrent les murs, la soif de sang d’Eirik temporairement calmée par l’inconnue qui ouvrait la voie. Elle semblait franchement bien savoir où elle allait, ce qui n’était pas le cas du guerrier. Il était donc préférable de la suivre au pas sans insister sur ses envies assassines…
   

Elle ne le connaissait pas, ils ne se comprenaient pas, et quelque part dans son cerveau visiblement atteint par une maladie mentale, elle avait pris la décision de l’aider à partir de cet endroit où n’importe qui aurait jugé que c’était pourtant la bonne place pour lui. Oui, même dans un asile au vue de sa tenue. Mais par expérience, elle dirait que ce n’était pas le genre d’endroit où on entrait toujours très justement.
Et ici, pour toute défense à cette décision, elle parlerait probablement du regard du géant. Quelque part, dans cet échange silencieux, elle avait oublié de redouter qu’il puisse témoigner de la même violence avec elle qu’avec les médecins plus tôt. Si bien oublié qu’elle n’avait même pas eu de mouvement de recul quand le jeune homme à l’imposante carrure s’était redressé et qu’elle l’avait supporté tant bien que mal de sa taille de naine.
En fait, elle était même manifestement décidée à lui venir en aide plus que ça au vue de cette main tendue pour prendre la sienne avant de le guider vers la sortie de la chambre.

Elle ne misait pas franchement sur la discrétion. C’était une mise risquée même si on oubliait la tenue. Difficile de ne pas remarquer quelqu’un qui aurait pu obtenir facilement le rôle de Goliath ou de toute autre colosse. Alors elle misait plutôt sur la chance. Celle de ne pas croiser un membre de la horde d’urgentistes qui avait tenté de le maîtriser à son arrivée, ou même quelqu’un au courant de ce qui se plaçait désormais parmi les faits étranges du jour.
La main du jeune homme toujours dans la sienne, elle l’avait guidé, sans adopter une allure trop pressée qui aurait attiré davantage l’attention sur eux. A un moment, elle avait croisé le regard d’un médecin qui avait regardé le colosse avec un air intrigué, elle lui avait souri, faussement décontractée, et n’avait pas cherché à vérifier s’il les regardait toujours une fois l’homme dépassé.
Une minute plus tard, ils passaient devant le siège qu’elle occupait et où Leo ne se trouvait plus non plus. La retrouver aurait été stupidement dangereux en plus d’être inutile. Leo était probablement en vadrouille dans le coin ou ailleurs et ce n’était pas un fantôme qui aurait des ennuis dans le coin.

Mais, si elle prenait la peine d’y penser quelques minutes, elle avait une curieuse façon de prendre des bonnes résolutions. En faisant sa valise pour la Nouvelle-Orléans, elle s’était répétée le même petit speech que d’habitude. Une vie normale de lycéenne populaire, voir un brin stupide. Rien qui sortait de l’ordinaire et chercher à renier à tout prix ce qui faisait d’elle une personne différente. Se faire remarquer oui, mais dans le bon sens du terme, pas dans le sens « je suis une timbrée ».
Le résultat, quelques jours après son arrivée, elle était amie avec une fantôme et elle aidait désormais un type fringué pour aller à une soirée déguisée et qui ne parlait pas un mot d’anglais. Et pourtant, elle n’avait pas hésité une seule seconde à s’engager une nouvelle fois du côté bizarre de la force. Elle ne pouvait pas le laisser là, encore moins après ce qu’elle avait entendu… et puis, il ne fallait pas oublier qu’il l’avait hypnotisé du regard !

Ils venaient de passer l’accueil et la sortie était en vue. Jouant toujours la fausse décontraction, elle avait résisté à l’envie de se mettre à courir pour mettre des lieux entre eux et cet hôpital. Il était là, à l’entrée d’un couloir, l’urgentiste qu’elle avait croisé dans le couloir avant d’entrer dans la chambre de Goliath. Si elle avait pu voir le visage du médecin avec lequel il discutait, elle aurait su que c’était l’un de ceux qui avait discuté de manière si « sympathique » dans la chambre de celui dont elle organisait la fuite.
Détournant les yeux et la tête, elle avait fixé le mur le temps de les dépasser. Elle avait été prête à pousser un soupir de soulagement quelques pas plus tard quand un « hey » avait sonné dans leur dos. Une excuse bidon ? Continuer à se la jouer cool ? Non. Là, courir était la meilleure option et elle n’avait pas attendu de vérifier que l’interpellation s’adressait bien à eux pour accélérer l’allure vers sa voiture tout en fouillant dans son sac à la va vite pour en tirer les clés.
Une fois à l’air libre, elle n’avait lâché la main de l’inconnu qu’une fois devant la portière côté passager et après l’avoir fait entrer à l’intérieur. Si elle avait eu le temps, elle aurait peut-être pu déceler de l’hésitation et si elle n’avait pas pris en compte le côté « drogué par les méchants docteurs », elle lui aurait laissé l’initiative de monter à lui, le viking qui ne connaissait pas le monde des voitures. Entièrement dans le flou sur toute la bizarrerie de son camarade, elle s’était installée derrière son volant, verrouillant les portes avant de mettre la clé dans le contact. Clé qu’elle avait tourné à plusieurs reprises :

