« Donc elles sont supérieures à vous ? »

Sans lever les yeux de son verre, sans d’ailleurs réellement écouter, Zach avait hoché la tête. Dans un grognement de mâle qui n’était jamais sorti de ses bois, dans la caricature parfaite du bucheron, le vigile avait manifesté sa compréhension d’un grognement. Si le cadet des Cooper avait quitté un peu son verre, il aurait remarqué les sourcils froncés, l’air concentré et toute l’attitude qui allait avec la réflexion intense dans laquelle devait se trouver son voisin d’en face et employé.
Mais le regard vide, perdu dans un verre qu’il avait probablement oublié avoir déjà vidé, il préférait privilégier ses propres réflexions plutôt que la satisfaction qu’il aurait pu ressentir à faire marcher « l’homme » le mieux placé pour ça. D’une autre humeur, Zach serait sans aucun doute en train d’inventer une histoire à dormir debout à propos des femmes, une histoire dans laquelle elles seraient peut être comme des divinités ou alors les principales actrices d’une antique prophétie… voir un mélange des deux. Pour le moment, son esprit était bien trop fixé sur une seule personne de cette espèce pour chercher à se divertir dans l’une de ses activités préférées.

« Celle-ci avait des cornes… elle me fixait avec assistance. Je pense qu’elle voulait déclencher le combat. »

Personnellement, il n’achetait pas cette théorie. C’était la troisième fois qu’il entendait parler ces deux dernières semaines. Son opinion sur la question était qu’elle en pinçait pour lui. Au moins, il avait dû la refroidir. Ce qui n’était pas plus mal vu l’obsession facile qu’avait ce peuple en « amour ». Haussant les épaules, il avait compris la majeure partie de l’histoire et avait finit par placer une conclusion qui lui ressemblait plus :

« Si tu manges 7 citrons par jour pendant un mois, tu pourras te protéger du mauvais œil. Sinon… même moi, je peux rien pour toi. »
« Merci patron. »

A la question : est-ce que le videur avait cru Zachariah ? La réponse était oui. En fait, il était même certain qu’il s’en allait chercher des citrons à le voir prendre ce blouson pour sortir d’un bar fermé où il laissait Zach en compagnie de son verre.
A la question : est-ce que ce genre de scène était fréquent ou simplement causée par le retour d’une certaine sorcière ? Pas besoin d’Emily pour être un petit con ! Mais il fallait avouer que la revenante lui faisait perdre un peu de sa splendeur de chieur.
Quoiqu’il en soit, il n’était pas resté seul très longtemps. Philip avait du croiser son employé car il était rentré quelques secondes plus tard pour trouver un petit frère assis au bar. Sur le coup, il l’avait simplement regardé sans rien dire avant de faire glisser la bouteille de bière qui lui réservait dans sa direction. Normalement, il l’avait prévu en cas de bonne conduite mais, vu la gueule de son aîné, il était certain qu’il avait au moins essayé. Nous ne perdrons pas de temps à débattre du droit d’un cadet de rationner son vénérable frère de boissons alcoolisées.

« Alors ? »

Nous ne parlerons pas plus du droit de demander un rapport de manière simple, claire mais précise. Disons qu’ici les rôles s’inversaient tout naturellement. Et oui, il avait le droit de se resservir un shot de tequila. Ce ne serait pas ce soir que Lip userait de la plaisanterie sur son âge en apparence.

Si Lip avait une mine misérable en arrivant chez Charlotte, c’était encore pire en repartant. Avec du pot, il l’avait suffisamment blessée pour qu’elle ne veuille plus jamais le revoir!... ouais, avec du pot. Mais ça ne l’aidait pas à se sentir mieux. Même s’il n’avait planté aucun poignard dans son estomac, même s’il n’avait pas regardé la vie quitter ses yeux, il se sentait aussi mal que lorsqu’il avait tué Emily. Comme si cette relation, aussi malfaisante et dévastatrice était-elle, ne pouvait pas être arrêtée ainsi.
Il avait cette fille dans la peau, difficile de le nier après deux cents ans à être hanté par elle, mais ce n’était pas que ça. Comme une sorte d’instinct animal. Elle lui appartenait et il lui appartenait. C’était comme ça, point.

