Si d’ordinaire il n’y avait pas plus immense joie dans la journée pour Lip que de s’asseoir au comptoir de son bar, de s’accouder en prouvant à tous que la place lui appartenait et non moins, et de faire souffrir tout le monde de son mauvais goût en matière d’émission télé en les obligeant tout un chacun à regarder des soap de mamies; aujourd’hui le plaisir d’enquiquiner tout le monde autour de lui n’était pas suffisante pour le distraire. Même perdre un peu de son temps à une nouvelle tentative d’invention de cocktail révolutionnaire ne lui faisait pas envie.
Non, aujourd’hui, l’immortel était aux prises avec de vieux démons. Ou plutôt, un démon. Le seul qu’il n’avait jamais réussi à vaincre, le remord. Tout ça à cause d’elle. Et tout ce qu’il en savait, c’était qu’elle n’était pas Emily… Et qu’elle lui ressemblait trop pour qu’il n’y ait rien d’anormal là-dans. Lui ressembler, Lip pouffa d’un rire jaune pour se moquer de lui-même, elle ne lui ressemblait pas elle était identique. Une copie conforme venue d’il ne savait où et ne savait trop pourquoi dans l’unique but de le torturer sûrement. Depuis le temps qu’il foulait la terre, il avait fini par réaliser que la vie a un curieux sens de l’humour -- à comprendre ici qu’elle n’en a aucun!
Depuis, il revoyait tout se jouer dans sa tête comme un mauvais film qui tournait et tournait dans une ritournelle macabre qui ne possédait aucune fin. La première fois qu’il l’a vue. La première fois qu’il l’a touchée. La première fois qu’il l’a embrassée. Comment pouvait-il si bien se souvenir de chaque geste, chaque sensation, après plus de deux cents ans alors qu’il avait peine à se rappeler des filles du mois dernier? Le mi-démon se retint de pouffer de rire encore une fois. Parce que c’était Emily, la seule femme a avoir su le toucher en neuf cents ans d’existence, il n’y avait pas d’autre réponse possible. Et il l’avait crue irremplaçable pendant des décennies. Était-ce un signe? Peu importe de qui il venait, en était-ce un? Un message pour lui faire comprendre qu’il était temps de passer à autre chose, d’accepter l’immuable. Emily était morte. Il l’avait tuée. Il avait tué la seule femme qu’il avait aimé. Et maintenant son visage revenait vers lui pour le torturer, pour lui planter dans l’estomac la lame de la vengeance masquée sous l’apparence du remord. Oh si c’était ça l’idée, c’était inutile, Lip n’avait pas besoin de ça pour continuer de faire macérer sa culpabilité.

« Hey, ma bière, c’est pour aujourd’hui ou pour demain? »

Semblant revenir à lui, Lip se redressa. Les jours étaient calmes, quasi déserts, à l’Artémis, par conséquent le gardien s’occupait de gérer les clients jusqu’à ce que ses employés se pointent plus tard en soirée. Seulement, aujourd’hui n’était pas un bon jour pour exiger du service de la part de l’immortel.

« Ça va, ça va, y’a pas le feu » marmonna Lip d’un ton morne.

Il contourna le comptoir, alla dernière le bar, s’empara d’un verre et le remplit de gestes machinaux qui démontraient clairement son manque d’entrain. Lui qui d’ordinaire adorait chaque jour à s’occuper de cet endroit, son petit bébé, tous les pores de sa peau hurlaient l’envie de se jeter sous un bus.
Une fois le verre empli, il alla le mener jusqu’à son client griffu et le déposa sur la table avec un sourire forcé. En se retournant, Lip se retrouva nez à nez avec une fille. Une adolescente, cette gamine n’avait pas vingt ans. Et la porte était de l’autre côté. Comment avait-il pu rater son entrée? Et comment était-elle entrée? Son gardien de porte s’était endormi ou quoi?! Ou alors elle n’était pas humaine. Les humains -- à quelques exceptions près -- ne pouvaient pas passer son maitre renifleur d’êtres surnaturels. Une bonne façon d’éviter les touristes et autres nigauds qui auraient une sacré surprise en entrant ici!
Une vampire? Il en doutait en ce très charmant 3h de l’après-midi!

« Tu veux qu’que chose? » demanda-t-il le regard de biais, suspicieux -- ou méfiant, au choix.

Une fois de plus, le soleil se levait sur la Nouvelle Orléand. Le calme nocturne avait laissé place au brouhaha habituel, typique des vivants. Installée sur le rebord du toit d'un immeuble, je regardais les rues se remplirent peu à peu. Des enfants, des adolescents, des vieux, des personnes collées à leur téléphone, des personnes déjà complètement bourrées. Bref, on pouvait déjà trouver de tout dans les rues de la ville. Regardant les uns courir, tendis que les autres se faisaient bousculer, je réalisais à quel point être morte pouvait être paisible. Je n'étais plus jamais en retard et être bousculé était strictement impossible. Par contre, l'étrange sensation que j'avais lorsque quelqu'un me traversait était particulièrement désagréable. Un peu comme si on triturait mes intestins tout en étant écrasée par un bus.... Oui, les deux en même temps, mais sans la douleur. Cela dit, j'avais l'impression que ce sentiment devenait moins présent avec l'habitude. Vous me direz, tout est une question d'habitude dans la vie, comme dans la mort.

Je repliais mes jambes contre mon ventre, restant quelques instants immobiles, je me concentrais sur le ciel. La brise matinal, la chaleur du soleil. Des choses qui nous semblent si insignifiantes lorsqu'on peut les sentir en continue, mais pour une personne comme moi c'était bien différent. Ressentir, toucher. Ces sensations me manquaient plus que je pouvais l'imaginer et pourtant, à présent c'était du passé. Passé... Peut-être que la solution à mon problème de fantôme était dans mon passé? Non, c'était certain. Aussitôt que je découvrirais comment et pourquoi je suis morte, je pourrais trouver la paix... Enfin, je l'espérais plus que tout. Cela dit, seule, trouver la réponse n'allait pas être facile et c'était la raison qui m'avait poussé à observer cet homme, Philip Cooper pendant de longues journées. Il était ancien et devait surement en connaître un rayon sur les esprits et leur blocage psychique... Enfin si ce n'était pas le cas, je pouvais aussi lui demander de m'aider...

