Patron, y’a une fille qui demande à vous voir.
Cette phrase, il ne l’avait pas entendue souvent. En réalité, c’était la première fois qu’elle lui était livrée avec si peu d’informations. Une fille. Elle voulait le voir. Aucune raison donnée, aucune justification non plus du genre qu’il s’agirait d’une vieille connaissance que l’on pourrait – à outrance peut-être – qualifier d’amie. Rien. Niet. Nada.
De quoi donner deux envies bien distinctes au viking. La première, renvoyer cette fille d’où elle venait sans plus de délicatesse. La seconde, lui accorder son audience pour régaler la curiosité attisée par toute cette mise en scène mystérieuse.
Qui qu’était cette personne, elle avait joué ses cartes de la bonne façon. Ragnar ne rencontrait jamais personne. Encore moins ceux qui arrivaient en rampant pour lui parler d’il ne savait quel problème ou quel plan. Combien de vampires qui se prenaient pour des durs à cuire étaient venus jusqu’à lui dans l’idée de renverser le monde et de le soumettre à leur volonté? C’était ridicule. Leur race ne tirerait absolument rien de la fin du monde, encore moins de la fin de l’humanité. De quoi se nourriraient-ils une fois la race des hommes complètement disparue? Malgré leur immortalité, ces vampires avaient tendance à oublier de se projeter dans l’avenir!

Mais il ne s’agissait pas d’un vampire. Autrement, son sbire le lui aurait mentionné. Encore plus intéressant. Une humaine? Comment une humaine pouvait-elle le connaître? S’agirait-il de cette humaine? Celle pour qui il était venu ici. Celle que Victoria avait entrevue dans les fils déconnectés de son cerveau divinatoire.
Pour le savoir, il fallait accepter de la recevoir.
Alors, après quelques minutes à peser le pour et le contre de celle nouvelle, le géant blond inclina le menton, l’ombre d’un sourire curieux flottant sur ses lèvres exsangues.

« Amène-la. »

Sa curiosité complètement gagnée, maintenant, Ragnar espéra uniquement qu’elle soit justifiée. Si cette fille n’avait pas quelque chose de réellement intéressant à dire, il se pourrait bien qu’elle ne ressorte jamais d’ici vivante.
Toutefois, à moins qu’il s’agisse d’une idiote finie, elle devait bien avoir conscience de ce risque. Le viking avait sa réputation et elle le précédait sans peine. Qui que cette mystérieuse invitée surprise soit, elle connaissait cette réputation, autrement, elle ne serait jamais venue ici dans l’idée de s’entretenir avec lui.    

« Range tes crocs, je ne viens pas pour le dîner. »

N’importe qui, à sa place, aurait fait preuve de bien plus de nervosité en pénétrant dans ces lieux peu fréquentables. Cependant, ce « n’importe qui » ne serait pas venu ici de son plein gré pour papoter avec le boss. Car c’était bien ce qu’Emily venait faire comme venait de le déclarer son « escorte » aux quelques vampires ravis sur le coup de voir débarquer le repas comme on livre une pizza.
Laissant le mordeur qu’elle avait soudoyé, manipulé, abusé ou impressionné, faire son devoir en allant poser sa requête au grand patron du coin, Emily avait patienté dans l’entrée sans sembler dégager une quelconque nervosité face à son environnement pourtant peu rassurant. Elle avait de quoi se défendre, elle n’était pas idiote. Juste confiante. Peut être un peu trop sans doute. Qu’est-ce qui lui disait que le grand patron voudrait bien faire ami-ami avec elle ? Rien, absolument rien. Si elle pouvait gérer avec la basse populace autour d’elle, Ragnar était bien plus menaçant, elle le savait, elle n’était pas inconsciente et complètement ignorante de sa réputation. Mais quand on voulait quelque chose, il fallait savoir prendre des risques. Et puis, elle trouvait sa proposition plutôt alléchante pour lui. Dans ce « partenariat », tout le monde pouvait y gagner, il suffisait d’y réfléchir quelques secondes pour s’en rendre compte. Sans compter son charme fou qui ne pouvait faire que pencher la balance en sa faveur. Bien sûr, Charlotte n’avait pas dû profondément le marquer de sa banalité lors de leur première rencontre, il ne devait même pas s’en souvenir, mais Emily saurait corriger les erreurs de sa descendante.