Il ne sut pas trop comment il réussit à rentrer au bar sans créer d’accident. La tête complètement ailleurs, on pouvait parler d’un de ces moments où la voiture avait ramené son propriétaire chez-lui.
Une fois le moteur arrêté, le véhicule en un morceau stationné dans le parking derrière l’Artémis, l’immortel demeura un petit moment assit derrière le volant. Toute cette discussion avec Charlotte n’avait eu que peu de sens en vérité. C’était comme s’adresser à quelqu’un et se faire répondre par une autre qui n’avait aucune envie d’aborder le sujet. Du moins au début. Charlie avait eu l’air plus qu’intéressée par l’histoire de son ancêtre. Très compatissante même… voir peut-être trop.
Lip se frotta le visage à deux mains en soupirant profondément.
C’était passé. Le mal était fait. Il ne lui restait plus qu’à s’enfermer dans son bar, lui en interdire l’entrée et tout irait bien. Ils ne resteraient pas ici indéfiniment après tout. Bientôt, cette fichue petite tueuse allait se faire appeler et ils pourraient lever les voiles. Après tout, ils étaient dans ce trou humide bourré de moustiques énormes depuis des mois rien que pour ça!
Et dès qu’il y aurait plusieurs centaines de kilomètres entre lui et Charlie tout irait pour le mieux. Ouais.

Ce fut néanmoins tête basse que Philip finit par sortir de sa voiture, contourner le bar et y entrer au moment où son grand molosse venu d’une autre dimension en sortait. Il se fit poliment saluer par son employé, ne pensa même pas à profiter de la rencontre pour lui signaler que la sorcière n’entrait plus chez eux, et passa la porte avant qu’elle se referme sans même tendre le bras pour la retenir.
Zach était au comptoir – il aurait dû s’y attendre, la pièce complètement désertée, calme et inhabituellement silencieuse pour Lip qui la fréquentait toujours lorsque l’ambiance y battait son plein. Ce comptoir massif derrière et devant lequel il passait tant de temps à bavasser, regarder ses soaps, servir à boire, principalement s’amuser quoi, était soudainement intimident et détestable. Parce que Zach y était installé avec une seule intention. Parce que le verre d’alcool qui l’attendait n’avait rien de plaisant ce soir. C’était le verre de la maigre consolation amère, celle qu’on offre quand il n’y en a aucune autre à offrir.

L’ainé avança à la manière d’un prisonnier qui trainait un lourd boulet. Il se laissa tomber mollement sur le tabouret à côté de son petit frère, s’empara du verre, l’observa de longues secondes sans répondre et le cala cul-sec sans le moindre entrain.
Il demeura encore un peu dans le silence, les yeux fixés devant lui, sur les étagères qui offraient un goût très variés de boissons, allant des alcools les plus médiocres aux plus fins, en passant par les yeux de limaces, sang de vierge et autres trucs susceptibles de plaire à leur clientèle particulière.

« C’était la merde. Comment ça aurait pu finir autrement? »

Impossible. Cette famille n’était pas franchement bien pourvue en matière de vie amoureuse. Ça c’était toujours assez mal fini pour le paternel, ce n’était pas bien différent pour ses fils visiblement.
   

Sans un mot de plus, il avait regardé son frère s’installer et fixer son verre un instant avant de le vider d’une traite. Toujours sans rien dire, il avait pris la bouteille de tequila et avait rempli le verre de son aîné avant de vider le sien aussi sec pour le remplir la seconde suivante. D’une main, il avait revissé le bouchon de la bouteille, de l’autre il avait tenu son verre, en fixant le liquide plutôt que son frère. Il n’avait pas vraiment besoin de mots, rien qu’à regarder la tête que Lip tirait en rentrant, il savait que sa question débile n’attendait qu’une réponse évidente qui n’avait pas tardé à venir.

« Sans ton frère qui t’attend pour t’offrir un verre. »

C’est sûr que ça changeait tout ! Mais un peu d’ironie ne faisait jamais de mal. Dans leur cas et vu la catastrophe qu’était leur vie sentimentale, il valait mieux éviter de se lancer dans la pure dépression.