« Allez démarre… mais démarre ! »

Ce n’était probablement pas ses supplications qui avaient fait tourner le moteur, mais plus son obstination à tourner la clé tandis qu’une nouvelle horde de médecins se rapprochait. Ils étaient presque à la voiture quand elle avait démarré, le pied collé sur la pédale de l’accélérateur, ses pneus n’aimeraient pas mais au point où elle en était… sa voiture était bonne pour un séjour au garage.
Ce n’est qu’en voyant les silhouettes des médecins rétrécir qu’elle s’était permise de pousser un soupir de soulagement, sans ralentir l’allure au début. Plus loin, avec assez de distance entre eux et l’hôpital, elle s’était montrée un peu plus respectueuse avec les limitations de vitesse et avait tourné la tête vers son passager :

« C’était limite ! D’un autre côté, j’taurai laisse leur filer quelques coups s’ils s’étaient pointés plus tôt. »  « laisser »… on doute qu’elle puisse lui « laisser » faire quoique ce soit… il était plutôt de la carrure à décider tout seul « En fait… on aurait mérité qu’ils se prennent quelques coups. Tu sais, j’aime pas beaucoup les médecins non plus. Enfin, je suppose que pour toi c’est pareil vu ta réaction tout à l’heure ! »

Pourquoi elle s’obstinait à lui parler alors qu’il ne comprenait rien ?
… Pour faire la conversation peut-être, parce qu’il était son complice de crime ou parce qu’aussi silencieux qu’il était, elle l’aimait bien. Un genre de complexe de chauffard de la route et de sa victime, quelque chose dans le genre.

« ça va ? »

Deux mots… mais qu’il ne comprendrait toujours pas. N’empêche qu’il avait l’air un peu pâlot, assez pour qu’elle pose sa main libre sur son front pour vérifier qu’il n’avait pas de température.

S’Échapper de cet endroit labyrinthique et étrange était plus facile qu’il n’y paraissait. Du moins pour la petite rousse qui semblait connaître le chemin de la sortie suffisamment bien pour s’y diriger pratiquement les yeux fermés. Il y a bien eu un vague moment où Eirik cru avoir besoin d’user de la force, mais passer en coup de vent sembla assez efficace pour ne pas laisser le temps aux geôliers de réagir. Les poings serrés, Eirik avait continué de suivre sa jeune guide même si l’envie se de défouler un peu était forte. Il se sentait si impuissant depuis qu’il était débarqué dans cet univers que passer à tabac un type ou deux aurait tôt fait de lui offrir au moins quelques secondes de répit et de bonne humeur.
Pour changer des dernières heures, le blond ne comprit qu’à moitié pourquoi lorsque sa nouvelle alliée se mis à courir. Les premières secondes, il imita le mouvement plus par réflexe qu’autre chose. Lorsqu’il comprit qu’ils avaient été repérés, il avait dans l’intention de faire demi tour et confronter ceux qui couraient maintenant dans leur direction. Si ça n’avait été de la jeune fille pour le tenir toujours par la main et insister à ne pas s’arrêter. Certes, il n’aurait pas été bien difficile pour lui de se défaire de sa maigre poigne et agir comme il l’entendait… mais alors pourquoi ne le faisait-il pas ? Sans doute parce qu’elle était bien la première ici bas à vouloir l’aider plutôt que lui nuire. Où elle le conduisait, il n’aurait su dire pour le moment, mais ce qu’il savait, par contre, c’était que la peau tiède de sa main dans la sienne devenait de plus en plus chaude.
Agréable.
Électrisante.
Et il ne voulait la lâcher pour rien au monde.

Elle le fit monter dans la chose qui l’avait percuté avant de contourner l’engin de malheur et de grimper à son tour. Là, il ne s’était rien passé pendant un moment… puis le même vrombissement étrange qu’il avait entendu auparavant transperça le silence et la sorte de char se mit à avancer rapidement. Très rapidement au début, puis, lorsque leurs poursuivants furent hors de vue, l’engin ralentit quelque peu même si les bruits grinçants —comme s’il était en difficulté— ne s’amoindrirent qu’un tout petit peu.