Enfin, un autre vampire était venu pour lui dire que son patron allait la recevoir. L’expression déçue sur les visages des affamés avait semblé l’amuser et c’est avec un sourire sur les lèvres qu’elle était passée au travers pour suivre le messager qui l’avait directement conduit à son Maître. Intérieurement, elle avait entendu Charlotte pensait que c’était le plan le plus suicidaire au Monde. Mais elle l’espérait plus qu’elle ne le pensait non ? L’autre inutile voulait simplement que ça rate, elle avait trop peur de voir le machiavélisme de son ancêtre couronné de succès… quelque chose dans le genre.
Emily n’avait toutefois pas le temps de s’amuser de ce pathétisme. Elle devait amener les choses correctement, de la bonne manière s’il en existait une, mettre toutes les chances de son côté. Et c’est en lançant un regard aux alentours pour détailler la déco qu’elle allait le faire ?
Pas vraiment, mais l’attitude était toute aussi importante. Sachez, de toute manière, qu’elle préférait être incomprise plutôt que déchiffrée :

« Pas mal… mais votre décoratrice devait traverser une période torturée, ça manque un peu de lumière. »

Ce genre de remarques n’était pas bien utile, d’accord. Mais fallait-il tout lâcher d’emblée ? Non, bien sûr que non. Un maître de la peur comme lui devait bien savoir que le suspens avait son importance.
Relâchant l’examen de la déco, elle avait finalement posé ses yeux sur lui. Grand. Très grand. Et impressionnant. D’un regard, on pouvait parfaitement voir qu’il n’était pas le genre de vampire dont on se moquait. Même sans sa taille imposante, elle était certaine que cette puissance se dégagerait autant de lui. Tant mieux. Elle ne cherchait pas à bosser avec un amateur.
Après quelques secondes, elle avait sourit, comme si l’examen était satisfaisant. Non, elle ne l’avait pas réellement vu. Elle avait juste accès aux souvenirs de la misérable Charlotte. Et encore, cette dernière jugeait bon de tenter de lui dissimuler certaines choses. Mais ce problème trouverait sa solution en son temps.
Détournant la tête vers l’accompagnateur, s’attendant à ce qu’il comprenne de lui-même que la conversation était privée, elle avait ajouté :

« Vous, en revanche, vous êtes exactement comme je l’avais imaginé. »

Simplet avait finit par comprendre, ou son Maître le lui avait fait comprendre.
Il n’avait pas besoin de sa protection, elle ne comptait pas lui planter un pieu dans le cœur ou le décapiter. Et, même dans ce cas, elle doutait fortement que la présence d’un sous-fifre soit nécessaire.

Pendant que son subordonné rebroussait chemin pour retourner d’où il était venu afin de satisfaire la demande du viking, celui-ci retourna à ses propres affaires, soit la jeune femme en pleurs sur son canapé.
Poignets et chevilles abrasés par des liens qui ne s’y trouvaient plus, cette liberté de membres ne lui donnait pourtant aucune envie de s’enfuir. Plus maintenant du moins. Si elle avait tenté de courir vers la porte dès que Ragnar avait tourné le dos la première fois, le voir apparaitre subitement entre elle et la sortie avait suffi à lui passer le goût de recommencer.
Tremblante comme une feuille, les joues humides, les yeux rougis, la délicate blonde au teint pâle avait le regard fixé sur le tapis persan sous ses pieds, évitant le plus possible le regard du vampire.
S’asseyant à ses côtés, le viking repoussa délicatement une mèche de cheveux qui venait obstruer l’accès à son cou délicat. La trace bien visible de morsure laissait aisément présager que Ragnar avait déjà eu un petit casse-croûte et que la jeune blonde se doutait qu’elle ne sortirait pas d’ici vivante. Ses tremblements s’accentuèrent de manière très marquée dès ce contact, ce qui, quelques centaines d’années auparavant aurait pu arracher un sourire au vampire. Aujourd’hui, il en était plutôt blasé. Il se nourrirait probablement encore un peu d’elle, puis l’offrirait à Victoria pour la regarder s’amuser. Observer sa progéniture se délecter de ses jeux sanglants était l’une des rares activités qui ne l’ennuyait pas encore.

