Le klaxon d'une voiture me sortit de ma torpeur, perdu dans mes pensées, ça faisait un bon moment que je fixais la petite boutique devant moi. Elle semblait terriblement étriquée par rapport aux deux énormes centre commerciaux qui la bordait de part et d'autres. Et elle aurait quasiment pu passer inaperçue si je n'avais pas porté une attention toute particulière au nom de celle ci : Ostara. Pour les non-sorciers, ce mot ne signifiait rien, pourtant c'était ainsi qu'était nommée une fête wiccane célébrée tous les ans lors du solstice du printemps. Je n'aurais pas fait le rapprochement moi même jusqu'à il y a trois mois, depuis que je me suis mit à m'intéresser plus particulièrement à la sorcellerie.

Mon fils Gérard m'a volé toutes mes économies !! Vous ne vous rendez pas compte !

D'un pas résolu, je franchis la route qui nous séparait et entrait dans la boutique. Aussitôt une une sensation toute particulière m'envahit, il régnait dans cet endroit une ambiance magique, presque tangible. Il n'y avait presque pas de bruits et pourtant c'était une petite dizaine de personnes qui parcouraient ce lieu. Aucuns touristes à première vue, ce n'était pas le genre de la maison apparemment.

Aide moi, ou suis je ?

Je me baladais un petit peu jusqu'à ce que je me retrouve au rayon Nécromancie. Mon regard parcouru sans ciller les différents ouvrages et quelques instants plus tard, il s'arrêter sur : « Être Nécromancien, un fardeau que vous ne voulez plus porter ».

JE NE VEUX PAS ETRE MORT !

Je fermais mes yeux déjà rougis par la fatigue.
C'est alors que je sentis autre présence, humaine celle-ci, et elle était derrière moi. Je me retournais sans plus de cérémonie et fit face à une jeune femme brune qui me fixait d'un air étrange. Je levais un sourcil interrogateur et déclara :

« Un problème chérie ? »

« Vous êtes pas un peu jeune ? »

Fronçant les sourcils dans un air étonné, Charlie avait attendu les précisions qui allaient suivre.
En bonne et gentille petite fille, elle était finalement venue sur commande de sa grand-mère. Ok, Marlene aurait probablement dû insister davantage si la brune n’avait pas eu envie de venir faire un tour dans le coin. Flâner dans les rayons de ce genre de boutiques, c’était toujours un plus et on en trouvait pas de meilleures qu’à la Nouvelle-Orléans. Bref, voilà pourquoi Charlotte Andrews avait accepté de faire les « courses » un peu spéciales de sa grand-mère et en était venue à tendre une liste à la vendeuse qui l’avait détaillé avant de faire un commentaire sur son âge.

« Cet anti-rides fait des miracles… mais encore faut-il avoir des rides. »

Sérieusement ? C’était ça ses courses urgentes ? De l’anti-rides….
Pourquoi ça ne l’étonnait même pas ?
Parce que sa grand-mère, par exemple, ne s’était pas déplacée elle-même pour ses courses sous prétexte d’un besoin urgent et vital de se rendre à son cours de yoga. Pour résumer : parce que Marlene était Marlene.
Répondant que les articles ne lui étaient pas destinés, elle avait haussé les épaules devant l’air sceptique de la vendeuse qui lui avait indiqué d’un mouvement de menton où elle pourrait trouver le bouquin qui figurait sur la liste. Ce que Marlene pouvait avoir à faire dans le domaine de la nécromancie ? Vu son boulot… rien de plus normal. Quand on se prétendait grande Madame Irma et qu’on avait son propre cabinet de voyance, fallait bien toucher un peu au domaine ou au moins se cultiver. Elle supposait. Autrement, elle ne voyait pas vraiment pourquoi sa grand-mère pouvait avoir besoin d’un tel bouquin… et lui demandait ne servirait pas à grand-chose de toute manière.
Bref, elle s’était retrouvée à fureter parmi les rayons, résolue à compléter cette liste tout en regardant si rien ne pouvait l’intéresser de son côté. Le frisson, l’impression étrange qu’elle avait eue, elle ne savait pas trop comment elle en était venue à fixer l’homme. Quelque chose l’avait intrigué après l’avoir dérangé. Un instant, elle jetait un regard aux alentours avant de reporter son attention sur l’inconnu qui avait finit par sentir qu’on le fixait.
Pas du genre à se gêner et piquer un fard, elle n’avait pas détourné les yeux. A vrai dire, elle l’avait fixé quelques secondes de plus avant de finalement répondre :