La rouquine parlait beaucoup. Rien qu’il ne comprenait, mais sa voix avait quelque chose d’apaisant et de serin. C’était comme si elle avait le don… de le faire sentir comme à la maison… aussi loin de la maison pouvait-il être à ce moment précis.
Lorsqu’elle s’arrêta de parler, il sentit qu’elle attendait qu’il dise quelque chose à son tour. Mais quoi ? Ils ne se comprenaient pas, et c’était bien la seule chose compréhensible dans cet habitacle vrombissant et grinçant.
À dire, il ne trouva qu’une chose. La seule, peut-être, que la rousse pouvait assimiler.

« Eirik » laissa-t-il seulement échapper de son accent tranchant de scandinave. Et il crut bon de le répéter en pointant son doigt vers son propre torse. « Eirik. »
   

Retirant sa main du front du jeune homme, elle l’avait dévisagé quelques secondes encore avant de se concentrer un peu mieux sur la route. Un deuxième accident de voiture, le même jour, ce serait un peu trop, il avait eu sa dose, sa voiture avait eu sa dose, et elle jugeait aussi que c’était bien suffisant.
Le plan était simple maintenant que l’hôpital se trouvait suffisamment loin derrière eux : l’emmener chez son oncle, lui passer son téléphone, garder un œil sur lui si au final sa condition physique n’était pas si bonne que l’avait prétendu cet urgentiste. Ça aurait été plus simple s’ils parlaient la même langue, ou si au moins elle était capable de deviner celle dans laquelle il s’exprimait. La réflexion qui s’affichait sur son visage était probablement dans ce but de devinettes. Elle doutait qu’il en parle une de sa connaissance, malheureusement… et ça ne l’empêchait pas de faire la conversation alors que chaque mot restait sans sens.

Lorsque « Goliath » lui avait adressé la parole, elle avait à nouveau abandonné la route du regard. Le « moi Tarzan, toi Jane » classique, classique auquel elle aurait pu penser plus tôt mais sans doute était-elle trop occupée à lui parler chinois en lui faisant quitter ce lieu maudit où elle l’avait emmené à la base.
Si elle comptait réellement se la jouer peste populaire au lycée et parfaitement normal, il était déjà l’heure de revoir son attitude. Car, en plus de faire monter dans sa voiture quelqu’un d’original, et c’était peu de le dire, elle ne saisissait pas l’occasion de se moquer qu’une vraie peste aurait saisi à sa place. Sans doute parce qu’elle ne le trouvait en rien ridicule ou idiot, il était juste… différent.
Et à la place d’une imitation de Jane, elle lui avait souri. Eirik, c’était nettement mieux que Goliath, ça lui allait beaucoup mieux. Posant sa main contre elle, elle l’avait imité dans la clarté :

« Shayna. »

Et c’était le seul mot qu’elle avait prononcé avant de détourner les yeux vers la route, le sourire toujours aux lèvres.
Apprendre son prénom, c’était un début, un bon début. Un meilleur début aurait été de ne pas le renverser pour l’emmener ensuite chez les fous, mais elle se rattraperait.
Peut-être qu’elle aurait des ennuis. Si un médecin avait pris le temps de noter sa plaque d’immatriculation, c’était certain. Mais pour parler franchement, elle s’en moquait. Un simple regard l’avait convaincu de faire une chose complètement insensée. Un prénom lui faisait penser qu’elle avait bien fait. Et quand elle s’était garée devant chez son oncle, la pensée qu’amener un presque étranger chez elle, bizarre et un poil agressif, n’était pas très prudent ne lui avait même pas traversé l’esprit.
Elle n’avait pas eu une ombre d’hésitation dans le regard quand elle avait fait le tour de la voiture pour lui ouvrir la portière. A la place, elle avait eu un sourire engageant quand elle lui avait pris de nouveau la main pour l’entraîner vers l’habitation. C’est en ouvrant la porte qu’elle n’avait pu s’empêcher d’ajouter tout en sachant que c’était inutile son souhait du moment :

« Je regrette vraiment de pas pouvoir deviner quelle langue tu parles. »

Ah si tu savais Shayna, le mot impossible, ou plutôt improbable résume cette requête.
Après l’avoir entraîné derrière la maison et refermé la porte derrière eux, elle avait appelé son oncle puis Leo sans obtenir de réponse. Si elle regrettait l’absence de sa nouvelle amie, celle de son oncle la soulageait au contraire. A peine débarquée et elle ramenait… d’accord, son oncle était cent fois plus étrange qu’Eirik. Mais de toute manière, elle ne le connaissait pas encore suffisamment pour lui accorder sa confiance là où Leo semblait déjà l’avoir.
Dans quelques minutes, quand Eirik ne saurait pas quoi faire du téléphone tendu et qu’elle déciderait que le garder ici était la meilleure idée en attendant… on ne sait quoi, elle se mettrait à chercher une excuse pour son oncle. Mais, au final, elle n’aurait pas besoin d’en trouver parce que le « on ne sait quoi » attendu lui épargnerait le mensonge.