Assise sur ta chaise, tu prêtais une oreille distraite aux propos que tenait Morgan. Il voulait t’entraîner, soit. Mais tu étais persuadée, tout au fond de toi, que c’était là une manière de se donner bonne conscience et de se blanchir auprès de ton aîné si jamais il t’arrivait quelque chose ; tu ne voyais pas pourquoi le plus vieux te viendrait en aide sans raisons apparentes. Après tout, même s’il était un sacré coureur de jupons, tu étais certaine que ce n’était pas pour abuser de toi – tu ne te laisserais pas faire de toute façon – et ce n’était pas non plus pour se dorer la pilule au milieu du Texas. S’il voulait se la couler douce pendant un week-end, l’ancienne rock-star devait sans aucun doute avoir de meilleure compagnie que toi. Tu avais trop mauvais caractère pour que l’on apprécie réellement ta compagnie, tu le savais. Peu bavarde, renfermée voire même sauvage, sans une once de tact … Qui apprécierait d’entendre ses quatre vérités toutes les cinq minutes pendant deux jours ? Pas toi, tu devais bien l’avouer, et probablement pas Morgan. Il n’avait pas envie qu’il t’arrive quelque chose, t’avait-il dit. Ouais ouais. Peut-être même que Tim’ était à l’origine de ce week-end, tu l’imaginais bien passer un coup de fil au professeur de musique pour qu’il te prenne sous son aile. Tu grinças des dents à cette pensée ; tu avais beau adoré ton aîné, il était parfois surprotecteur et cela t’agaçait prodigieusement. Enfin … Tu n’avais là aucune raison de monter sur tes grands chevaux car tu n’avais aucune preuve de ce que tu avançais. Si ça se trouvait, Thimothy ignorait tout de cette petite escapade, et se rongeait les sangs en t’imaginant sur un lit d’hôpital ou pire encore ; dans une petite boîte six pieds sous terre ou alors à la place d’une des proies que tu chassais habituellement. Tu ne savais pas réellement pourquoi Morgan t’avait ‘’invitée’’ – et tu n’étais pas certaine de vouloir le savoir – alors il n’était pas nécessaire de jouer aux sales gosses. Tu ne pus néanmoins retenir la réplique nonchalante et directe qui te brûlait les lèvres, en réponse à la pseudo affection qu’il venait de te témoigner, avant de t’empresser d’essayer de rattraper le coup, histoire de ne pas passer la nuit dehors. Puis sans vraiment attendre de réponse, tu te remis à feuilleter le carnet qu’il t’avait remis.
Mais tu ne parvins à te concentrer convenablement ; Morgan attira une nouvelle fois ton attention en s’asseyant à tes côtés. Tu crus qu’il allait s’arrêter là pour te laisser poursuivre ta lecture, mais tu te trompais. Tu devrais le savoir pourtant ; bien que cela te fasse mal de le reconnaître, le chasseur était aussi doué qu’imprévisible. Aussi, ne pus-tu réprimer un sursaut lorsque tu sentis ses mains se poser de chaque côté de ton visage pour le manipuler afin que ton regard noisette plonge dans le sien. Tous les muscles de ton corps se raidirent alors que tu tentas tant bien que mal de te dégager, n’étant pas une grande adepte des contacts physiques. Mais tous tes efforts furent vains. Tu ne pus résister bien longtemps au chasseur et écoutas sa petite tirade, l’air extrêmement mal à l’aise.