Ragnar n’eut cependant pas plus de temps en tête à tête avec son casse-croûte, son sbire revenant en compagnie de cette mystérieuse femme qui désirait lui parler.
Cette femme n’était pas tout à fait humaine, il sentait une puissance émaner d’elle, mais il ne s’agissait ni d’un vampire, ni d’un démon. Cela risquait d’être intéressant.
En tout cas, ça aurait le bon côté d’occuper un peu son attention trop souvent livrée à l’ennuie le plus mortel.
La brune avant du cran et de la confiance. Peu de gens s’invitaient chez-lui et encore moins avec cette attitude.

« Je tâcherai de lui en faire la remarque. »

Pourquoi se rebuter sur le sujet de la lumière. Ce n’était pas comme si personne avant elle n’avait tenté la blague en mille ans.
D’un simple mouvement de menton, le viking ordonna à son homme de main de les quitter. Et comme blondinette ici présente ne vivrait pas suffisamment longtemps pour raconter à qui que ce soit ce qu’elle entendrait de cette conversation, ils pouvaient s’entendre pour dire qu’ils étaient seuls.

Ragnar ne releva pas le second commentaire du moins. Flatter son égo ne mènerait à rien. Il savait parfaitement ce qu’il était,  ne ressentait aucune satisfaction à ce qu’on le lui dise et se contentait de l’être que ça plaise ou non.

« Tu dois donc savoir que je n’aime pas jouer aux devinettes. »

En clair, qu’elle en vienne aux faits, autrement, il se pourrait bien qu’il décide de sauter la collation pour passer directement au repas complet.
 

Sans sembler se choquer de la demoiselle qui n’avait plus beaucoup de temps à vivre, Emily avait préféré entamer la conversation sur un sujet vide d’intérêt à savoir la décoration du coin. Il fallait bien une entrée en matière dans un dialogue. Mais elle savait également que toute patience avait des limites et s’était donc arrêtée à la réponse du vampire avant de le flatter un peu. Ce qui ne semblait pas lui faire marquer de points. Tant pis, elle prendrait bonne note qu’il n’était pas de ses grands vilains qui aimaient entendre à quel point ils étaient machiavéliques, doués et surtout inégalables. Dans un haussement d’épaules, elle avait fait quelques pas dans la pièce, laissant encore son regard se promener ici et là. Si elle voulait avoir une chance d’obtenir ce qu’elle voulait de lui, il faudrait se montrer directe. Tant mieux, ça leur ferait gagner du temps à l’un comme à l’autre.
Pour être venue ici, il lui fallait penser qu’il accepterait sa proposition, ce qui lui permettrait également de garder ce précieux corps qu’elle avait investit. Ou alors, elle se sentait assez puissante pour pouvoir se débrouiller si jamais ses idées ne le séduisaient pas. Quoiqu’il en soit, elle n’avait pas tardé à aborder le motif de sa visite, délaissant les formalités et formules de politesse d’usage

« Je vois, on fera connaissance une autre fois, oublions les bases ! »

S’adossant contre un mur face à lui, elle l’avait regardé lui, plutôt que le sol comme d’autres à sa place et avait rapidement enchaîné :

« J’ai entendu dire que t’étais le grand méchant du coin. J’ai également entendu dire qu’un ou deux gardiens se promenaient par ci par là. Je sais, c’est pas si dérangeant que ça quand on ne fait pas trop de vagues mais je dois t’avouer que l’un d’eux me dérange pas mal de mon côté. Et un plutôt que deux, ça peut peut être t’arranger. Je sais, pourquoi aider cette pauvre humaine qui se ramène chez moi et me dit de changer ma déco ? »

Oui, pourquoi effectivement ? Parce qu’elle était charmante et aimable ? Ou juste incroyablement suicidaire de se pointer ici ?

« Disons que ça te ferait une occupation et un ajout à ton tableau de chasse. Et puis, je m’ennuie un peu ces temps-ci et je me suis dis que je pourrai bosser du côté des gagnants pour changer. J’ai pas peur de me salir les mains. »

Parce qu’elle avait déjà bossé du côté des perdants ? Manifestement oui, autrement elle ne serait pas morte si jeune ! Fallait être réaliste, les gentils n’étaient pas si gentils que ça visiblement.
Bref, à ce qu’elle disait, elle proposait ses services en tant qu’employée, sans pour autant montrer son utilité… mais il y avait un temps pour tout. Fallait voir à long terme, en tant que future immortelle puissante, elle ne pouvait pas se contenter d’occuper son temps à cuisiner des cookies pour Marlene… surtout une Marlene qui lui tapait déjà sur le système. Et toute personne avec plus d’intérêt qu’une ménagère avait besoin d’allié puissant non ? :

« Désolée, j’avais préparé un discours sans failles mais je te dérange en plein repas et t’avais l’air un peu pressé donc il perd de sa qualité. »

Voilà qui résumait assez bien. Il n’en n’avait peut être rien à foutre que les gardiens se trouvent dans la même ville que lui, mais c’était une donnée non négligeable. Personnellement, elle trouvait qu’on finissait toujours par être emmerdé avec eux, même quand on avait rien à se reprocher.

