C’était une soirée comme toutes les autres pour la cadette de la famille Windfield ; morne, ennuyeuse, sans la moindre proie en vue. Si c’était plutôt une bonne nouvelle dans l’ensemble – le fait qu’il n’y est pas de proies dans les rues de la Nouvelle-Orléans était une bonne nouvelle, vraiment – tu te surprenais à espérer un imprévu de dernière minute. N’importe quoi ferait l’affaire ; un vampire, un démon, un loup, un esprit … Tout était bon pour te distraire de de l’ennui dans lequel tu étais plongée actuellement. Seulement, ce n’était pas une chose qui allait se passer ce soir, tu le savais. Tout le monde semblait s’être cloitré chez soi et ne daignait pas en sortir. Tu étais même prête à parier que les êtres surnaturels avaient eux aussi décidé de faire une pause, te forçant à échouer dans un bar quelconque avec une bière à la main. Tu n’en pouvais plus de rester enfermée chez toi, tu en avais marre de voir toujours les mêmes murs blafards et tristes. Du coup, tu avais pris la sage décision de t’aérer un peu ; tu étais sortie de chez toi avec une veste légère – le temps était assez clément en cette saison – et avais erré quelques temps dans les rues de la ville. Puis, tu avais finis par entrer dans un bar dont le nom t’avait échappé pour boire un coup. Tu t’étais installée au fond de la salle, peu désireuse que l’on vienne t’embêter, pourtant cela n’avait pas suffit pour qu’on te laisse tranquille.

En effet, un courageux avait à priori remarqué ta présence et semblait te trouver à son goût. Sauf que le sentiment était loin d’être réciproque. Oh, pas que le jeune homme était laid ; il était plutôt fade, sans caractère. Il ressemblait à toutes ces gravures de modes que l’on voyait dans les magazines, ces hommes qui imposaient les dictats de la mode. Et ce n’était pas à ton goût ; tu préférais les personnes qui s’affirmaient d’avantage, autant du point de vue physique que du point de vue du caractère. Tu ne supportais pas les moutons de Panurges, tout simplement. Aussi, quand s’était-il approché de toi avec un sourire charmeur, tu t’étais empressée de détourner le regard en retenant un soupir agacé. L’inconnu, loin de comprendre ce signe, prit la liberté de s’asseoir sur la chaise en face de toi. Tu ne lui adressas pas un regard alors qu’il essayait d’engager la conversation, te proposant de t’offrir un verre. Tu aurais pu profiter de sa générosité pour boire, cependant tu savais que si tu le faisais, tu aurais un mal fou à t’en débarrasser par la suite. Et tu n’avais même pas envie de l’avoir pour compagnie ce soir, tout simplement. Alors, avant même qu’il ait pu finir de formuler son offre et lui fis très clairement comprendre que tu n’étais pas intéressée, le regardant droit dans les yeux. Interloqué, l’homme resta muet quelques secondes, avant d’afficher un sourire gêné. A ton plus grand soulagement, il ne faisait pas partie de cette catégorie de la population que l’on nommait affectueusement ‘’boulet’’. Il s’en alla donc et te laissa tranquille. Hallelujah. La soirée n’était pas aussi pourrie que cela au final.

Tu regardas la bouteille de bière à moitié pleine que tu tenais entre tes doigts alors que l’étranger s’éloignait. Te voilà maintenant tranquille. Tu soupiras et bus une nouvelle gorgée de ta boisson ; une fois celle-ci finit, tu rentrerais chez toi si rien d’intéressant ne se passait entre temps.