Oui, il voyait clair dans ton jeu, il te connaissait trop bien. Il s’inquiétait vraiment pour toi et tu ne savais comment réagir face à cette réalité. Dans ta vie il n’y avait jamais eu que tes frères, et cela t’avait semblé tout à fait normal qu’ils se fassent du souci pour toi. Mais les autres, les êtres humains avec qui tu n’étais pas liée par le sang … C’était bien plus compliqué. Tu n’avais jamais ressentis le besoin de créer des liens d’amitié ou amoureux avec eux. Jamais de meilleure amie ou de petit ami. Tu avais déjà trois frères aînés et cela te suffisait amplement. Seulement, depuis que tu avais quitté le domicile familial, la donne avait changé. Tu ne pouvais plus te reposer sur Simon ou Thimothy, tu n’avais plus à suivre les ordres de Christopher. Et c’était plutôt perturbant ; pour la première fois de ta vie, tu devais vivre seule. Et inconsciemment, tu avais dus te raccrocher à la figure familière de Morgan ; tu le connaissais depuis des années, depuis qu’il avait commencé à fréquenter Tim’. Puis c’était un chasseur lui aussi, alors tu n’avais pas grand-chose à craindre de lui, tu n’avais rien à lui cacher. Le seul inconvénient avec cet homme – à part son égo surdimensionné – c’était son sens de l’observation ; il semblait trop bien te connaître et tout noter, à croire qu’il fallait que tu arrêtes de traîner dans ses pattes pour te préserver un peu. Tu n’aimais pas quand les autres te connaissaient trop bien, cela te rendait nerveuse …
Tu grinças des dents alors que ton visage était encore prisonnier des mains de Morgan, et essaya de le fusiller du regard pour lui dire qu’il pouvait te lâcher. Mais cette allure nonchalante et dure que tu essayais de te donner ressemblait plus à une grimace que tu pouvais afficher lorsque tu étais malade ; tu étais tellement mal à l’aise, peu habituée à ce genre de contact. Tu ne pus réprimer un discret soupir de soulagement lorsqu’il te relâcha et te massas les joues distraitement, comme s’il t’avait fait mal alors qu’il n’en était rien en réalité ; la poigne du chasseur ne t’avait nullement blessée, c’était juste un geste machinal. Tu évitas soigneusement son regard, tes yeux préférant fixer les lettres cursives qui parsemaient les pages du cahier.

« Si tu le dis … grognas-tu obstinément, te tortillant sur ta chaise alors que l’homme s’occupait à Dieu seul savait quoi, T’as pas besoin d’avoir peur pour moi t’sais. J’suis pas aussi idiote que je peux en avoir l’air. Je sais tirer à l’arme feu et me servir d’une arme blanche, c’est déjà pas mal hein. »

Tu te renfrognas sur ta chaise et tournas une page de l’ouvrage qui te faisait face, lisant les mots et ingérant les informations que tu pouvais y trouver. Christopher semblait avoir négligé ton éducation dans cette matière là, ce qui était fort dommage, tu devais l’avouer. Même s’il n’avait jamais approuvé le fait que tu persévères dans le domaine de la Chasse avec un C majuscule, rien que le fait d’avoir d’avantage d’informations sur telle ou telle créature pouvait te tirer d’un pétrin dans lequel tu pourrais te trouver un jour ou l’autre.
Tu haussas un sourcil surpris quand Morgan t’annonça qu’il n’y aurait pas d’exercice pratique aujourd’hui. Tu grimaças et lui lanças un regard noir.

« Quoi ? Ça veut dire qu’on va se tourner les pouces jusqu’à demain ? Tu plaisantes j’espère ! J’ai pas envie de passer ma journée enfermée entre quatre murs en bois moi ! »

Cependant tu calmas tes ardeurs lorsqu’il évoqua une sortie potentielle le soir-même.

« Vraiment ? Y a des bars sympas dans ce trou paumé ? Et si on sort, c’est toi qui paie ! J’ai plus un rond sur moi ! »