« Non... c’est rien, juste une impression. »

Elle s’était apprêtée à reprendre sa route quand ses yeux s’étaient posés sur le bouquin qui avait gagné l’intérêt de l’homme.
Normalement, une fille raisonnable et avec un cerveau aurait continué sa route. Faut dire que l’homme ne donnait pas franchement envie de se lancer dans une grande conversation. C’était même tout le contraire. On avait plutôt envie de rebrousser chemin et de filer vers un autre rayon en attendant son départ. Mais qui la connaissait un minimum le savait : Charlotte Andrews n’était pas vraiment de ce genre là.
Aussi, une nouvelle fois, elle avait posé ses yeux sur lui avant de reprendre la parole :

« C’est pas vraiment le meilleur bouquin, j’te conseille Vendredi ou la Vie Sauvage »

Vu la boutique, il y avait de fortes chances qu’ils soient du genre plutôt semblables. Mais elle l’avait abordé façon Charlotte, façon qui ne lui portait pas toujours chance mais qu’elle avait adopté depuis bien longtemps.
« Tu pratiques ? » était la question typique de blonde vu le titre du bouquin. Elle aurait pu la poser en supposant qu’il se renseignait pour une connaissance, mais quelque chose lui disait que ce n’était pas le cas, quelque chose lui disait qu’ils étaient du même monde tous les deux. Voilà pourquoi, sans se soucier que sa présence soit désirée ou non, elle s’était approchée. La vendeuse était du genre touriste en revanche. Oui, elle s’y connaissait, elle s’y connaissait même plutôt pas mal mais pas au même niveau… juste une passion ou un parcours de vie qui l’avait mené à ouvrir cette boutique. Marlene lui avait parlé d’une histoire d’amour, quelque chose dans ce goût là… elle ne se souvenait plus trop, elle n’avait pas réellement écouté et ne s’était pas intéressée de toute manière.
Quelque part, la différence était visible.

« Non... c’est rien, juste une impression. »

Je jaugeais la fille qui se tenait devant moi à mon tour. Elle était assez jolie mais avec un peu d'attention, on pouvait se rendre compte qu'elle détonnait un peu dans cet environnement. Non pas qu'elle n'y ai pas sa place, non, je sentais qu'elle était doté de pouvoir. Je ne saurais dire comment. Mais plutôt qu'elle n'était pas habituée à se trouver là, comme si elle n'y avait pas été de son plein gré. Du coin de l'oeil je m'aperçu qu'autour de nous, les clients quittaient peu à peu la boutique et bientôt nous nous retrouvâmes à 3 pinpins.

« C’est pas vraiment le meilleur bouquin, j’te conseille Vendredi ou la Vie Sauvage »

A sa dernière réplique, je décidais de me rapprocher d'elle moi aussi, et même suffisamment prêt pour que j'arrive à sentir son parfum et que mes lèvres touchent presque les siennes. Je la fixais longuement avant de répondre sur un ton à la fois sombre et provocateur :

« Crois moi, je m'y connais déjà bien assez en vie sauvage. »

Je n'étais pas venu ici pour draguer, ni provoquer, mais c'était plus fort que moi. Ça relevait presque de ma nature profonde. Et même si j'étais conscient qu'aujourd'hui j'avais l'air particulièrement minable. De grosses cernes avaient pris place sous mes yeux, mes cheveux n'étaient pas coiffé et ma barbe allait bientôt ressembler à celle du père noël. Mais étonnamment, la brune ne bougea pas d'un pouce. Je soupirais et replaçait le livre à l'endroit ou je l'avais trouvé. Puisque cette fille avait tenu à me déranger, autant en profiter pour lui poser des questions qui me hantaient depuis des mois.