« Même s’il doit avoir un goût dégueulasse. »

Et il le savait pour avoir déjà goûté ce genre de verre. C’était un peu leur spécialité. Ceci dit, ils avaient déjà connu pire…. Une fois, ils n’avaient pas partagé ce verre dégueulasse ensemble et n’en n’avaient plus partagé pendant un moment. Et pour cette fois là, le cadet plaidait coupable.
Et maintenant ? Qu’est-ce qu’il pouvait ajouter ? Pas grand-chose. Il n’allait pas non plus lui demander les détails de la conversation qu’il avait eue avec Emily 2.0. Oui, il était curieux, c’est vrai. Mais ce n’était pas à lui de remuer le couteau dans la plaie. Si son frère avait besoin d’en parler, il le ferait de lui-même. Tout ce qu’il pouvait ajouter c’était un pseudo réconfort :

« On pourrait se barrer ailleurs. »

Et ils n’étaient pas là pour quelque chose ?
Si, il ne l’oubliait pas et cette proposition sonnait un peu en l’air. L’un comme l’autre savait qu’ils en avaient pour un moment ici :

« Après… quand je serai sorti avec une nouvelle tueuse qui deviendra vampire et essaiera de te tuer. »

S’il y avait un bateau pour ce registre, c’était certain, ils étaient sur le même.
Et sur cette moquerie personnelle, il avait vidé son verre. Ceci dit, c’était une excellente raison de se barrer. Mais il ne comptait pas franchement emmener la potentielle au bal de printemps ou autre connerie du genre. Rebecca avait mal tourné mais, de son vivant, il y avait un monde entre les deux. Voilà un excellent sujet pour détendre l’atmosphère, il pouvait toujours le faire marrer en parlant des gloussements du genre. A la place, il avait choisit de se remplir un nouveau verre au goût dégueulasse bien que l’alcool n’ait rien à y voir.

« M’ouais. »

Il marmonna faiblement pour ensuite avaler son second verre de la même manière que le premier. Il n’était pas certain que la présence de Zach change réellement quelque chose, bien qu’en vérité, ça changeait tout. Parce qu’ils étaient frères et se serraient les coudes depuis près d’un demi-millénaire. Parce que Lip l’avait élevé comme un fils, bien qu’il avait fini par accepter, au bout d’une centaine d’années, qu’ils étaient sur un pied d’égalité. Parce que sans ce type à l’apparence de gamin, il n’avait personne.
Ce soir en était une preuve parmi d’autres, son compagnon de vie, c’était son frère. Parce qu’il était le seul qui serait encore là dans cinq cents ans, le seul sur qui il pouvait compter et, parfois malheureusement, le seul qui savait lui faire entendre raison lorsque Lip avait tort. Car même si l’ainé avait bien envie de casser la figure de son cadet pour ce qu’il l’avait forcé à faire ce soir, il savait au fond de lui que c’était l’unique comportement qu’il se devait d’adopter, celui qu’il aurait dû avoir dès le début.

« J’y pensais justement. Le Brésil ça serait bien. »

Et surtout le sang chaud des brésiliennes pour oublier au mieux Charlie et sa tête dévastée. Mais ils ne le pouvaient pas, comme le spécifiait avec grand talent le petit frère, pas tout de suite en tout cas.
La remarque arriva même à lui arracher un sourire, comme quoi tout n’était pas perdu.

« Ouais. Jamais compris pourquoi d’ailleurs, j’suis un type charmant. »

En temps normal, peut-être. Rebecca avaient quelques raisons de penser différemment, dont les quelques tentatives de meurtres qu’il avait lui-même perpétré contre elle. Disons seulement qu’ils étaient incompatibles!
S’étant emparé de la bouteille, Lip se resservit et profita du verre nouvellement vide de Zach pour faire de même avec lui.
Pour changer, néanmoins, après avoir frappé légèrement son verre contre celui, encore sur le comptoir, du petit frère, en guise de toast, Lip ne prit qu’une petite gorgée de cette troisième consommation.

« La belle paire qu’on fait quand même. Quand est-ce qu’on devient gay et incestueux? »

À défaut de déclencher un dégoût viscéral chez-lui, devenir amant de son propre frère aurait au moins un point positif majeur. Quelque chose comme  ne plus plonger le monde vers sa fin au profit de l’amour d’une femme. Ouais ok, seul Lip avait fait fort à ce point-là, mais sans avoir enclenché le processus d’autodestruction du monde, il fallait tout de même prendre en considération que Rebecca pouvait être une sacrée plaie dans le cul lorsqu’elle s’y mettait!

« Comment ça se passe avec… »

Il fit mine de cherche le prénom de la potentielle pour qui ils s’étaient installés en ville, mais abandonna plutôt rapidement.