Tu ne pouvais t’empêcher d’être sur la défensive, c’était plus fort que toi. A chaque fois que quelqu’un extérieur au cercle familial auquel tu t’étais habituée s’approchait d’un peu trop près, tu le repoussais sans ménagement en t’enfermant dans la carapace que tu t’étais construite au fil des ans. Généralement, cela marchait plutôt bien. En général … Car là Morgan était loin de tomber dans le panneau. Tu devrais le savoir, depuis le temps, qu’il ne marchait pas dans tes combines, mais tu ne pouvais pas te contrôler ; tu essayais de le repousser autant que possible pour cacher ta maladresse et ta gêne. Tu n’étais pas à l’aise avec les autres, tout simplement. Et si tu étais plus que confortable avec tes frères, c’était bien parce qu’ils étaient tes frères justement ! Avec eux, tout te venait de manière instinctive, tu n’avais pas vraiment besoin de réfléchir et quand tu avais quelque chose à dire, tu pouvais le dire. Tu pouvais aussi compter sur eux, quoiqu’il arrive. Tu étais certaine que si quelque chose venait à t’arriver alors que tu étais encore en froid avec Christopher, aucun d’eux n’hésiterait à accourir pour te venir en aide. Seulement, avec les gens qui ne faisaient pas partie de ton cercle familial tels que Morgan – enfin, le chasseur était sur ce point-là un cas à part, même si tu préfèrerais crever que de l’avouer – tu avais la constante impression qu’en te venant en aide, ils attendaient quelque chose de toi en retour ; un merci ou plus, tu ne savais pas et tu n’étais vraiment pas certaine de pouvoir leur donner ce qu’ils voulaient. Alors tu préférais te cacher derrière des murs que tu avais soigneusement érigé autour de toi. Personne ne pouvait vraiment se soucier de toi, après tout tu te conduisais comme une gamine capricieuse et étais tout bonnement insupportable la plupart du temps.
Mais comme déjà dit précédemment, Morgan était un cas à part. Tu le connaissais depuis des années, par le biais de Thimothy. Tu ne savais trop comment ton aîné et la rock-star s’étaient rencontrés et cela t’importait peu au fond car au final le chasseur avait fini par comme qui dirait faire partir du paysage. Tu avais fini par t’habituer à sa présence et presque à attendre ses visites avec une certaine impatience. Cependant, Morgan ne faisait pas partie de ta famille. Il était un ami de Tim’, pas le tien. Tu n’avais pas besoin d’amis, tu menais une vie casanière qui ne plaisait souvent pas à la plupart des gens de ta génération, qui ne comprenaient pas ton choix de vie. Ils avaient tous la fâcheuse tendance de te juger, te mépriser parfois parce que tu étais maladroite lorsqu’il était question que tu te sociabilises, ce qui te mettait les nerfs en pelote à chaque fois et tu ne manquais donc pas d’envoyer tout le monde sur les roses. Tout le monde, sauf Morgan car ce dernier voyait clair dans ton jeu et ne se laissait donc pas facilement duper. Et ce dernier ne manqua pas de te le faire remarquer, tant par ses actes que par ses paroles. Il savait que ça te mettait mal à l’aise, tu en étais sûre, mais pas une seule fois il n’avait lâché ton visage ou avait fait mine de s’écarter. Et quelque part, cela te réchauffait le cœur ; c’était comme si tu pouvais compter sur lui comme tu comptais sur tes frères, comme s’il te connaissait trop bien pour te laisser tomber. Mais d’un autre côté, c’était un peu effrayant ; tu ne savais trop quoi penser de cette drôle de relation que tu avais avec le chasseur. Tu avais déjà bien à faire avec le carnet qu’il t’avait passé. Puis les sentiments … ce n’était vraiment pas ton truc.

Tu l’écoutas attentivement alors qu’il déclara qu’il se faisait réellement du souci pour toi, alors que tu te donnais un air détaché en feuilletant les pages bien remplies du cahier. Ainsi donc, il tenait à toi. Ce n’était pas une grande nouvelle en soi, mais tu avais toujours refusé de formuler l’idée dans ton esprit ; l’attachement à une autre personne représentait pour toi beaucoup trop de choses qui étaient synonymes d’angoisses. Tu n’avais pas envie de décevoir ton entourage en agissant d’une manière ou d’une autre, tu ne voulais pas les blesser et – selon toi – tu ne savais faire que cela. Il suffisait de voir avec ta fratrie …. Néanmoins, cette affirmation eut tout de même le mérite de te faire plaisir et tu te sentis rougir. Tu penchas la tête un peu plus en avant pour laisser ta chevelure tomber sur tes joues, cachant ainsi la nouvelle coloration de ton visage. Tu aurais bien voulus envoyer le chasseur balader, mais tu n’en eus ni le cœur ni le courage. Aussi, crus-tu bon de t’excuser. Oui, tu pouvais agir comme une gamine égocentrique quand tu le voulais, ignorant tout bonnement ce que les autres pouvaient ressentir, piétinant parfois sans aucune pitié leurs sentiments.