Effectivement, Ragnar n’avait aucune envie particulière de faire connaissance. Il connaissait déjà suffisamment de monde et ne voyait pas trop en quoi cette fille avait quelque chose de particulier qui pouvait l’intéresser.
Lui, visiblement, l’intéressait, ou plutôt sa qualité de leader sanglant du coin l’intéressait. Rapidement, la curiosité éveillée par cette mystérieuse affaire s’évaporait au fil des paroles de la brune. Encore une qui avait des envies de changer le monde selon son bon gré. Oui, certes, Ragnar était de cette trempe-là également, toutefois, il n’allait pas emmerder son prochain, il se débrouillait tout seul pour obtenir ce qu’il désirait.

Se détachant lentement de la blonde tremblante à ses côtés, le viking s’adossa contre le canapé, croisant tout aussi lentement les bras, signe que son intérêt déchantait. Les gardiens? En quoi les gardiens le concernaient? Ils avaient empêché un bon festin il y avait peu de temps, mais ce n’était que pur hasard. Le vampire avait soin de ne pas trainer dans leurs pattes désormais et, en échange, les deux autres se mêlaient de leurs affaires. De quoi être gagnant-gagnant comme on dit.

« Je vois pas en quoi ça me concerne » laissa tomber le grand blond après le monologue de la miss. « Je vis en coexistence avec eux depuis près d’un millénaire. En quoi ça m’apporterait quelque chose qu’ils soient morts ou vivants? »

En clair, il y gagnait quoi dans cette histoire? Parce que pour le moment il ne voyait pas trop. La présence des gardiens ne l’avait jamais empêché de faire quoi que ce soit. Bien sûr, il avait la qualité de ne pas avoir des envies exagérées de fin du monde, ce qui l’éloignait des ennemis numéro un de la fratrie, mais rien de ce que cette femme disait ne lui apportait quoi que ce soit.
Et puis, si elle croyait lui apprendre quelque chose, elle s’était hélas plantée. Après sa rencontre inopinée avec les frères Cooper à Halloween, Ragnar avait fait sa petite enquête. Ils étaient en ville depuis quelques mois et tenaient un bar à démons dans le centre-ville, bien planqué à l’abri des oreilles indiscrètes. S’il ne savait pas ce qu’ils faisaient spécifiquement dans le coin, il s’en fichait pas mal. Chacun de son côté, c’était le deal. Et quoi qu’on en pense, le viking était un homme de parole.
… À moins que la donne ne change, mais pour l’instant les arguments de la brune étaient trop plats pour jeter ce marché à la poubelle.

« S’attaquer aux gardiens, ce n’est pas une mince affaire. Il faut de bonnes raisons pour prendre le risque de se les mettre à dos. »

Peur?
Elle pouvait penser ce qu’elle voulait. Il s’agissait surtout d’un sens aigu de la préservation. Après avoir vécu tant de siècles, on apprenait à choisir ses batailles et puis, on ne pouvait pas vivre si longtemps en fonçant tête baissée sur tout et n’importe quoi.

Son casse-croûte, il l’avait déjà à moitié oublié. Ce n’était pas comme s’il avait particulièrement faim. À son âge, il pouvait passer de nombreux jours sans se nourrir et très bien se porter.  
 

Evidemment, il fallait y penser et elle l’avait fait… ce petit plan n’allait pas autant l’emballer qu’elle sur le début. Après tout, il n’avait aucun problème avec l’avorton des Cooper contrairement à elle. Disons que s’ils ne s’envoyaient pas des mots doux, il n’y avait pas d’animosité particulière entre eux. Avec un peu plus de temps, elle aurait pu trouver le moyen de lui faire partager ses sentiments à l’encontre des Cooper. Mais du temps pour de la manipulation de génie, elle n’en n’avait pas… contrairement au génie bien sûr. Niveau moyens, elle ne manquait pas de grand-chose. La méfiance faisait cependant qu’elle ne pouvait pas se permettre d’avoir Zachariah dans les pattes. Pour l’aîné, elle était à peu près sûre de pouvoir l’avoir sur le long terme, sa partie démon l’intéresserait probablement plus que de son vivant.