Je me laissais tomber sur le trottoir en bas du bâtiment et me frayais un chemin entre les gens. Je ne pus, malgré moi, résister à l'envie de taquiner en plus quelques ami(e)s en chemin avant de me rendre à son lieu de travail... Un endroit où il serait tenu de m'écouter un minimum. Devant la porte, un grand gaillard surveillait la porte. J'esquissais un léger sourire, heureuse de ne plus être visible et matériel. Je traversais la porte, lançais un regard autour de moi. C'était bien calme, comme à chaque fois que je venais, ou presque. Je m'avançais vers la personne que je cherchais, fis en sorte de lui être visible lorsqu'il s'adressa à moi. « Déjà. Bonjour. » Lançais-je poliment et enchaînais avant qu'il tente de me mettre à la porte. « Et oui. J'aurais besoin de votre aide pour une enquête un peu spécial... » J'étais un peu vague sur la raison qui me poussait à lui demander son aide, mais après tout, il devait bien avoir rencontré beaucoup de fantômes avant moi.

Voyez! Ça c’était un truc qui ne se serait jamais produit il y a 300 ans! Ou même 100! Ou même juste 30! Les gamins de nos jours, plus malpoli tu meurs. Il avait été gentil lui. Bon, il y avait des manières plus conventionnelle de demander à un client s’il voulait quelque chose, mais considérons le jour de merde du propriétaire des lieux pour lui laisser une petite chance. Il ne l’avait pas tirée par l’oreille pour la sortir de son bar. C’était déjà bien! Plus que bien même, c’était la conduite irréprochable d’un hôte ça! Ouais bon, peut-être pas à ce point, mais tout est bon pour éclairer un peu un mauvais jour, non?
Bref, ce bonjour lui donna un petit mouvement de recul presque imperceptible, juste du menton. Lip se permit de détailler l’adolescente de bas en haut. Elle avait une certaine dose d’audace. Quoi qu’elle fut -- car elle n’était pas humaine, autrement elle n’aurait pas passé son doorman -- ouais, elle avait un certain culot. Et une drôle de manière d’en user.

« Une enquête? »

Si pour des raisons purement personnelles Lip avait été à côté de ses pompes toute la journée, il venait de sauter un bon mètre à côté maintenant. Regardant bien autour de lui question de s’assurer qu’il n’avait pas divagué et qu’il se trouvait toujours dans les tréfonds rassurants de son Artémis chéri, l’immortel dévisagea ouvertement la gosse quelques instants plus tard.

« Le poste de police c’est de l’autre côté de la ville ma jolie. J’ai l’air d’un type qui va t’aider à retrouver ton chien? »

Méchant?
Hey, il était moitié démon après tout, il avait droit à ses jours d’ours mal léché et quand votre ancienne flamme que vous avez tué 200 ans plus tôt s’est présentée dans votre bar la veille, c’est un de ces jours, croyez-nous! Et puis, il n’était pas enquêteur. À moins que cette fille vienne lui annoncer que Lucifer voulait venir prendre un peu de soleil sur terre et tout ravager sur son passage quitte à être là… il n’était pas le type dont elle avait besoin. Absolument pas. Il avait d’autres chats à fouetter, à commencer par sa santé mentale. Il avait halluciné une femme hier, une femme vraie, mais pas vraiment vrai parce que c’était juste impossible qu’elle soit vrai. Alors non, il n’avait pas le temps pour une enquête un peu spéciale.

« Écoute, je sais pas comment t’es entrée, mais tu devrais pas être là. Je vais t’appeler un taxi, t’iras raconter à un vrai flic pourquoi t’as perdu ton chat. »

C’était pas son chien?
Peu importe. Lorsque Lip voulut mettre une main sur son épaule pour l’entrainer avec lui dans l’arrière boutique question de couper court au halloween-fest qui avait éternellement court dans son bar il rata complètement son coup. Non pas qu’il était assez malhabile pour rater une épaule, mais plutôt parce que sa main passa au travers sans la moindre résistance.
Les sourcils froncés revinrent à la charge dans la seconde et le gardien se recula d’un pas, mains sur les hanches pour détailler à nouveau la jeune fille qui se trouvait devant lui.

« Huh… »

Intéressant, mais ce n’était toujours pas dans sa description de tâches. Il ne sauvait pas la veuve et l’orphelin ou le Casper à moins que ça concerne le sort du monde. Il doutait fort que cette fille influe là-dessus!

« Lip, tu vas bien? Tu parles tout seul. »
« Je parle tout seul si je veux hein, c’est mon bar que je sache! »

Le démon se rembruni et Lip roula les yeux. Ouais, comme si tout le reste était pas assez. Voilà qu’il était hanté!

Je laissais mon interlocuteur le temps de digérer ma demande. Je pouvais néanmoins bien voir qu'il me prenait pour une gamine un peu folle. C'était mon calvaire. J'étais restée figer avec l’apparence de mes dix-huit ans alors que j'en avais environ deux de plus. Parfois, je me disais que j'étais morte bien trop tôt pour paraître crédible lors de mes apparitions devant les vivants. On me croyait souvent perdu, mais le coup du chien c'était la meilleure. Je savais très bien où se situait le poste de police, mais ils ne me seraient d'aucune utilité dans mon cas. Les policiers ne prendraient pas le temps d'aider un fantôme à trouver la façon dont il est mort. Ils ne l'avaient pas fait pendant qu'il menait l'enquête alors pourquoi maintenant? « Ils ne peuvent pas m'aider. » Lâchais-je dans un soupir remplis de déception. Je pensais que cet ancien demi-démon pourrait m'aider, lui. J'en avais appris des choses en l'espionnant comme il m'arrivait de le faire avec beaucoup d'être dans la ville. J'avais vu des vampires, des loup-garous... Un peu de tout, car avec un peu d'observation, presque plus de personnes vivantes à la Nouvelle-Orléans n'avait de secret pour moi.