« Hmpf … ça marche, j’garderai ça en tête. Et … hm. Merci, hein. C’est cool de savoir que … j’peux compter sur toi .. ? J’veux dire, j’suis un peu paumée en Nouvelle-Orléans, j’ai jamais vraiment vécu toute seule jusqu’ici donc … Enfin, tu vois ce que je veux dire. »

Suite à cela, la conversation s’allégea rapidement. Non, tu n’allais pas passer la journée enfermée entre quatre murs. Enfin une bonne nouvelle ! Aucune chasse au programme, mais tu allais pouvoir montrer à Morgan ce que tu valais avec une arme entre les mains. Fort bien ! Il n’allait pas être déçu du voyage. Et en plus de cela, la sortie de ce soir était à ses frais. Tant mieux, cela allait de mieux en mieux !
Souriante, tu lâchas bien vite le carnet qu’il t’avait confié et t’empressas de le suivre. Tu l’imitas quand il s’empara de son sac, attrapant le tien au vol. Tu le suivis à l’extérieur et te positionnas à quelques mètres des cibles qu’il avait visiblement déjà utilisé. Le chasseur s’installa confortablement et sembla attendre que tu te mettes en action. Bien bien. D’un geste sûr et mesuré, tu ouvris ton sac, farfouillas quelques secondes et en sortis une arme. Basique, un simple revolver. Simple, mais efficace. Tu vérifias la sécurité et la recharge, avant de te positionner devant les cibles. Tu avais six coups pour l’impressionner. Tu pris le temps de viser puis … tu appuyas sur la détente. Six fois, avec entre chaque coup quelques secondes d’écart pour prendre le temps de viser convenablement. Dans l’ensemble, tu ne t’en étais pas trop mal tirée. Tu avais eu juste une balle de perdue, quelque part derrière les cibles ; tu t’étais précipitée et la balle n’avait donc pas atteint sa cible. Dommage. Fière de toi mais en même temps inquiète de l’avis de ton aîné, tu te retournas vers lui avec un sourire un peu crispé.

« Alors boss, dis-tu ironiquement, Etait-ce à ta convenance ? »

Tu te souvenais des séances de tir auxquelles Christopher t’avait presque forcé de participer. Tu avais à peine fêté tes quinze ans et il avait insisté que tu apprennes à te servir d’une arme, dans le cas où aucun de tes frères ne seraient là pour te protéger et que tu serais dans une situation plus que délicate avec un être surnaturel. Assez exigeant, ton frère n’avait pas fait dans la dentelle ; il ne s’était pas vraiment attardé sur la technique, préférant que tu te concentres sur ta cible. Peu importe comment tu t’y prenais, tant que tu atteignais ton objectif. Jamais il ne t’avait fait de remarque sur la façon dont tu tenais ton arme ou autre. Peut-être aurait-il dut, mais tu ne pouvais trop rien dire à ce sujet après tout car tu n’avais jamais eu à endosser autant de responsabilités à porter que Christopher, aussi étais-tu assez mal placée pour juger ses capacités en tant que leader et instructeur. Alors, selon toi, l’exercice d’aujourd’hui était plutôt bienvenu. Le point de vue de Morgan ne pouvait qu’être salutaire, s’il pouvait te permettre d’affiner ta technique, s’il pouvait t’apporter des choses nouvelles pour que tu deviennes une meilleure chasseresse, chose dont tu avais toujours rêvé. Tu n’avais connu que cela toute ta vie et il te semblait naturel de marcher dans les traces de tes frères. Quand Christopher et Simon avaient exprimé leur désaccord, tu n’avais pas vraiment compris ; c’était une affaire de famille et tu t’étais toujours imaginée dans ce domaine, après tout tu n’étais pas douée pour les études ou quoique ce soit d’autre, tu n’étais vraiment douée qu’avec une arme entre les mains. Comme tu venais de le prouver en cet instant, tu avais touché toutes les cibles à l’exception d’une cible qui t’avait échappé.
Morgan semblait être du même avis, au vu du commentaire appréciateur qu’il venait de t’adresser. Enfin, tu préférais le prendre comme un compliment car la façon dont il avait tourné la chose n’était pas réellement flatteuse. Il était surpris, il te pensait moins douée … Hm. En gros, il te prenait pour une gourdasse ? Pour une de ces gamines écervelées de ton âge qui ne juraient que par les grandes marques de maquillage ? Hm. Ça ne te plaisait absolument pas … Tu étais loin d’être idiote, il l’avait dit lui-même ! Et là, il semblait pour dire l’exact contraire. Tu pinças les lèvres, un peu refroidie, et t’apprêtais à lui rétorquer une réplique assez froide, toutefois tu n’en eus pas le temps.