La musique était presque assourdissante autour de toi, les corps se pressaient non loin du bar où un barman faisait de l’œil aux minettes alors que les uns rejoignaient les autres dans de grands éclats de rire. Tu te sentais un peu seule, isolée en les voyant tous se mêler sans se soucier d’autre chose que du déroulement de la soirée. Enfin, tu ne te plaignais pas, non, car tu savais que si tu étais seule ce soir, c’était de ta faute ; tu n’avais jamais été très sociable, tu arborais constamment l’attitude d’un gardien de prison et tu ne mâchais pas tes mots. Forcément, ce n’était pas toujours du goût de tout le monde, bien au contraire même. Tu faisais fuir les gens. Et quand quelque courageux essayait de s’approcher de toi – comme tout à l’heure – tu l’envoyais paître avec plus ou moins de subtilité. L’homme de tout à l’heure avait été chanceux ; tu avais été plutôt délicate, lui faisant comprendre rapidement qu’il perdait son temps avec toi. Après tout, tu n’étais pas une adepte des coups d’un soir ou même de toute autre chose qui s’approchait de près ou de loin d’un quelconque rapport physique – oui, cela voulait dire que du haut de tes vingt-cinq ans, tu étais encore vierge et tu n’avais jamais encore embrassé qui que ce soit, c’était ton petit secret – cela te mettait terriblement mal à l’aise, donc tu préférais éviter. Peut-être qu’un jour, si tu trouvais la bonne personne. Peut-être que tu mourrais vieille fille, sans jamais avoir connu les plaisirs de la chair … Qui savait ce que l’avenir te réservait dans ce domaine-là ? Puis, ce n’était pas non plus comme si tu étais pressée de connaître ça ; comme dit précédemment, tu étais plutôt associable. Et tu étais aussi très pudique, que ce soit du point de vu physique ou sentimental. Tu ne te voyais pas vraiment accorder une confiance aveugle à qui que ce soit ; ton emploi de chasseur te poussait à être constamment sur tes gardes et à te méfier de tout le monde ou presque. Et ce n’était pas comme si une jeune femme qui maniait mieux le fusil qu’un tube de mascara avait beaucoup de chance de plaire à quelqu’un.
Tu t’apprêtas à lâcher un soupir lourd mais n’en eus pas le temps car quelqu’un venait de tirer la chaise qui se trouvait en face de toi. Plongée dans tes pensées, tu ne t’étais pas aperçue que quelqu’un s’était approché de toi. Tu allais renvoyer ce gêneur de façon plutôt brutale lorsque tu vis de qui il s’agissait. Tu refermas bien vite la bouche, et laissas la demoiselle s’installer. Tu hochas vivement la tête lorsque la jeune femme te demanda de façon rhétorique si elle pouvait prendre place à tes côtés. Tu savais qu’elle n’avait nullement besoin de ton consentement, tout comme elle savait qu’elle n’avait nullement besoin de te demander si elle pouvait s’asseoir avec toi. Après tout Charlotte – car il s’agissait là d’elle – était une des rares – voire unique – personnes à être la bienvenue à toute heure du jour et de la nuit. Tu étais même ravie de voir la jolie Charlotte … Cela faisait trop longtemps à tes yeux que tu n’avais pas eu de nouvelles de la douce brunette, et si cette dernière se décidait à briser la monotonie de ta soirée, sa présence n’en était que plus salutaire. Tu lui adressas un sourire un brin moqueur quand elle te sortit une phrase à deux balles que certains mâles en chaleur n’hésitaient pas à utiliser pour essayer d’assouvir leur envie. ’’Vous habitez toujours chez vos parents ?’’ Avec énormément d’ironie, tu aurais bien eu envie de lui dire que tu n’avais jamais connu les tiens, mais la demoiselle ne t’en laissa point le temps.

La voilà qui déposait une bouteille de bière en face de toi, annonçant qu’elle pouvait faire bien mieux en matière de drague, alors que tu n’avais pas encore fini la première que tu avais commandé. Tu haussas un sourcil surpris. Eh bien, la demoiselle était prévoyante, elle savait comment faire pour capter ton attention. Tu lui adressas l’ombre d’un sourire pour la remercier et portas le goulot de ta bouteille à tes lèvres, laissant le liquide ambré s’écouler dans ton gosier.

« J’doute pas que tu puisses faire mieux … D’autant plus que j’ai jamais connu mes parents, t’sais, j’ai été élevée par mes frères … »

Si en disant cela à d’autres personnes tu aurais eu la désagréable impression de trop te dévoiler, ce n’était pas le cas avec Charlotte. Car Charlotte était particulière à tes yeux. Car Charlotte était vraiment ce qui se rapprochait pour toi le plus d’une petite sœur. Tu ne craignais pas de le lui avouer, tu lui avais déjà dit, et tu n’avais nullement honte des sentiments que tu arborais à son égard. Elle était une demoiselle tout bonnement adorable, tu avais craqué – platoniquement – pour ses beaux yeux. Aussi, n’hésitais-tu jamais à faire preuve d’humour en sa compagnie. Comme en cet instant.

« Mais parce que tu as de beaux yeux et que tu m’as rapporté une bière, j’te pardonne. Faudra tout de même qu’on travaille tes phrases d’approche un de ces quatre … Sait-on jamais, faudrait pas que tu fasses fuir un potentiel prétendant. »

Tu lui adressas un clin d’œil avant de vider ta première bouteille de bière et de la reposer vide sur la table en bois. Ta langue parcourut le coin de tes lèvres lorsque tu te rendis compte qu’une goutte t’avait échappé et tu reportas ton attention sur la jolie demoiselle.

« Ca faisait un bail que j’t’avais pas vu, poupée, qu’est-ce que tu deviens ? Et qu’est-ce que tu fous dans le coin ? »

Tu étais vraiment une autre personne en compagnie de Charlotte. Tu semblais te libérer lorsque la brunette était à tes côtés, et cela te faisait vraiment le plus grand bien.