Philip continua sur sa lancé. Il voulait vraiment me foutre dehors, mais j'étais bien trop têtue pour flancher à la moindre difficulté. De toute façon, il n'avait aucun moyen de me mettre dehors. Il ne pouvait pas me toucher et je ne bougerais pas d'un pouce. D'ailleurs, il le comprit très bien lorsqu'il tentait de m'attraper par l'épaule. Je fus déçue, je m'attendais à une plus grande réaction que Huh... Même si je savais qu'il était habitué au surnaturel vu son âge et son statut, mais quand même, je demandais un minimum de réaction. « Vous savez pourquoi je peux pas aller voir la police maintenant. » Ajoutais-je avant que les des criants ne prenne le propriétaire pour un fou qui parle tout seul. De toute évidence, j'avais mal choisis mon jour pour débarquer. Cela dit, lorsqu'il s'agissait de démon, je ne savais pas vraiment quels moments pouvaient être désignés comme étant le bon.

Sérieuse, je soupirais afin de récupérer une total attention de la part de mon interlocuteur. J'espérais vraiment qu'il m'aide, car je ne savais pas spécialement vers qui me tourner pour m'aider dans cette enquête. Je sentais que je devais savoir ce qui s'était produit, mais comment le découvrir seule? « J'ai besoin d'aide pour découvrir comment je suis morte. » Sur le coup, j'avais été direct. Après tout, pourquoi perdre plus de temps, si en plus je devais en prendre pas mal pour le convaincre de m'aider.

Elle avait besoin d’aide! Et c’était écrit où sur l’enseigne qu’ici ils étaient au service des âmes désespérées? La fin du monde, ça c’était désespérant, surtout quand on avait beau l’empêcher et que tout était à refaire quelques mois plus tard! Vous savez combien de fois Lip avait sauvé le monde en neuf cents ans? Beaucoup trop pour ne pas être désespéré. Il connaissait extrêmement bien le sentiment des ménagères qui se plaignaient que leur ménage ne durait pas cinq minutes. Autant un plancher ne pouvait resté propre que trois minutes, autant le monde ne pouvait pas resté sauvé! À la longue, c’était rageant.
Enfin bref, ceci n’avait rien à voir avec cela, mais même si l’immortel s’ennuyait depuis un bout de temps, il n’avait pas forcément envie de se lancer dans la lutte forcenée contre tout ce qui cloche dans ce bas monde. Des gens se faisaient tués tous les jours et ça arrivait bien plus souvent qu’elle le pensait qu’ils ne sachent ni comment ni pourquoi. Elle était morte, c’était la fin de l’histoire. Qu’elle trouve la lumière et aille trouver le repos éternel. Elle avait la chance d’y avoir droit, qu’elle en profite au lieu de rester là à errer sans but. Mais c’était le propre des humains non? Refuser la mort, être incapable de l’accepter. Vouloir du temps, toujours plus de temps. Et même quand ils étaient morts et qu’on ne pouvait plus rien y faire, il fallait que certains s’obstinent encore.

« Et j’aimerais devenir Miss Amérique, mais on a pas toujours ce qu’on veut dans la vie et c’est pareil dans la mort trésor. »

Pas très engageant? Nous dirons plutôt pas du tout. C’était son côté démon que voulez-vous. Il avait une mission venant de très Haut, une mission qui ne prenait pas en compte les petites pacotilles comme un esprit coincé dans les limbes. Se mêler de ses affaires lorsque les Pouvoirs qui Sont n’attendent rien de lui, voilà ce à quoi il aspirait, voilà comment ça fonctionnait.
Mais ce n’était qu’une gamine. Une gamine morte qui n’avait probablement rien fait pour mériter son sort. Et son côté tueuse était sensible à ce genre de choses. Argh, pourquoi avait-il fallut qu’il soit si tranché en deux? Pourquoi le je-m’en-foutisme le plus complet devait supporter le bon samaritain prétendant au titre annuel?

« Tu tireras probablement rien de bon de tout ça gamine. Le mieux que tu puisses faire, c’est de laisser aller. »

C’était typique. Les événements traumatisants étaient ce qu’on s’efforçait toujours d’oublier et se faire assassiner devait entrer dans le top 3 des trucs les plus traumatisants. Non, quand l’esprit oublie, ce n’est jamais bon de chercher à lui rappeler, Lip le savait d’expérience. Cette pauvre fille n’était pas la première fantômette à croiser sa route.

« Suis la lumière ou je ne sais quoi et va profiter de ton repos éternel. »

Ce disant, il battit légèrement des mains devant lui, mimant un oust explicite qui traduisait son envie de la voir disparaitre et plus jamais revenir.

Wouah ! Il était évident que je savais qu'on avait pas tout ce qu'on voulait dans la vie comme dans la mort. Je voulais vivre longtemps, je voulais terminer mes études, je voulais rencontrer l'amour, je ne voulais pas mourir, je voulais passer à autre chose, je voulais dormir, je voulais manger du sucre. Bref, il y avait pas mal de trucs que je voulais et que je n'aurais et des trucs que je ne voulais pas et qui pourtant sont arrivées. J'avais beau être morte jeune je connaissais les défauts de la vie comme de la mort et c'était la raison qui me poussait à aller au bout de cette enquête. Je voulais découvrir ce lourd secret qui me hantait nuit et jour pour enfin pouvoir passer à autre chose. Je pensais que c'était le seul moyen de pouvoir passer à autre chose. Après tout, pourquoi je serais toujours coincée ici sinon? J'étais passée de l'autre côté sans avoir terminé un truc. Je connaissais la politique des fantômes, mais honnêtement à part découvrir les circonstances de ma mort, je ne savais pas de quoi il pouvait s'agir...

J'ignorais la réflexion de Philip, le regard sérieux. Un léger sourire se dessinait sur mes lèvres. Il serait sans doute difficile à convaincre et têtu, mais je l'étais tout autant. Lorsque j'avais une idée en tête, jamais, je dis bien jamais je ne lâcherais l'affaire. De plus, ma curiosité n'arrangeait pas les choses dans ce genre de situation. Lorsque je voulais découvrir quelque chose, rien ne pouvait m'empêcher de le découvrir. « J'ai besoin de savoir. » Répliquais-je à sa réflexion. Cela ne m'apporterait rien de bon? Ce n'était pas si grave, après tout, je n'avais absolument rien à perdre à présent. J'étais déjà morte, que pouvait-il m'arriver de pire? Mourire encore une fois? Ne pas trouver la lumière? Honnêtement, je doutais de l'existence de cette lumière et mourir ne me faisait plus vraiment peur à présent.

