Chez moi et à l'Artémis, c'est à peu près les deux endroits où je passais mon temps depuis quelques semaines. J'avais perdu mon boulot. Et depuis lors, toutes mes journées étaient rythmée de la même façon. Levé à 11h, manger, éviter les fantômes, aller au bar, éviter les fantômes, rentré bourré/finir dans le lit d'une fille/ finir avec une fille dans mon lit, éviter les fantômes, baiser (étape facultative mais très importante), dormir tout en essayant d'éviter les fantômes. Une vie bien remplie en somme. Parfois même, cette vie la me faisait quelques petites folies en tentant de me faire tuer.

La dernière fois par exemple, une vieille me harcelait pour que je dise à son vivant mari qu'elle avait caché l'argent dans sa moumoute d'hiver. Soit. Rien à foutre. Eh bien, la vieille chouette (parce qu'elle avait claquée depuis pas mal de temps, c'te cruche) avait cru bon d'essayer de me tuer en me faisant tomber des briques sur la tête alors que je marchais (en zigzaguant certes) le long d'un immeuble en construction. Croyez le ou non mais ce fut ma démarche mal assurée qui m'a été salvatrice. Et oui. Comme quoi être plein, c'est utile.

Les yeux encore vitreux, je me levais en m’ébouriffant les cheveux tout en lançant :

« Mon cœur, c'était super cette nuit, mais là je dois aller bosser. On s'appelle ok ? »

Quelques minutes plus tard, j'avais mise Cindy, non... Sandy... Ou peut être Emilie à la porte. J'entrepris de me faire couler une douche bien chaude. La vapeur s'était installée dans toute la salle de bain lorsque je sortis. Presque immédiatement, une voix féminine me fit sursauter. Je soupirais, attéré de voir combien les filles pouvait être coriaces parfois. Et cette Cindy particulièrement. Et alors que je me retournais pour dévoiler mon intimité sans pudeur aucune à ma partenaire d'une nuit, c'est avec surprise que je ne trouva personne. Et pourtant...

Une journée de plus se levait sur le monde, sur le continent, sur le pays, sur la ville... Une fois de plus, ou plutôt comme presque chaque matin, je m'étais installée sur l'un des plus haut toit de la Nouvelle-Orléans et profitais de ce somptueux spectacle. Je pouvais à présent le regarder, sans craindre d'être fatigué et encore moins de mourir en tombant de mon perchoir. C'était d'ailleurs un sentiment plaisant, celui de savoir que la mort ne peut plus nous atteindre. Bon, ce n'était pas tout à fait vrai, car on pouvait toujours brûler nos ossements et nous faire disparaître à tout jamais. Cela dit, je ne pensais pas vraiment que s'était la paix qui nous attendait après ça. Et puis, après deux années à hanter tout ce que je pouvais trouver, malgré la solitude qui planait souvent et bien je commençais à apprécier ma condition. Tout était gratuit, je pouvais me venger en paix avec des blagues pas bien méchantes, traverses les murs, être invisible. Certains de ces faits étaient le rêve de plusieurs des vivants et je comprenais à présent pourquoi.

Mettant tout cela de côté et me délectant du lever de soleil, je restais un instant immobile. Je laissais mes pensées vagabonder par-ci, par là en me posant des questions des plus inutiles, mais surtout en préparant ma journée à venir. Embêter Haebin, apprendre de nouveaux tours avec Yaya, hanter avec Wendy... Une chose était certaine, il était hors de questions que j'embête Lip aujourd'hui. Je lui devais bien de le laisser tranquille de temps à autre. Oh ! J'avais quelque chose de mieux. Cyrus. Etrangement, il pouvait me ressentir et m'entendre peu importe que je le souhaite ou non. Il me rappelait un peu comment j'étais peu de temps après ma mort, perdue et dans l'étape appeler le refus. De plus, il avait le don de décuplé mon espièglerie de fantôme.

Descendant du toit où j'étais installée depuis plusieurs heures, je me laissais tomber au milieu de la foule et m'élançais aussitôt dans les rues bondées de la Nouvelle-Orléans. A peine arrivée devant chez mon "ami" sorcier, j'aperçus une jeune femme encore à moitié endormis s'enfuir. Ben dis donc, il y en avait un qui c'était amusé la nuit dernière, une fois encore. Je voyais souvent des filles sortir ainsi, mais jamais aussi mal réveillé. La pauvre, elle avait dû être mise à la porte. Je soufflais un mot d'encouragement qui malheureusement ne lui parviendra jamais. Traversant la porte, je fis un rapide tour du propriétaire avant d'entendre la douche. Ah. Un moment d'intimité... D'ordinaire, j'évitais ces moments-là. Sans doute trop pudique pour voir les autres dans ces derniers. Néanmoins, j'avais un plan de secours. Je me plaçais derrière la porte, et traversais la salle de bain de long en large assez rapidement tout en soufflant un peu n'importe quoi sur mon passage. En même temps, j'en profitais pour faire tomber une serviette sur le sol. J'étais un fantôme, pas une perverse.