En moins de temps qu’il en fallut pour dire ‘’ouf’’, l’homme se retrouva derrière toi, t’attrapant le bras pour corriger ta position. Tu te tendis instantanément, retenant ton souffle ; tu n’étais pas habituée à ce genre de contact, tu y étais même réfractaire. Cependant, le contact que Morgan t’imposait n’était pas si désagréable. Bien au contraire même. C’était chaleureux, autoritaire sans trop l’être, c’était plus dans l’optique de te guider que de t’imposer un choix et tu appréciais grandement. Tu te sentis rougir lorsque tu te rendis compte des pensées qui te traversaient l’esprit. Tu t’éclaircis la gorge et te forças à te concentrer sur les instructions de ton aîné. Tu le laissas te manipuler le bras, puis le poignet, comme pour l’assouplir. Oui, tu savais que tu étais tendue quand tu tirais, mais les quelques leçons de tir que tu avais eu avec Christopher ne faisaient pas parties de tes meilleurs souvenirs. Tu avais compris, tu devais être plus souple et fluide dans tes mouvements.
Puis vint le moment où Morgan s’écarta de toi, te laissant ton espace vital. Tu ressentis un soulagement certain, et en même temps tu ne pus t’empêcher de regretter le contact chaleureux qu’il t’avait prodigué. Tu n’en dis rien cependant, préférant garder cela pour toi. Si tu venais à mettre des mots sur ce que tu ressentais, tu étais certaine que cela n’aurait ni queue ni tête et que Morgan – le Dom Juan de ces dames – rirait de toi. Après tout, tu n’étais qu’une petite jeune d’une vingtaine d’années … Tu ne devais pas être d’un grand intérêt à ses yeux.

Etrangement contrariée, tu chassas ces pensées de ton esprit lorsque le chasseur te demanda de te munir d’un fusil. Tu grimaças un peu, et te retournas vers lui, l’air peu réjoui. Tu le fixas longuement et plissas le nez … Comment dire ? Si Christopher t’avait appris à tirer avec un revolver ou un pistolet, tu n’avais jamais touché à un fusil de ta vie. Tu n’en avais même pas dans ton sac, tu n’avais vu que ceux de tes frères et à l’époque où tu vivais encore à Philadelphie, tu n’avais jamais été autorisée à y toucher. Tu pouvais le dire de but en blanc à Morgan, mais tu ressentais cela comme une faiblesse et ne savais trop comment aborder la chose avec lui. Tu déglutis difficilement et inspiras profondément avant de te lancer.

« Euh … Morgan. T’sais, j’ai jamais touché à un fusil. J’en ai même pas dans mon sac. Christopher m’a jamais appris à tirer avec, et j’ai genre que des revolvers et des trucs du genre … Enfin, voilà. J’ai jamais touché à un fusil de ma vie … »

Tout en disant cela, tu avais commencé à te balancer d’un pied sur l’autre, très mal à l’aise.