Il tentait de se débarrasser une fois de plus, mais sans réel réussite. Je ne bougerais pas d'un pouce avant qu'il n'accepte de m'aider. Finalement, je comprenais à présent les remarques que j'avais pu entendre à mon enterrement. C'était vrai, j'étais une véritable plaie lorsque j'avais une idée en tête. Curieuse et tête de mule... Ce n'était jamais un excellent mélange et encore moins lorsque cela concernait un fantôme. Enfin, comme je risquais d'être là pour longtemps, autant lui montrer que j'étais prête à tout. Disparaissant, je laissais penser que je capitulais et que je partais enfin... Mais, c'était loin d'être le cas. Je me contentais de redevenir visible quelques temps plus tard, mais cette fois-ci, derrière le comptoir. « Je ne lâcherais pas l'affaire.... » Prononçais-je avant de reprendre sur un ton tout aussi sérieux. « Et vous êtes le seul à pouvoir m'aider. »

Ses quelques clients le regardaient de plus en plus étrangement. Bizarre quand même, un type à la peau mauve qui trouvait particulier un homme qui parlait dans le vide. Halala, et Fantômette ne comptait pas démordre apparemment. Mais qu’avait-il fait pour mériter ça? Ou pas fait peut-être, était-ce une façon de lui faire payer tout ce temps passé dans ce bar à essayer de nouveaux cocktails et suivre la trépidante vie de Brooke et Brad et leurs jumeaux maléfiques? Ouais, voilà, pour prendre les choses pépères depuis que le monde n’allait pas vers sa fin imminente, il devait payer! Pourtant, avec tous les services rendus à l’humanité, le karma aurait dû être avec lui et non contre lui. Hum, il devrait peut-être entrer en contacte avec le dalaï-lama ou un autre dans le genre, il pourrait peut-être lui dira comment allait la santé de son karma!
Ahem, ne nous éloignons pas trop du sujet.
Le sujet étant cette gamine morte qui voulait que lui, Philip, immortel, gardien de la balance entre le bien et le mal, découvre le pourquoi du comment de sa mort. Il n’était pas inspecteur! Et puis, quand bien même était-elle un esprit qui n’arrivait pas à trouver le repos, sa mort n’avait probablement rien de surnaturelle. Et le naturel, ce n’était pas la tasse de thé du bonhomme!

« Grand bien te fasse ma p’tite! »

Ouais qu’elle court après son meurtrier si elle le désirait, mais elle n’était pas obligée d’entrainer un pauvre type sans histoire dans le procédé! … Peut-être pas sans histoire, ni même pauvre type, mais peu importe, c’est une question de principe.

Soupirant, Lip contourna l’invisible demoiselle et s’éloigna vers le bar. Il n’avait pas besoin de se retourner pour savoir qu’elle suivait. Elle était peut-être intangible, mais elle puait l’obstination à plein nez! Passant à l’arrière du comptoir, le gardien s’empara d’un chiffon pour frotter le bar qui n’en avait aucun besoin. Quand une conversation l’ennuyait ou l’agaçait, il avait toujours besoin de s’occuper les mains pour éviter de serrer le cou de son interlocuteur. Et comme dans ce cas-ci ce serait une complète perte de temps, c’était encore préférable de s’occuper les mains!

« Je suis pas le seul holà! Bon, ma réputation me précède et tu veux le meilleur du domaine, c’est normal, qui ne voudrait pas le meilleur pour s’occuper de son cas hein? »

Vantard? À peine! Mais bon, avec neuf cents ans d’expérience et d’ancienneté, oui, on finissait par être plus que doué et s’en tirer les bretelles était un peu normal au bout du compte.

« Mais je fais pas dans la b.a. Je peux pas mourir trésor, j’ai aucun ciel à gagner. »

Ceci était un mensonge.. à peu de choses près. La vieillesse n’avait aucune emprise sur lui et il était résistant de nature aux blessures qui auraient été fatales à un humain normal, mais mourir était possible oui. En espérant que cette fille ne le sache pas, voilà tout!

« On peut faire ça rapide. Dis-moi où t’es enterrée, je trouverai quelqu'un qu’y’a rien à faire de son vendredi soir et il ira bruler tes os, t’arrêteras d’errer sur terre et ce sera gagnant-gagnant! »

A mon plus grand désepoire, Philip ne semblait pas décidé à m'aider ce si tôt. Trouver une personne aussi têtue que moi pouvait parfois s'avérer difficile, mais là j'avais trouvé mon égal. Il voulait que je parte, je voulais qu'il m'aide. Une fois de plus la dure lois de l'existence s'appliquait. Comme il l'avait dit, on ne pouvait pas tout avoir dans la vie comme dans la mort. Mais, aucun de nous n'était près à lâcher l'affaire et je sentais que nous en aurions pour bien plus longtemps que prévu. Enfin, j'avais l'éternité devant tout comme lui de toute évidence, donc... A voir qui lâcherait en premier, si cela sera le cas dans le futur. Il pensait sans doute que je n'avais pas réfléchis longuement avant de me montrer ici et c'était faux. J'avais passé des sombres nuits et plusieurs dizaines de jours avant de finalement me lancer. J'avais exploré chaque piste et même pensé me débrouiller seule. Malheureusement, les deux m'avaient menées dans des impasses, alors me voilà.

Je le fixais en silence, suspicieuse. Me prenait-il pour une idiote? Je ne serais pas venue voir un démon si je n'avais pas un minimum d'information. J'avais appris beaucoup de choses en le hantant, lui, tout comme bien d'autres avant. Ce n'était d'ailleurs pas le seul démon que j'avais pu rencontrer, mais c'était le plus ancien. Je n'avais pas vu énormément d'options possibles afin de passer à autre chose. Enfin, malgré cela, j'avais appris à douter de l'existence de ce truc après la mort. La lumière, le ciel, l'autre monde, la réincarnation... Je commençais à être immatériel depuis trop longtemps pour encore y croire pleinement. Je souhaitais uniquement pouvoir combler le vide que j'avais en moi.