« Hum…. »

C’est tout ? Si elle se permettait trop d’attitude et pas assez de paroles, Charlotte irait retrouver le caveau familial. Un peu de considération, même si elle pouvait toujours trouver un autre corps, elle aimait bien celui-ci, tout comme Philip. Et puis, le pouvoir qu’elle retrouvait avait également son charme.

« Excuse moi, dans mon exposé, j’ai du oublier de mentionner que j’étais une puissante sorcière. »

Puissante ? Le moment n’était pas à la modestie et de toute manière elle ne l’affectionnait pas réellement. Elle préférait le réalisme au sujet de ses compétences.
Bref, ce n’était peut être pas la première fois qu’il rencontrait une sorcière et il était tout à faire normal, et salvateur, d’ajouter quelques petits détails :

« Disons qu’un Cooper en moins pourrait apporter un peu plus d’éclairage à l’endroit si tu vois ce que je veux dire. Le soleil, ça te manque pas ? »

Vraiment ? Elle pouvait faire ça ? Ou c’était une pathétique tentative de bluff ?
Voyons, il n’y avait rien qu’elle ne puisse faire ! Tout était une question de moyens. Après tout, bientôt, elle serait bien immortelle, alors pourquoi pas un peu de bronzette pour un vampire hein ?
Elle avait le bon bouquin, ou Marlene l’avait, ce n’était qu’une question de temps avant qu’elle ne remette la main dessus. Et au pire, elle pourrait toujours cuisiner la vieille à sa manière. Elle expérimentait le côté obscur, mais elle ne se faisait pas de soucis, elle se sentait plutôt à l’aise dans le domaine, on l’avait juste coupé dans sa lancée.

« Mais tu préfères peut être autre chose. Un château en Espagne ? Une nouvelle salle de bain ? Un loup-garou domestique ? Ou un gardien domestique, j’y ai jamais trop pensé, mais l’hypnose c’est pas si compliqué que ça quand on est une Andrews. »

Elle n’en faisait pas un peu trop ?
Non, quand on avait plus de scrupules, les limites changeaient un peu, les conséquences n’étaient plus les mêmes ou ne nous effrayaient pas autant.
Mais bon, il fallait un peu de documentation, quelques ingrédients assez rares, du potentiel et aussi un peu tâtonnage. Bref, elle n’était pas là pour faire une liste, mais pour convaincre un vampire assez vieux et assez puissant de devenir un allié en échange de quelques services.

« Après, si ça ne t’intéresse pas, j’peux comprendre. Mais tu sais le problème avec les gardiens, c’est qu’on sait jamais quand ils vont arrêter de vous laisser tranquilles. La coexistence, c’est un concept qui leur échappe un peu. »

Un peu trop vite, dans son cas.

Il était sur le point de la chasser du revers de la main. Cette femme avait peut-être un don pour la mise en scène, mais elle ne lui apportait rien de mieux que tous les autres qui avaient réussi à venir exposer leurs idées devant lui.
Qu’elle soit une sorcière ne changerait rien à son désintéressement croissant. Elle avait une certaine attitude qu’il pouvait qualifié d’agréable, mais en l’absence de gains, une alliance avec elle n’était pas dans son intérêt. Il la débarrassait d’un gardien, se retrouvait assurément avec le second sur le dos et puis quoi? Il ne savait pas en quoi cette fille avait besoin de la disparation de l’un d’entre eux en particulier et ne voulait pas le savoir non plus.

Jusqu’à ce qu’elle mentionne la lumière.
Au début, il n’était pas certain qu’elle parlait réellement de ça. C’était impossible. Purement et simplement impossible, autrement, il aurait su. En mille ans, il aurait su qu’il y avait un moyen de survivre à la lumière du soleil.
Et s’il y avait une chose que le viking détestait, c’était d’être pris pour un con.