« la fille, au fait? Une Marion en devenir? »

La mère de Zach, non pas que Lip cherchait à flatter le petit frère ici. Malgré les années, il tenait toujours Marion en très haute estime. Ils avaient élevé ce gamin ensemble après tout. Si au départ il avait levé le nez sur la nouvelle femme de son père – principalement parce qu’il ne pigeait pas spécialement ce qu’elle lui trouvait, mais bon – quand celui-ci c’était barré, pour changer de d’habitude, il avait appris à connaître une tueuse qui méritait de rester dans les annales de la profession encore longtemps et une femme qui avait eu toute son amitié et son affection.
   

« Moi aussi je t'aime frangin. »

Un tel engouement faisait plaisir à voir ! Pourtant, il ne s'était pas réellement vexé du manque d'entrain de son frère et la touche d'ironie était largement perceptible. Il n'y avait qu'une seule raison à ça, la compréhension facile et innée qu'il y avait entre eux. C'était son frère depuis assez de temps pour qu'il puisse savoir que ce n'était pas ce soir qu'il serait au mieux de sa forme. Et il n'ignorait pas l'importance d'Emily au point d'être un parfait crétin et de penser qu'un beau sourire et une tape fraternelle dans le dos lui remontrait le moral en moins de deux.
Le Brésil avait été mis sur la table par son aîné aussi rapidement que le cadet l'avait balayé en rappelant leur mission du moment sans grand entrain. Ouais, là, tout de suite, il était bien forcé d'admettre que le Brésil lui faisait nettement plus envie à lui aussi. Mais ceci était une toute autre histoire qui concernait la partie adolescente et débile de l'espèce humaine.

« J'en sais trop rien, peut être parce que t'as essayé de la tuer. Ou alors c'est juste physique et elle peut tout simplement pas t'encadrer. »

Qu'on ne se fasse pas d'illusions. Si le sujet de plaisanteries actuel était Rebecca, l'histoire n'appartenait pas entièrement au passé. Zachariah mentirait s'il disait aujourd'hui que cette histoire lui faisait ni chaud, ni froid. Il était juste capable de se servir de son passé merdique en matière de relations avec les femmes pour alléger un peu l'ambiance et le coeur de son frère par la même occasion. Au moins, le sujet avait eu le mérite de provoquer un sourire chez son aîné. C'était déjà ça, il n'avait pas perdu la faculté d'étirer ses lèvres.
Et tandis que Philip proposait l'impossible, Zachariah avait regardé son verre se remplir. C'était un excellent soir pour se terminer une bouteille à deux. Ils ne trouveraient pas de meilleure occasion que celle-ci avant un moment :

« Je sais pas... disons jamais ? Si tu veux, tu peux toujours virer pédophile et j'deviens ton fournisseur. Mais c'est pas dit que tu préfères des voeux de chasteté à la place. »

Ouais... y'avait qu'à voir. Voilà, elle ! Celle dont Philip cherchait le prénom à présent.
June et ses copines... June et ses copines... voilà, June et ses copines faisaient pousser ce soupir qu'il venait de pousser. Elles provoquaient cet air blasé sur le visage du cadet en moins de trois secondes. Cet air qui trouvait tout son sens quand on connaissait la dernière journée qu'il avait passé au lycée.
Lip ne la connaissait pas lui.
Ouais, et pour le coup, ça le ferait bien marrer d'apprendre les tortures que son cadet devait subire tous les jours. Et tout ça pour quoi ? Parce qu'il devait la surveiller, voir se rapprocher... elle avait commencé à se faire des films et ça commençait à glousser, ça... finir son verre d'une traite, y'avait que ça à faire :

« On est dans la merde Lip... la fin du monde est proche. La mienne l'est en tout cas, j'en peux plus, j'te jure. Y'a des fois où je me demande si Irma & Compagnie se sont pas plantés sur ce coup là. Elle cadre pas... elles cadrent pas toujours c'est vrai. »

Le côté positif, c'est qu'ils ne resteraient pas longtemps dans le coin... ouais, mieux valait ne pas terminer cette phrase, ce serait méchant. Tout ça pour dire que June Matthews n'avait rien à voir avec Marion et qu'elle ne lui arriverait jamais à la cheville. Il ne pouvait pas le savoir avant de l'avoir entraîné ? Peut être, mais ça se sentait, au moins un peu, et rien qu'à sa manière de vivre, il se demandait si elle arriverait à digérer la nouvelle quand viendrait le moment. Il l'avait observé, il commençait à la connaître en somme... et un peu trop à son goût.