Je me figeais à ses dernières paroles. Me brûler? En quoi cela m'apportera-t-il des réponses? Cela n'empêcherait pas le fait que je ressente ce vide ou bien que je trouve la paix que j'espérais avoir après cette découverte. En quoi ce serait bénéfique? Cette idée me rendait triste et angoissée. J'en tremblais, ce qui était bien rare. « Honnêtement, je ne vois pas comment me brûler pourrait m'aider... » Répondis-je en tentant comme je le pouvais de garder mon calme. « Je n'aurais toujours pas de réponses à mes questions. » Ajoutais-je en me plaçant de façon à être en face de mon interlocuteur. « Je suis certaine que vous savez ce que c'est.... De ne pas avoir de réponses à nos questions. » Oui, j'en étais certaine. Je l'avais bien vu, sentis au fil des jours, je n'étais pas totalement stupide. De plus, ce n'était pas comme si personne en ce monde n'avait pas au moins essayer de répondre à une question sensible au long de son existence. « S'il vous plait... » Terminais-je dans une complainte.

Philip roula les yeux malgré lui. Il lui arrivait d’être ouvertement insolent, mais ce n’était pas nécessairement le but recherché ici. Cette fille ne devait pas être morte depuis bien longtemps pour ne pas savoir les trucs les plus élémentaires. Ou alors elle ne cherchait pas à les connaitre, ça se pouvait aussi. Quant à lui, Philip connaissait l’élémentaire depuis trop longtemps pour se souvenir du temps où il n’en savait rien.

« Brûler ce qui reste du corps d’un fantôme avec du sel, c’est adios au Casper ma belle. C’est la façon radicale d’envoyer un esprit au repos si tu préfères. »

Et la supposition qu’il cessait juste d’exister? Que c’était comme ça qu’on tuait un esprit? Elle n’avait pas forcément besoin de savoir ça et ce n’était pas comme si ça changerait la vie du mi-démon. Il continuerait son combat sans fin et elle ne serait plus là pour polluer son espace personnel. Car en vérité, Philip ne savait pas où allait un esprit une fois ses restes brûlés, il ne s’était jamais posé la question et ça lui était, à vrai dire, complètement égal. Son rôle n’était pas de les prendre en pitié mais de s’assurer qu’ils ne contrecarraient pas l’équilibre du monde.

« Écoute, je vais être franc même si ça sonne pas sympa pour tes petites oreilles de princesse. »

Il s’appuya les mains sur le comptoir, rendant sa posture un peu plus imposante. Si au début il avait juste l’air moqueur et peut-être même un poil amusé par cette fantômette qui venait ici pour lui demander de l’aide, pouff, juste comme ça, maintenant il était sérieux. Très sérieux. Il espérait lui rendre service de cette manière parce qu’il parlait par expérience.

« Déterrer les mauvais trucs, c’est pas bon. Comme dans jamais bon. Laisse tomber ok. T’es morte. C’est triste, je le concède, t’avais la vie devant toi. Sûrement une bonne vie, j’en doute même pas. Mais t’es morte et trouver le connard qui t’as fait ça, ça changera absolument rien. Ça va juste garder ouvertes des blessures qui serait préférable de fermer. »

Ne pas avoir de réponse? Bien sûr qu’il connaissait. Il connaissait plus que bien, ses employeurs étaient les maitres dans l’art de donner envie de poser des questions auxquelles ils ne répondaient jamais, mais au fil du temps, il avait appris à laisser aller. On ne contrôlait pas tout. On ne contrôlait jamais tout. C’était une de ces choses avec lesquelles il fallait apprendre à vivre un point c’est tout. Et c’était pareil dans la mort.

« Je vis depuis longtemps trésor et j’ai vu bien plus de trucs que tu peux même imaginer, crois-moi quand j’te dis que ça t’apportera rien de bon. »

Mais elle avait dit s’il vous plait. Et il y avait cette lueur dans ses yeux. Comme un chiot abandonné dont personne ne voulait. Un chiot qui crevait de faim et qu’il était juste inhumain de laisser pourri sous la pluie battante.
Heureusement que Lip n’était pas humain alors!
… Il l’était, à moitié. Ce pourquoi il la fixa de longues secondes, l’agacement et la frustration gonflant de concert. Une moitié flanchait. Et l’autre grondait déjà qu’il allait le regretter.

« J’ai pas que ça à faire tu sais! J’ai un business à faire tourner et si Dieu le veut, une planète à sauver bientôt! Alors fais pas ta fine bouche quand je te dirai que c’est pas le moment ou que j’ai pas le temps! »

J'avais beau être têtue et ne plus rien avoir à perdre, j'avais le don de me sentir mal à l'aise en ce moment même. Je ne me doutais pas que convaincre Philip serait aussi difficile et pourtant je m'étais attendu au pire. Il semblait être dans la même situation que moi excepter que, pour lui, son temps semblât avoir plus d'importance. Je savais la conséquence de voir mes os brûler, mais c'était de l'après dont je doutais fortement. Après tout, personne n'avait pu témoigner de ce qu'il y avait après. Une disparition simple et rapide, paradis ou enfer. Honnêtement, ce n'était pas le plus important pour moi et malgré les efforts de mon interlocuteur pour me faire changer d'avis sur ce point, je ne flanchais pas. Et puis, je n'étais pas une princesse. Apprendre la vérité ne me faisait pas peur... En théorie. Enfin, si vraiment cela ne m'apporterait rien de bon et bien j'avais toujours l'autre solution. La solution que le brun semblait particulièrement apprécier. Cendres, tranquillité. C'était ce qui résumait cette deuxième solution. Pour moi, c'était plutôt celle à utiliser si toutes les autres avaient échoué et seulement après je l'envisagerais.

Je me figeais un instant, assez surprise en fait. S'il s'en fichait vraiment, alors pourquoi marquait-il un point d'honneur sur cette histoire d'ancienne blessure qui deviendraient de nouveau fraîche. Enfin, je me faisais sans doute des idées, mais mine de rien il avait l'air de s'en faire un minimum. C'était assez contradictoire tout ça. Aucun scrupule à me cramer, mais pour ce qui était de la douleur c'était différent. En plus, dans les deux cas je souffrirais, donc, c'était du pareil au même.