« Vous vous y connaissez en Nécromancie ? »

Sans le vouloir, c'était une pointe d'espoir qui avait percé dans ma voix. Est ce que la magie pouvait défaire ce que j'étais ? Est ce que je pouvais me débarrasser une fois pour toute de tous ses esprits qui tendaient à me rendre complètement dingue ? C'était peut être ici que je trouverais les réponses. Peut être que cette rencontre était le déclencheur de ma libération. Secrètement, je me mis à l'espérait très fort. Ce qui était vraiment naïf puisque je ne connaissait cette fille n'y d'Eve ni d'Adam. Comme si il suffisait de se pointer dans une boutique de magie et lancer un « Oyez oyez » à la ronde pour avoir une réponse à ses prières...

Moment probablement inévitable quand on fixait un parfait inconnu sans raison apparente : le retour d’analyse par le regard. Parce que c’était bien normal, et parce que ce n’était pas son genre de toute manière, Charlotte n’avait pas semblé en être gênée. Il aurait mesuré un mètre de plus et aurait eu une hache dans la main, elle aurait peut être songé à repérer la sortie de secours mais, ici, elle n’avait pas eu l’air d’être intimidée. Pourtant, elle aurait pu, c’est vrai. Elle aurait pu également reculer, remettre un peu de distance entre eux lorsqu’il s’était rapproché, mais elle n’avait pas fait un pas ou un geste montrant que cette position l’embarrassait. En fait, elle avait même relevé les yeux vers lui pour le fixer.
Oui, il n’était pas le seul à savoir jouer au jeu de la provocation. C’était un automatisme pour Charlotte. De défense ou non, elle avait sans doute appris que le meilleur moyen de se protéger était d’être en position d’attaque. Ici, la question relevait peut être plus de la fierté. Maintenant qu’elle avait trouvé le moyen d’emmerder quelqu’un qui venait probablement juste chercher un bouquin, fallait assumer les conséquences.
Un sourire amusé sur le visage face à sa réponse, la demoiselle avait ajouté dans la seconde suivante :

« Est-ce que tu vas grogner ? Parce que je peux le faire aussi. »

Pour la prochaine fois, c’est promis, elle se mettrait à la muscu ou mangerait plus de soupe. Mais maintenant qu’ils avaient prouvé tous les deux qu’ils savaient jouer, il était sans doute temps d’avoir une conversation plus développée. Non, ils n’allaient pas faire un concours de grognements. Quelqu’un avait eu l’idée plus qu’excellente d’inventer le langage un jour, autant s’en servir aujourd’hui pour se comprendre au mieux.
On leur mettait un point à tous les deux si ça pouvait leur faire plaisir. Match nul, moment de s’expliquer désormais.
De lui-même, il avait abordé le sujet après avoir replacé son bouquin. Elle lui donnait le droit de la première question, sa curiosité viendrait sans doute ensuite. D’un haussement d’épaules, elle avait donc retrouvé un peu plus de sérieux :

« Un peu, sans doute pas assez. Ma grand-mère étudie pas mal le sujet. Alors c’est votre truc ? Vous êtes d’une famille du coin ? »

« D’une famille » voulait bien entendu dire d’une lignée de sorciers. Marlene en connaissait quelques unes, elle buvait parfois le thé avec certaines… des bonnes femmes pas vraiment intéressantes selon l’opinion de Charlie mais qu’importe.
Finalement, elle avait laissé parler la curiosité plus tôt que prévu. Difficile de ne pas l’être un minimum quand on rencontrait quelqu’un de… disons de la même catégorie. Et puis, cet homme là avait quelque chose qui l’avait interpellé sur le moment. Autrement, elle serait sans doute encore en train de chercher ce foutu bouquin pour Marlene. Elle avait du temps devant elle de toute façon, un rapide coup d’œil aux alentours lui avait fait remarquer la disparition de la vendeuse dans l’arrière boutique, sans doute dans le but de chercher les ingrédients miracles à la composition de l’anti-rides de sa grand-mère.
On lui donnait en tout cas un bon point pour le retour à la norme d’une conversation. Oui, Charlotte avait finalement quelques notions dans l’utilisation du « vous »… de faibles notions mais des notions quand même.