« Qu’est-ce qu’il a mon physique d’abord? »

Tout n’était apparemment pas perdu. Tout n’était pas encore réglé non plus, mais tout n’était pas perdu. Parce que le petit frère avait réussi à lui arracher un sourire et aussi parce que l’ainé avait choisi d’en rajouter encore une couche.
Le lot de gardien. Se relever, toujours, peu importe quoi, parce qu’une fois plus bas que terre, c’est tout ce qu’il reste à faire. Pas vrai?
Et puis, il y aurait toujours Zach. Il fallait voir ça comme un prix de consolation. Même si le cadet ne semblait pas partager son idée de génie. Certes, elle ne lui faisait pas envie, même à lui, mais qui ne tente rien n’a rien comme on dit. Au lieu de ça, le petit frère proposa de devenir son fournisseur en jeunes donzelles pré-pubères. Philip fit la grimace, les lèvres sur son verre dont il s’apprêtait à prendre une gorgée.

« J’en ai soupé y’a longtemps de celles-là, non merci. »

Certes, Charlie n’était pas bien plus vieille que ces adolescentes au rire agaçant, mais Charlie et tout ce qui la concernait était un cas à part.
… Pourquoi fallait-il elle revienne dans ses pensées? Ça commençait à ressembler à un moment presque plaisant.
Mais non, comme dès l’instant où il l’avait vue dans son bar, elle occupait ses pensées sans qu’il ne sache comment lutter.

Ce pourquoi il préféra entrer dans un tout autre sujet, arrosant ce changement d’une rasade d’alcool. La potentielle. Celle pour qui ils s’étaient installés ici. Pour qui Zach affrontait le lycée une fois de plus. Pour qui Lip devait se déplacer en moyenne deux fois par semaine parce que le petit frère faisait un bien piètre étudiant à défaut d’être aussi stupide que ses congénères vraiment mineurs.
Apparemment, ils souffraient de tout ça sans que ce ne soit très concluant. Les oracles se seraient-ils trompés? Ils disaient parfois des conneries, mais celles-ci s’étaient toujours avérées vraies jusqu’à présent. Se faisaient-ils vieux? Minute, est-ce que les oracles pouvaient se faire vieux?

« Maaah attend encore un peu, t’as souffert de pire quand même. »

Sirotant encore un peu sa téquila, le plus âgé se perdit un instant dans la supposition que leur tuyau se soit avéré faux avant d’ajouter :

« S’il se passe toujours rien d’ici quelques semaines, j’irai leur payer une petite visite pour voir. »

Ils allaient parler par énigme et seraient chiant au possible. Peut-être même qu’ils s’offusqueraient de voir leur sainte parole remise en cause. Un oracle pouvait faire un infarctus à cause de la stupéfaction? Parce que si Lip débarquait en demandant vous êtes sûrs que vous vous êtes pas plantés? ça risquait de faire un tôlé.

« Charmer les écolières, c’est bien plus ton genre que le mien d’habitude! Tu devrais pouvoir tenir. »
   

« Tu veux vraiment que je réponde à cette question ? J’voudrai pas te filer des complexes. »

Un avis extérieur féminin trouverait à y redire. Ses camarades de classe trouveraient à y redire. Ok, l’aîné des Cooper plaisait. En fait, les Cooper en général plaisaient… et le savaient. Manifestement, ni l’un, ni l’autre, ne complexait sur son physique. Zachariah avait beau râler des gloussements qui l’enduraient parfois, il ne souhaitait pas pour autant avoir la bosse d’un Quasimodo, soyons honnêtes. A l’heure actuelle, il souhaitait simplement avoir un autre emploi que : lycéen permanent.
Mais là n’était pas le débat. Actuellement, la priorité première était manifestement de raconter les premières conneries qui pouvaient leur venir à l’esprit. Et il fallait en passer par de l’auto-moquerie sur leur vie sentimentale qu’un psy pourri se ferait une joie de commenter :

« Hum… y’a bien Madame Alvares, la prof d’espagnol… mais elle a pas mal de prétendants et faut accepter la concurrence. »

D’accord, le nom sonnait muy caliente… mais peut être serait il bon de ne pas omettre de parler de l’âge de Madame Alvares, éternelle vieille fille, qui sentait la pisse de chat et le renfermé.
Oui… le lycée était un pur paradis qu’il tentait de faire partager à son frère. Chose qu’il faisait d’ailleurs assez régulièrement quand celui-ci se retrouvait convoqué. Parlant de ça, il n’avait pas un truc de ce genre dans son carnet ?
Si… mais le moment était peut être mal choisi dans le cadre d’un reboostage de moral par l’alcool. Reboostage qui avait tourné vers le contage de ses mésaventures de jeune adolescent. A l’air blasé que Zach lui adressé en réponse, il était facile de deviner qu’il préférait encore le pire dont son aîné pouvait bien parler. Il préférait une grosse bestiole baveuse, quelque chose à trancher, que la débilité juvénile à laquelle il devrait encore faire face demain. Finalement, il ne savait pas s’il souhaitait que les oracles se trompent pour ne pas avoir à endurer pire dans les jours à venir, ou qu’ils ne se trompent pas pour ne pas avoir enduré ça pour rien.