Je n'avais plus d'option pour le convaincre. Supplier, était belle et bien la dernière chose que je tenterais. Ce n'était pas mon truc d'ordinaire, mais dans ces moments-là, c'était assez naturel en fait. Je pensais que c'était mon dernier espoir avant de pouvoir entre voir un futur pour moi. Etrange non ? Un fantôme qui ressent le besoin d'avoir un futur tel qu'il était. Ce n'était certainement pas courant dans le milieu et pourtant comme Casper, hanter me permettait de faire de nombreuses rencontres, même si la solitude pouvait parfois être pesante.

La tristesse, l'espoir. Deux sentiments qu'on pouvait voir se mélanger dans mes yeux et ce fut sans doute ce qui me laissait apercevoir cette dernière chance. Les dernières paroles de Philip me laissaient penser à un oui. Il avait vraiment décidé de m'aider? Sous condition, mais cela ressemblait à un oui. La tristesse avait laissé place à un éclat de joie. « C'est un oui? » Demandais-je pleine d'espoir et prête à sauter de joie si cela avait bel et bien été le cas. Je me sentais déjà prête à faire n'importe quoi pour montrer ma joie. J'esquissais un léger sourire, puis repris un certain sérieux. « Tes conditions sont les miennes. » Précisais-je pour le rassurer.

Il allait le regretter. Pour sûr. Et à ce moment-là il n’aurait que lui à blâmer. Ça valait bien un verre. Attrapant la bouteille de whisky et un verre de mains habiles et expertes, Lip se servit une bonne rasade d’alcool pendant que fantômette encaissait la nouvelle de leur partenariat en devenir. C’était stupide. Complètement stupide. Depuis la veille, il accumulait les boulettes à une vitesse alarmante. Mais quelque part, une petite voix trouverait à dire que c’est bien à cause d’hier soir. Emily… ou plutôt Charlie, peu importe qui elle était en réalité, il fallait qu’il arrête d’y penser. Par tous les moyens possibles, n’importe lequel. Comme aide un esprit à découvrir les circonstances de sa mort, pourquoi pas? Oui, ça l’occuperait, ça empêcherait ses pensées de tourner en boucle. Ça lui éviterait de devoir s’enchainer à son bar pour se retenir de parcourir la ville et la chercher.
Une chasse au meurtrier c’était toujours mieux que de devenir le prochain stalker professionnel de la Nouvelle Orléans, non?

S’il y avait vraiment quelqu’un là-haut et qu’il était sympa, au moins une fois, rien qu’une fois, il commanderait une fin du monde! Ça c’était le meilleur moyen pour vider la tête de Lip de tout le reste. Une bonne vieille fin du monde. Avec un sacrifice à empêcher à la dernière minute, le classique avec la belle blonde qui voulait devenir none mais qui succomberait à l’excitation d’avoir failli mourir dans ses bras. Ouais, ce scénario lui plaisait. Il achetait! … Où était sa fin du monde alors?!

Pas ici. Pas maintenant. Ses grands copains les Oracles ne vinrent pas pour jouer à la devinette. Il n’y avait qu’elle, cette petite fille morte que personne d’autre ne voyait pour le regarder avec ses grands yeux de biche.

« Ça y ressemble en tout cas. »

Alors pourquoi n’était-il pas un peu plus… festif? Parce qu’il allait le regretter. Parce qu’il y avait une raison à pourquoi il ne se mêlait pas de ce genre de choses d’habitude et que cette raison allait lui exploser à la figure à un moment ou un autre, c’était certain.

Il se servit un second whisky. Le but cul-sec et se traita mentalement de crétin. Allé, de toute manière, il était trop tard pour reculer maintenant. Si l’immortel acceptait visiblement n’importe quoi, il ne donnait cependant pas sa parole à la légère. Il avait dit à fantômette qu’il l’aiderait, il allait l’aider. Déjà peut-être qu’il pourrait être en mesure d’avoir l’enquête sur son meurtre par Aldric. Un gros peut-être. Pas sûr que l’irlandais accepte de l’aider avec juste un : écoute j’ai besoin d’un dossier, un fantôme me l’a demandé. Si un seul flic en ville pouvait avaler ça, c’était Aldric, mais il lui faudrait plus que ça pour aller remuer la poussière d’une affaire non classée.

« Vas-y, balance avant que je change d’avis. »

Il allait avoir besoin d’infos, forcément. Du plus qu’elle pouvait lui donner. À commencer par son nom, ouais, son nom serait un bon début. Pour retracer quelqu’un, ça allait toujours mieux avec un nom qu’il soit mort ou non.

C'était un oui ! Je disparus quelques instants pour pouvoir sauter de joie sans avoir l'air totalement abruti devant la personne qui avait finalement acceptée de m'aider. Et puis, ma joie débordait tellement qu'on aurait pu me prendre pour une gamine, comme si ce que pensait tout le monde en me voyant. C'était d'ailleurs complètement blessant qu'une personne me prenne pour une gamine juste parce que j'étais morte à dix-huit ans. Je n'avais peut-être pas eu la possibilité de connaître tout un tas d'expérience, mais je n'étais pas débile pour autant. J'étais morte depuis deux ans et les gens qui s'apitoyaient sur mon sort m'énervait un peu. Bon d'accord, je le faisais parfois sur moi-même, mais le résultat n'était pas vraiment le même.

Mon moment de bonheur passé, je repris mon calme et réapparus en face de mon interlocuteur. Je me doutais qu'il me demanderait un maximum d'information sur mon cas, comme chaque officier qui commençait une enquête et ce peu importe le domaine. Il m'était arrivé une ou deux fois de hanter l'un des officiers chargés de mon enquête et j'avais vu sa manière de travailler. Malgré tout, il n'avait pas réussi à avoir énormément de choses et c'était la raison pour laquelle il appelait cette affaire non-classé. Enfin, je doutais à présent qu'il continue les recherches après deux ans sans réel avancée. C'était d'ailleurs un peu déprimant quand j'y pensais, mais je ne devais pas être la seule qui soit concernée par ce genre d'affaire.