Tu n’étais pas à l’aise et cela se voyait. Tu te balançais maladroitement d’un pied sur l’autre alors que ton regard fuyait celui de l’autre chasseur, toi qui n’hésitais jamais à ancrer fièrement ton regard dans celui d’une autre personne. Enfin, il fallait dire que tu n’avais guère l’habitude d’exposer tes faiblesses ainsi. Non, tu n’avais jamais tiré au fusil, Christopher n’avait jamais vraiment jugé cela utile à ton éducation. Et te voilà donc réduite à un amas d’embarras face à Morgan. Mais au fond, qu’y pouvais-tu ? Tes frères n’avaient jamais voulu de cette vie de chasseur pour toi et pourtant, toi, tu la désirais tant. Tu n’étais pas des mieux armées pour affronter ce qui t’attendait en empruntant cette voie-là, certes, mais tu étais têtue, voire même bornée. Pour rien au monde tu ne changerais d’avis. Pas même pour les beaux yeux de Tim’. Alors il fallait que tu t’entraînes, que tu apprennes d’avantage sur ce qui se cachait dans l’ombre et que tu t’armes convenablement pour lutter. Et pour cela, tu te devais de mettre tes faiblesses à découvert, il fallait que Morgan sache où tu n’étais pas bonne pour qu’il t’aide à t’améliorer car c’était là l’objectif de ce week-end. Seulement, ce n’était pas une chose facile pour toi ; tu n’avais pas l’habitude de te dévoiler comme cela devant qui que ce soit. Pas même tes frères. Quand tu vivais encore avec eux, votre mode de vie n’avait jamais vraiment été très stable ; pas de père ni de mère, juste un grand frère constamment grincheux, un autre trop silencieux et un dernier à côté de ses pompes. Etant la seule fille de cette petite troupe, tu avais vite compris que tu devais te faire ta place au sein de la fratrie autant qu’à l’extérieur de ton cercle familial. Aussi avais-tu bâtis des murs autour de toi, pour te protéger de ce qui pouvait t’atteindre, et avais-tu adopté une attitude défensive. Cependant, en cet instant tu étais obligée de lâcher du lest. Tu étais obligée de laisser Morgan s’approcher, tant sur le plan physique que sur le plan sentimental, bien que cela te faisait assez mal de l’avouer.
A la base, ce n’était qu’un week-end anodin pour que tu t’entraînes, parce que le plus vieux se faisait du souci pour toi. C’était ce que tu t’étais dit ce matin-là en montant dans sa voiture pour aller jusqu’au Texas. Toutefois, maintenant tu n’en étais plus certaine … A part Tim, Morgan était la personne dont tu étais la plus proche en ce bas monde. C’était certainement lié au fait que ton frère et l’ex-chanteur se connaissaient depuis des années et qu’ils avaient tissé de forts liens d’amitié. Oui, c’était certainement à cause de cela ; tu avais trop passé de temps en sa compagnie lorsque tu étais plus jeune et à présent, Morgan faisait presque partit du paysage. Presque. Car il y avait quelque chose qui te dérangeait dans la présence du chasseur, mais tu n’arrivais pas à mettre le doigt dessus. Oh, ce n’était pas quelque chose de désagréable en soit, enfin pas vraiment. Morgan était juste – selon toi – bizarre. A chaque fois qu’il entamait une conversation avec toi, tu ne pouvais t’empêcher de réagir vivement, que ce soit dans le bon ou le mauvais sens. Soit tu t’emportais, soit tu marchais à grande joie dans son petit jeu quand il était d’humeur taquine. Ce n’était pourtant pas dans tes habitudes, et pourtant …