« Trois semaines, pas une de plus, et tu vas les voir. »

Quoi ? Il marchandait pour sa survie, il avait bien le droit non ? Et puis, trois semaines, c’était pas si mal si c’était trois semaines à perdre son temps avec… des écolières. A la dernière phrase de son frère, un blanc était venu dans la conversation et il l’avait fixé de longues secondes avant de reprendre la parole :

« Deux semaines. »

Trop tard, t’as dis trois… tu le sais déjà que le premier prix est toujours celui qu’on prend.
Il fallait laisser un peu de temps à la destinée. Qu’est-ce que c’était trois semaines quand on avait l’éternité après tout hein ? Pour répondre à cette question, Zach avait descendu un nouveau verre avant de poursuivre:

« Au fait, le principal veut te voir. »

D’accord, il avait dit qu’il n’en parlerait pas ce soir, qu’il laisserait le pur moment de partage d’alcool entre frères être un beau moment familial… mais Lip l’avait cherché !
.

« Comme si tu pouvais. »

Était-ce un défi?
Peut-être que oui, peut-être que non. Mais la victoire serait très difficile car, en effet, les Cooper n’étaient pas du genre peu confiant en l’image qu’ils projetaient.
Du moins, Lip en avait suffisamment pour ne pas se sentir effrayé par des prétendants et de la concurrence.

« Tssss, j’en fais qu’une bouchée si je veux de ta prof d’espagnol. »

S’il le voulait, était l’élément clé de ce qu’il venait de dire. Il fallait voir ça comme un remède à Charlie, mais l’ainé trouvait dans l’apitoiement un certain réconfort. Il estimait mériter de se torturer les méninges quelques temps après ce qu’il avait infligé à la sorcière.
Mais changer d’air aurait été pas mal, si seulement ils avaient pu se le permettre. Coincés ici, dans cette ville où Lip allait devoir éviter sa plus grosse tentation à chaque fois qu’il mettrait le nez hors de son bar, les oracles avaient fait fort ce coup-ci. Était-il seulement possible d’ajouter une coïncidence merdique de plus? Si Rebecca se pointait en prime, l’immortel jugerait qu’il était grand temps de se mettre à la loterie!
Mais depuis le temps qu’ils étaient là et que rien ne s’était produit, ça commençait à être un peu trop louche, même pour les Pouvoirs qui Sont. Normalement, ils les parachutaient dans un endroit précis pour des événements importants… le genre où ils n’avaient pas le temps de se monter un business…
Alors oui, se payer une petite visite aux Oracles ne serait pas une mauvaise idée. Ce à quoi Zach semblait être parfaitement d’accord. Est-ce qu’il en avait finalement marre de jouer à l’étudiant? Après plus de quatre cents ans, il était à peu près temps!

Mais si déjà il avait pu jouer à l’étudiant non perturbateur, ça aurait fait des vacances à l’ainé qui sur le papier était le tuteur légal de son petit frère. Ce qui, hélas pour Lip, signifiait presque de fréquenter le lycée aussi souvent que Zach vu les visites quotidiennes qu’il s’y payait.

« Encore? T’as détruit l’image professionnelle de quel prof ce coup-ci? »

C’était sûrement un aussi fin talent de son petit frère que de tirer à l’arbalète. Malheureusement, les enseignants n’appréciaient guère de voir leur thèse de fin d’études complètement remise en question par un gamin de dix-sept ans et ils prenaient ces affronts plutôt à cœur.

« Non, finalement, je veux pas le savoir, on verra ça demain. »

Terminant son verre cul-sec, Lip se leva de son tabouret, appréciant le petit étourdissement que l’absorbation rapide de tout cet alcool lui donna. Avec du bol, il arriverait à dormir une heure ou deux cette nuit.

« Pour l’heure, j’vais me pieuté. »