Je regardais curieuse et quelque peu surprise mon tout nouveau collaborateur s'enfiler deux whisky à suivre. Je savais que j'avais eu du mal à le convaincre, mais je ne savais pas qu'aider un fantôme pouvait être aussi dramatique, enfin si bien sûr cette réaction me concernait. Il avait sans doute bien d'autres problèmes que moi et mon apparition n'arrangeait peut-être pas la situation. Lorsqu'il me demandait des informations, je me figeais un instant et plongeais dans mes souvenirs. Ce n'était pas bien difficile pour moi, mais que devais-je lui dire? « Euhm. Je m'appelle Zéplynne Plùme Holmes, je suis une anglaise venue en vacance à la Nouvelle-Orléans il y a deux ans de cela. C'était en fin juillet, la nuit dans une ruelle. » Tentais-je de répondre. Je me surprenais moi-même. Je n'avais peut-être pas autant de souvenir que je pouvais l'espérer. Cette soirée était bien trop floue pour que je puisse donner trop d'information.  

Évidemment si elle en savait beaucoup elle ne serait pas là à lui demander de trouver son meurtrier et les conséquences de sa mort. C’était typique des esprits, se souvenir de leur vie dans les moindres détails, mais leur mort était bien souvent un mystère. Joli casse-tête en perspective, surtout maintenant qu’elle lui disait ne pas être du coin. Il lui serait bien difficile de trouver des gens qu’elle connaissait, des amis qu’il aurait pu questionné, ceux-ci se trouvaient sûrement de l’autre côté de l’océan. Non pas que se rendre en Angleterre était un problème, Lip avait parcouru le globe de long en large de nombreuses fois au fil des siècles, mais lui et son frère étaient stationnés à la Nouvelle Orléans depuis des mois pour une raison. Il ne pouvait pas se retrouver sur un autre continent juste comme ça, c’était toujours là que les trucs se produisaient. Il pourrait peut-être appelé… et bonjour la facture de téléphone!
Ouais, il se débrouillerait autrement.

« Tu te souviens de la ruelle? »

C’était la bouche de l’enfer par ici. Il y avait des coins moins conseillés que d’autre et pour une touriste c’était facile de se retrouver dans les mauvaises ruelles où ce qui s’y passait n’avait pas grand-chose de naturel. Et si sa mort n’avait rien de naturelle? Elle ne serait ni la première ni la dernière et ça ne changerait rien à son état actuel de fantômette.
Non, le mieux qu’il pouvait faire pour commencer, c’était d’avoir une petite conversation avec Aldric et le convaincre de lui faire une copier de l’enquête sur la gamine. À savoir s’il accepterait, c’était une autre paire de manches, mais avoir le dossier lui donnerait déjà un sacré coup de pouce pour commencer à fouiller cette histoire. Deux ans, il s’en passait en deux ans dans la vie des humains et il n’y avait probablement aucun ami de la gamine en ville. Sans le dossier, il ne voyait pas trop comment il pouvait retracer cette affaire.

Pourquoi il avait accepté de l’aider déjà? Oh, ouais, parce qu’il était con. Et stupide. Et crétin. Et très con! Ce devait être le résultat d’avoir vécu si longtemps. Il fallait se compliquer la vie pour rien juste pour la pimenter un peu!

Et il se resservit du whisky. Encore? Si tôt dans l’après-midi? Mah, c’était sûrement l’heure de boire quelque part et puis Lip tenait bien l’alcool. C’était surtout pour s’occuper les mains, encore, et comme il avait la bouteille à portée maintenant… Ouais, la rangée serait peut-être une bonne idée. Alors pourquoi il ne le faisait pas? Pour la même raison que pour le reste, parce qu’il était con.

« J’ai un pote qui pourrait peut-être m’avoir ton dossier. Je m’avance là, mais ce sera un point de départ… »

Un pote était une façon de parler. Disons plutôt qu’ils se rendaient mutuellement service au besoin et que le reste du temps c’était chacun pour sa pomme.

D'ordinaire, je n'oubliais rien. Du truc le plus insignifiant au plus important et pourtant le moment le plus important de toutes ma vie est complètement flou. Il m'était impossible de donner le maximum d'indice sur cette nuit-là, la nuit où j'étais passée de l'autre côté, la nuit où j'étais morte. C'était la raison de ma présence ici, la raison qui m'avait poussé à demander son aide à Philip, ancien et connaisseur du monde surnaturel. Avec ces deux compétences, je pensais qui serait le meilleur pour m'aider à découvrir comment, pourquoi et par qui j'avais été tué. En même temps, c'était peut-être un accident... Honnêtement, je n'en avais pas la moindre ici. J'aurais pu trébucher, me cogner la tête et mourir sur le coup. Après tout, aucune solution ou possibilités n'étaient à écarter. Meurtre, accident, attaque de bête sauvage. Je m'étais préparée au tout, enfin en théorie.

A la question de Philip, je me plongeais une fois de plus dans mes pensées. La ruelle? Oula ! C'était flou, je me souviens que c'était une nuit assez fraîche, mais pour ce qui était de la ruelle je ne me souvenais plus vraiment. Je courais... Pourquoi ? Je n'en savais rien, mais de toutes évidences je n'avais pas assez fait attention au décors qui m'entourait. « Juste qu'elle était sombre. » Répondis-je assez peu sûr de moi. C'était le seul et unique détail qui m'était revenue en mémoire. En même temps, il faisait nuit, donc toutes les ruelles étaient ainsi. « Désoler, ça n'aide pas beaucoup. » En toute franchise, je n'étais pas vraiment utile sur ce coup-là. J'étais capable de décrire plusieurs ruelles de Londres les yeux fermés, mais ici je n'avais eu le temps de toutes les observer. La ville était assez grande et j'étais ici depuis trop de temps lorsque je suis morte.