« Me fait pas marcher petite fille. S’il y avait un moyen, je le saurais. »

Son ton neutre, l’absence d’émotion sur son visage, c’était plus efficace que s’il s’était levé pour gronder avec colère. Aussi placide qu’un étang sans le moindre remous, il donnait l’impression d’être un cobra. Attentif, prêt à bondir à la gorge dès l’instant qu’il désirait et lorsque ça se produirait, il ne laisserait pas une nanoseconde de réaction.

Que ce soit vrai ou faux, toutefois, la jeune femme avait réussi son coup. Elle avait recapté l’attention complète du vampire ainsi que sa curiosité. Quel homme de son espèce ne désirait pas être capable de survivre au jour? Depuis mille ans, il vivait dans les ténèbres, contraint de se soustraire à la lumière, de lui plier le genou par faiblesse.
Le seul adversaire qu’il n’avait jamais combattu, auquel il s’était résigné depuis mille ans, le soleil. Et cette femme venait ici aujourd’hui en prétendant avoir le remède miracle contre cet épineux problème?
S’il était partagé entre l’idée d’en entendre davantage et jeter cette idiote dehors après lui avoir appris ce qu’il en coutait de venir lui vendre impunément des salades, le vampire se contenta de la fixer de ses yeux aussi froids et perçants qu’un glacier.   
 

Voilà. Enfin, elle avait su gagner son intérêt ! On voulait bien l'accorder, elle ne s'était pas trop mouillée en amenant la lumière sur le tapis. Oui, elle aurait pu le faire dès le début mais ça n'aurait pas eu le même effet. Il fallait croire au pouvoir de la conversation bien menée.
Qu'un vampire ne s'intéresse pas un minimum à une après-midi bronzette au bord de la piscine aurait été assez étonnant. Mais, après tout, il y avait des idiots partout et ceux-ci auraient peut être préféré la richesse ou une chose moins bien utile.
Perte de temps de parler de la basse populace, Ragnar était de la catégorie du dessus. Et malgré son regard froid, malgré son air de dire qu'elle ne ferait pas long feu si elle s'amusait tout simplement sans réelles capacités, Emily avait sourit, son arrogance confiante non masquée :

« Il faut croire que non. Mais ça, c'est probablement parce que tu n'as jamais croisé ma route. »

Pour un immortel, croiser une existence mortelle relevait davantage du hasard que pour les autres. Mais, dans son cas, c'était la deuxième vie. Vu qu'il ignorait cet élèment, il était inutile de l'aborder.
En revanche, ce qui pouvait davantage gagner sa confiance était un brin de vantardise justifiée.

« Niveau sorcellerie, je ne joue pas dans la Cour des amateurs. D'accord, la plupart des membres de ma famille se sont révélés antipathiques, particulièrement les derniers, mais... disons que les Andrews sont assez reconnus dans le milieu. »

Mais, évidemment, elle était la plus douée, c'était indiscutable. Abandonnant son mur, elle s'était finalement rapprochée du vampire. Elle le savait, ce n'était pas un jouet pour les petites filles mais elle avait quitté les jupes de sa mère depuis bien longtemps. Et puis, il fallait savoir prendre des risques extrêmes quand on désirait quelque chose. Relevant les yeux vers lui alors qu'elle se trouvait à quelques pas de distance, elle l'avait fixé quelques secondes avec un sourire charmeur avant de terminer ses arguments :

« Un bouquin, c'est tout ce qu'il me manque pour illuminer un peu ta déco. Mais si ça peut te rassurer, je sais déjà qui torturer pour ça... j'ajoute que c'est mon problème, j'en ai doublement besoin et je peux me débrouiller comme une grande fille pour cette partie là. Si ma proposition te paraît correcte, je peux également t'aider avec la partie petit merdeux. Mais, honnêtement, sans vouloir te flatter, je pense que cette partie là est gagnée d'avance. Alors ? Est-ce qu'on a un marché ? »

Au risque de la perdre, elle lui avait tendu sa main.
Et si malgré tout il refusait ? Ce serait plus compliqué... surtout si sa manière de refuser était de tuer Charlotte.

Son attention était définitivement accrochée mais encore fallait-il que la jeune femme soit en mesure de la garder de façon positive. Si elle se fichait de lui de quelque manière, il lui faudrait apprendre à vivre dans une autre dimension pour échapper à Ragnar et la loi du talion. Ceux qui s’étaient joués du viking n’étaient jamais restés en vie suffisamment longtemps pour pouvoir s’en vanter.
Un point pour elle toutefois, elle avait l’air d’être de ces gens déjà au courant de cette particularité du grand blond.