Une serviette tomba sur le sol. Promenant mon regard aux alentours, je continuais à ne voir personne. Bon. Instinctivement je nouais la serviette autour de ma taille et lança :

« Qui es la ? »

Ça c'était un record, il n'avait pas fallu dix minutes pour qu'un revenant se pointe, c'était dingue. Je soupirais, irrité, et sorti de la salle de bain encore tout ruisselant. Au passage je senti un brusque courant d'air froid. Brrr... Je détestais cette sensation. C'était comme si vous plongiez d'un seul coup dans une mare glacée. Je venais de traverser quiconque se trouvait la quelques instants plus tôt.

Je n'attendis même pas la réponse, parce que je ne voulais pas vraiment le savoir. Aussi, je continuais à vaquer à mes petites occupations, m'attendant à moitié à entendre  bientôt des pleurs, des complaintes ou des revendications tiens. Les revenants étaient très fort pour ça. Oh bien sûr il y avait des jours plus calmes que d'autres, mais les semaines étaient toutes semblables sur ce point, on ne me laissait jamais tranquille. J'avais l'impression d'être une star traqué par les paparazzis (j'aurais préféré) et incapable de leur échapper. Ils me retrouveraient toujours, ou que j'aille ou quoi que je fasse.

Le soleil venait à peine de se lever à en croire les lueurs orangés que l'on pouvait encore voir dans le ciel. Je m'affalais dans un fauteuil et entrepris de végéter, comme tout homme normalement constitué qui n'avait pas de job. Après réflexion, ses derniers temps j'avais l'impression que quelque chose avait changé en moi, maintenant j'arrivais à percevoir des formes alors qu'à l'origine je ne faisais qu'entendre les voix des fantômes. Pitié faites que je ne puisse jamais les voir... C'était une chose d'entendre des voix et de sentir des présence, vous pouviez toujours les ignorer délibérément dans ces cas là. Mais si vous les voyiez... Eh bien. J'espère que leurs corps ne seront pas dans leurs états post-mortem sinon je n'ai pas finir de faire des cauchemars.

Je m'installais à la porte de la salle de bain, attendant patiemment qu'il se rendre quelque peu présentable à yeux d'une demoiselle telle que moi. Au travers de la porte, j'entendis l'interrogation de ma "victime" du moment. J'avais pris l'habitude de nommer les personnes que je hantais ainsi, surtout pour me donner un air. Cela dit, au fond, je ne pouvais pas vraiment dire qu'elles étaient comme telles étant donné que j'avais un but lorsque je me lançais dans ces actions. Faire comprendre que les fantômes existent, faire réaliser à une personne ses capacités et c'était bien le cas de Cyrus. Il avait un don assez incroyable par rapport au fantôme, alors je ne comprenais pas vraiment pourquoi il ne réalisait pas ce potentiel. Cela me rappelait la façon dont je vivais juste après ma transformation en fantôme. A ce moment-là, j'avais surtout été en mode dépression et ce avant que je ne comprenne les bons côtés d'être un esprit. Bon, d'accord, il n'y en avait pas énormément, mais ce n'était pas inexistant.

Je fus extirpée de mes pensées par un indescriptible et déplaisant sentiment. Je venais encore de me faire traverser et je détestais vraiment ça. Pourquoi fallait-il que cela m'arrive si souvent alors? Etais-je maudite? Je traversais les murs, mais quand il s'agissait d'être traversé par quelqu'un, c'était complètement différent. L'individu ressentait une vague glacée, enfin pour le plus sensible tendis que moi j'avais l'impression qu'on me trifouillait les tripes. Ce n'était pas agréable, loin de là et n'avait d'autre utilité que de me rappeler les mauvais côtés d'être un fantôme. J'étais non-tangible. J'étais dans l'impossibilité de serrer la main de quelqu'un, de prendre une personne dans mes bras... La plus grande malédiction qui m'a été donné.

Suivant le cher Cyrus, je détaillais en silence la plupart de ses mouvements. Je tentais de trouver le meilleur moment pour passer à l'action et ainsi le surprendre du mieux que je pouvais. Après tout, l'art d'un fantôme était avant tout l'effet de surprise, non? Hélas, il ne faisait rien de bien passionnant en cette douce matinée. Il s'était contenté de s'installer sur son fauteuil et de rester là. On aurait cru regarder une série télévisée de mauvaise qualité et il était certain que c'était le meilleur moment pour passer à l'action. Je m'installais juste en face de lui, contre le mur et fixais le sorcier. C'était peut-être le bon moment, mais je devais encore trouver un plan. J'aurais sans doute trouver le plan avant en fait...

Bon, tant qu'à faire, je pouvais enfin répondre à la question qu'il m'avait posé une dizaine de minutes auparavant. « Je m'appelle Zéplynne. » Commençais-je un léger sourire aux lèvres. Faire la causette, me permettrait au moins de gagner un peu de temps pour trouver un plan.