J'affichais un air quelque peu déprimé par mon manque d'information. J'avais bien demandé de l'aide, mais je craignais de mon collaborateur n'abandonne à cause de cela. Après tout, il n'avait pas juré n'y rien et j'avais mis pas mal de temps avant de finalement le convaincre. Je le regardais se servir un nouveau verre. Était-ce réellement une voie sans issue? Je me doutais que découvrir ce qui c'était passé cette nuit-là ne serait pas facile et que cela mettrait du temps. Une fois de plus, je craignais qu'il n'abandonne. Comme il l'avait dit plutôt, mon cas n'était pas sa priorité, si mon affaire était trop longue, il pouvait tout simplement juger bon d'arrêter. Je fus donc vraiment soulager lorsqu'il m'annonça qu'il pouvait peut-être récupérer mon dossier auprès d'un ami qui travaillait dans la police. Une lueur d'espoir et un léger sourire s'affichaient sur mon visage. « Merci beaucoup. » Bon, les policiers n'avaient pas énormément avancé, mais comme Philip le disait si bien, se serait un début. « Sinon, cela se déroulera comment? » J'étais curieuse de savoir comment il allait mener l'enquête. Allait-il me donner des tâches à effectuer? Serions-nous comme Holmes et Watson? J'étais étrangement emballée par toute cette affaire, un peu comme dans l'un des romans de Doyle ou bien de Christie.

Une ruelle sombre. Super. Comme s’il n’y en avait qu’une dans toute la ville! Ah les fantômes. Ce n’était pas d’une grande aide! D’autant plus pourquoi Lip avait envie d’insister. Il pouvait retrouver ses ossements et les brûler. Ce serait beaucoup plus facile pour tout le monde. Peu importe ce qu’il y avait après pour la gamine, au moins elle cesserait de se torturer avec cette histoire. Ce n’était pas bon. Jamais bon. L’apitoiement, il connaissait bien et ça le poursuivait depuis deux siècles. Il avait même de la chance de ne pas avoir plus de cas de ce genre pour lui torturer l’esprit depuis le temps qu’il rôdait sur cette terre. Mais il savait tout de même. Il savait ce que ça pouvait devenir à la longue. Obsédant au poins de vous rendre fou. Suffisamment fou pour être certain d’avoir vu une femme morte depuis 200 ans la veille en chair et en os. Si ce n’était pas le début de la fin de sa santé mentale, l’immortel se demandait bien ce que ça pouvait signifier!
Le destin?
Pfff, le destin. Comme si celui-ci n’avait pas déjà suffisamment joué dans sa vie. Pourquoi s’acharnerait-il comme ça? Surtout pour une telle chose. Ça n’avait aucun sens.

En attendant, Lip avait d’autres choses à penser, comme la manière dont il allait donner à fantômette ce qu’elle voulait pour qu’elle lui fiche la paix en trouvant le repos éternel! Ça n’allait pas être facile. Très loin d’être facile même avec si peu d’information et personne qui la connaissait en ville.
Comment tout cela allait-il se passer était une excellente question. Une question qui prit un peu Lip de court, il fallait bien l’avouer. Comment procéder. Il avait son idée. Une très très vague idée qui dépendait surtout d’Aldric et son accord à lui filer le dossier sur le meurtre de la petite sans trop poser de questions.

« Je sais pas. »

Embellir la vérité de mensonges pour ne pas froisser son interlocuteur n’était pas vraiment son style. Ça, elle l’avait probablement compris rien qu’à la façon qu’il avait abordé toute cette histoire d’enquête.

« Je verrai comment ça se présente. Je compte pas faire du 8 à 5 sur ton cas pour te satisfaire hein. Si ça te plait pas, aussi bien en finir tout de suite. »

Il se cherchait une porte de sortie, déjà?
C’est que si cette fille espérait qu’il laisse tomber son gagne-pain pour se mettre illico à courir derrière son meurtrier, elle se plantait sur toute la ligne. Il passerait un coup de fil à Aldric ce soir pour lui demander de passer quand il pourrait. Ensuite il verrait s’il pouvait obtenir le fameux dossier. Selon le oui ou le non, il aviserait ensuite. Pourquoi se casser le cul à chercher une deuxième solutions si la première fonctionnait? Il verrait en temps voulu. L’instinct avait toujours été son guide premier, peu importe ce qui se trouvait en face de lui.

J'étais particulièrement curieuse de voir comment Philip allait procéder et surtout si le nom aide allait lui être utile dans cette enquête. Il était vrai que pour le moment j'avais été bien peu utile avec le minimum d'information que je lui avais donné. En même temps, connaître plus de détails sur les évènements de cette nuit-là était la raison qui m'avait poussé à demander de l'aide. J'avais beau essayé de me souvenir de ce qui c'était passé, tout était bien trop flou. Je détestais ce sentiment, ce flou. Ne pas me souvenir d'un événement était tellement rare pour moi que je ne supportais pas quand c'était le cas. Cela dit, malgré le mauvais côté de cette situation, c'était l'occasion parfaite pour moi de me plonger littéralement dans un univers qui me passionnait. Mener une enquête digne des affaires de Sherlock Holmes. J'étais une grande fan de ce type de littérature et plus précisément de cet auteur, Arthur Conan Doyle, en particulier. Le nom de son héros similaire au mien n'était pas la raison majeure qui me faisait apprécier ces oeuvres.

Un léger sourire se dessinait sur mon visage lorsque le démon me répondit. Il ne savait pas... Improviserait-il au fur et à mesure? C'était une idée qui m'emballait bien plus que lui de toute évidence. En même temps, le simple fait d'avoir trouvé quelqu'un pour m'aider me rendait joyeuse. J'aurais enfin un coup de pouce pour découvrir ce qui avait bien pu arriver cette nuit-là. Cette sombre nuit qui me rendait sans cesse curieuse. Bien entendu, j'étais un peu effrayée en me demandant ce que justement je pouvais bien découvrir, mais pour le coup, ma curiosité était bien trop forte. De plus, j'étais bien trop têtue pour faire marche arrière maintenant.

En tout cas, ma détermination et ma persévérance n'avait pas touché mon cher ami. Lui, il tentait plus de revenir sur ses paroles et quitter le navire avant même qu'il n'ait quitté le port. J'étais un peu déçue, mais je ne pouvais pas lui en vouloir, après tout il ne me connaissait pas et souhaitait juste que je le laisse tranquille. Je le comprenais, mais je ne pouvais me permettre de lâcher prise maintenant. De plus, il semblait avoir oublié que j'avais accepté ses conditions afin qu'il accepte. Je savais très bien qu'il ne mettrait pas un point d'honneur à régler mon problème et ne le ferait pas passer avant ses propres occupations. J'esquissais un léger sourire. « Je vous ai dit que vos conditions sont les miennes. J'ai tout mon temps. » Terminais-je sur un ton calme.