Si Andrews était un nom qu’il avait jadis connu, ces derniers années avaient eu tendance à l’effacer doucement de la mémoire commune. Il n’en valait qu’à la sienne, qui était excellente, pour s’en souvenir encore. Cette grande famille de sorciers était lentement tombée dans l’oubli pour une raison qui lui échappait et qui ne l’intéressait pas de toute façon.
Cette fille pouvait lui donner la liberté de se promener sous le soleil, très bien, encore fallait-il qu’elle le prouve. Le vieux vampire n’était pas du genre à foncer tête baissée dans une fable.

« Très bien. Je veux voir le bouquin, après on pourra discuter de ton petit merdeux comme tu l’appelles. »

Il allait briser un accord plus qu’avantageux s’il se prenait à l’un des gardiens, mais pour le soleil il était prêt à aller jusque-là. Disons seulement qu’arriver à éliminer un gardien signifiait qu’on pouvait faire pareil avec le second.
Personne n’était réellement éternel, qu’il s’agisse d’eux ou de lui. Le concept de temps était seulement différent pour certains, voilà tout.

Fidèle à lui-même, il n’avait pas bougé un cheveu à la main tendue qu’il se contenta de regarder de manière froide et détachée. Il évitait les contacts en général, à moins qu’il soit question de repas ou de Victoria qui avait un passe-droit sur à peu près tout avec lui. Et puis, il ne considérait pas cette sorcière avec suffisamment de respect pour ça de toute manière. Peut-être, lorsqu’il serait en mesure de marcher sous le soleil et encore… qu’elle n’espère pas trop.

Sur ce, on pouvait dire que l’entretient était terminé. Le vampire ne se préoccupa plus du tout de sa visiteuse impromptue, ramenant son attention sur son petit encas larmoyant silencieusement.
Si la brune était aussi intelligente qu’elle prétendait, elle prendrait congé et retournerait d’où elle était venue pour lui ramener ce fameux bouquin.    
 

L’alliance était intéressante, des deux côtés selon elle. Il pourrait bronzer en toute liberté. Torturer, tuer, saccager à la lumière du soleil autant qu’il le voudrait. Et elle serait débarrassée de celui qu’elle accusait d’être responsable principalement de sa précédente mort. Certes, il n’avait pas eu la faucheuse en main, mais c’était tout comme non ? Et puis, elle rendrait également service à Philip qui ne tarderait pas à se rendre compte qu’il était bien mieux avec elle seule plutôt qu’avec son petit frère. Il ouvrirait les yeux, il ne pouvait pas en être autrement.
Ajoutons à ça qu’elle gagnait également le plaisir d’une revanche, autant contre le cadet que contre l’aîné, et ils pourraient se dire quittes. Une vie contre une autre en somme, même si elle comptait bien que le plus jeune des gardiens ne l’imite pas en s’offrant une deuxième vie.

Elle n’avait pas semblé se montrer étonnée de sa réponse. Bien normal qu’elle ne le voit pas comme quelqu’un qui croyait simplement ce qu’on lui disait sans demander aucune garantie. Davantage normal quand ils ne négociaient pas qui inviterait l’autre au restaurant.
Reculant sa main qui n’avait pas trouvé preneur, elle avait sourit en guise de première réponse. Visiblement, il n’était pas du genre pro-contacts, « l’entente cordiale » se contenterait donc de distance.

« ça me semble juste. J’ai quelques suppositions alors je ne devrai pas mettre trop de temps avant de revenir. »

Sur ce, il s’était désintéressé et elle avait regardé la sortie. Dans leur cas, ce ne serait pas rude de perdre du temps à faire connaissance. Le temps, elle n’en n’avait pas. Plus vite elle serait débarrassée de Zachariah, mieux ce serait. Aussi, sans rien ajouter d’autre, elle avait pris congés d’un simple signe de tête… la nouvelle révérence de l’époque.
Si elle voulait l’immortalité, et si elle la voulait sans Zachariah, il lui fallait à tout prix ce bouquin. Et maintenant qu’elle avait mis la maison Andrews sans dessus dessous, il ne restait plus que Marlene comme piste… ou quelqu’un qui connaissait sa famille. Il y avait peut être quelqu'un d'autre tout compte fait....