Tu repris pied dans la réalité lorsque ton aîné te ficha un fusil entre les mains après l’avoir préalablement chargé. Tu le laissas se glisser derrière toi sans rien dire, examinant l’arme de plus près, préférant te concentrer sur l’objet plutôt que la silhouette de l’homme dans ton dos. Le fusil était clairement plus lourd qu’un simple revolver et tu te demandas comment tu étais censée t’en servir ; tu n’étais pas des plus musclée, il fallait bien l’avouer, tu étais même plutôt du genre gringalet et tu étais intimement persuadée qu’après avoir tiré avec ce nouvel objet, tu te retrouverais les quatre fers en l’air. Tu déglutis difficilement, un peu impressionnée par le fusil. Cependant, tu n’eus pas le temps de t’inquiéter d’avantage car Morgan s’était saisit de tes bras et avait entreprit la dure tâche de te montrer comment tenir correctement l’arme. Tu le laissas faire, tel un marionnettiste avec sa nouvelle acquisition. Tu te faisais souple sous ses doigts, écoutant attentivement ses instructions et conservant la position qu’il te faisait prendre. Tu étais aussi flexible que de la pâte à modeler sous ses mains que tu savais expertes. En tir, cela allait de soi, hm.
Les instructions achevées, tu te concentras sur la cible que le chasseur t’avait désignée. Droite comme un piquet, tu pris le temps de viser correctement et une fois ta cible dans l’alignement de ton arme, tu attendis encore un peu. Tu étais hésitante, tu touchais à un domaine que tu ne connaissais pas et cela ne te mettait pas à l’aise. Tu ne risquais pas grand-chose pourtant. Morgan était juste derrière toi, au cas où la détonation serait un peu trop forte pour ta faible constitution, tu n’avais donc pas à te soucier de potentielles blessures. Et pourtant, il y avait quelque chose qui te tracassait … Mais encore une fois, il t’était impossible de mettre le doigt dessus.

Du bout de la langue, tu humectas tes lèvres sèches et, inconsciemment, tu changeas ta position. Tu relevas un tout petit le visage, décollant l’os de ta joue de la crosse de l’arme. La position n’était pas naturelle et tu n’avais pas fait attention au geste instinctif que ton corps t’avait obligé d’effectuer, les muscles tendus de ta nuque se faisant de plus en plus endoloris par la tension qui te parcourait des pieds à la tête. Tu avais redressé le visage et tu n’aurais pas dus, car lorsque tu tiras, le fusil sembla te glisser des mains. Tu te sentis partir en arrière brusquement, et tu sentis quelque chose de dur et de froid cogner violemment contre ton menton. Aussi surprise que confuse, tu te laissas tomber en arrière alors que la partie inférieure de ta mâchoire rentrait en collision avec la partie supérieure. Un goût métallique se répandit alors dans ta bouche alors que ton dos entrait en contact avec le torse ferme du chasseur derrière toi. Un nuage de jurons inarticulés s’échappa de ta bouche alors que tu lâchas le fusil et portas ta main droite devant ta bouche. Tu agrippas l’avant-bras de Morgan, cherchant ton équilibre, et tu constatas avec une certaine fierté que tu ne t’étais pas écroulée par terre comme tu le craignais. Grâce à l’ex-rock star.
Tu t’étais encore ridiculisée, tu le savais. Tu rougis en songeant à l’image qu’il devait avoir de toi à présent. Tu avais lamentablement échoué à ce nouvel exercice, et tu t’attendais qu’il te réprimande à présent. Tu étais certaine qu’il le ferait, cependant tu ne te laisserais pas faire sans te défendre ou changer de sujet au préalable. Tu optas pour la deuxième option. Tu te tournas donc vers lui, l’air de rien, ôtant ta main de ta bouche et le fixant droit dans les yeux.

« T’aurais un peu d’eau sur toi ? J’crois que je me suis mordue la langue … puis tu te retournas vers les cibles de tir et un petit sourire satisfait étira le coin de tes lèvres. Au moins, j’suis pas passée loin de la cible, j’l’ai presque eue, hein ! »

Oui, presque. Tu ne l’avais pas touchée, la balle était passée juste à quelques centimètres tout juste de la cible. Si tu n’avais pas eu ce geste malheureux, tu étais certaine que tu l’aurais eu ! Mais c’était sans compter sur ta malchance presque légendaire.