Un premier rendez-vous, ça avait toujours quelque chose d'aussi angoissant qu'agréable. On passait sa journée, voir les journées d'avant, à choisir la tenue correcte avec le bon maquillage et les bons accessoires. On se demandait toujours si au final, on aurait pas mieux fait de proposer un ciné plutôt qu'un resto pour fuir un peu les silences qu'il y aurait sans doute entre deux sujets de conversation. On en venait toujours à la question robe sexy mais un peu trop entreprenante, ou pantalon qui ne montrait peut être pas tant d'intérêt. Et puis, pour la dixième fois, on se demandait si on allait lui plaire ou s'il n'avait pas proposé ce rendez-vous sans réellement en avoir envie.
Les yeux fixés sur son lit, à étudier les accessoires éparpillés, on aurait pu tout à fait se dire que Micah se posait les questions habituelles qui allaient sur le thème de la première sortie avec un homme. Mais il suffisait de regarder ce qui était étalé sur le lit pour comprendre que le choix de la veste n'avait pas vraiment d'importance pour elle. Des pieux, quelques crucifix, une épée, ce genre de choses... ah ses parents seraient bien inquiets de savoir qu'elle sortait avec un homme qui appréciait ces choses là non ?
Mouais, soit ses parents n'en n'auraient rien à foutre, soit ils approuveraient. A vrai dire, toute cette normalité d'une première sortie ne lui avait même pas effleuré l'esprit. Ce soir n'était pas exactement un soir qu'une jeune fille de son âge connaîtrait, du moins elle l'espérait pour elle. Dans sa définition la plus fidèle, cette soirée ne s'approchait en rien d'un rencard. Non, on voyait plus ça comme une petite virée élimination de vampires entre chasseurs.

Fourrant quelques crucifix de plus dans un sac, elle avait rangé les pieux dans une malle en dessous de son lit, jugeant qu'elle en amenait assez pour la "basse populace" qu'ils pourraient croiser au repaire. Le point positif était qu'ils avaient réduit un peu la population du coin lors de leur rencontre. Le point négatif était un géant blond. Celui-là, même pour elle qui était destinée à éliminer du vampire, ce ne serait pas une mince affaire. Tellement pas une mince affaire que faire équipe était presque venue naturellement. Il faut dire que son partenaire du soir lui avait tapé dans l'oeil si on pouvait parler de cette manière sans retomber dans le registre amoureux.
Pas très bavard, franchement pas social, doué de ses poings et visiblement assez omnibulé dans son métier pour remettre ça quelques soirs seulement après être sorti d'un garde-manger pour vampires. L'homme parfait en somme !
Ce soir, elle aurait pu faire équipe avec Morgan, chasseur recommandé par Philip, mais les choses s'étaient faites autrement et son équipier s'était imposé naturellement. Cade et elle avaient plutôt bien accroché autour d'un verre après la bataille, et même pendant la bataille. Elle ne s'était même pas posée la question de celui avec lequel elle ferait équipe pour un round 2. Un psy aurait peut être analysé la chose en parlant de leurs quelques points communs qui faisaient qu'ils se sentaient naturellement à l'aise mais nous passerons sur le long sujet qu'était ces deux là.

Refermant son sac après y avoir rangé son épée, elle avait pris un second sac déjà chargé au sol avant de quitter sa chambre.
Le hasard voulait qu'elle n'avait que quelques pas à faire pour retrouver Cade. De tous les motels de la Nouvelle-Orléans, ils avaient choisit, sans se concerter, le même : en bord de route, pourri et qui avait probablement déjà vu du sang. Feeling de hunter comme on dit !
S'appuyant contre le mur près de la chambre de son partenaire, elle avait frappé trois coups rapides à la porte. Après quelques pas derrière, l'homme avait ouvert et elle l'avait salué d'un :

« Hey. Je sais que normalement c'est au mec de faire ça mais j'tai amené des fleurs. »

D'un haussement d'épaule, elle avait désigné le sac qu'elle portait sur celle-ci.
Quoi ? Les chasseurs aussi savaient plaisanter. D'accord, si on entrait dans une conversation concernant la dernière émission de télé réalité à la mode, il y avait peu de chances pour que la brune ne suive.
Entrant finalement dans la chambre, elle avait posé ses sacs sur le sol avant d'ajouter :

« T'as récupéré ? »

Comment Micah ? Une question sur la santé ? Quel progrès ! Et après Philip oserait lui dire qu'elle n'avait pas changé un peu en bien !
Ouais... et il lui dirait aussi qu'il était normal de ne pas emmener un blessé en mission et donc de poser la question sur l'état physique.

Le confort d’un bon lit douillet. Cade avait presque oublié à quel point cela pouvait être délicieux et pourtant, après avoir appris la date du jour, il n’avait été captif que six jours en tout et partout. Mais six jours étaient suffisant pour se faire torturer, manquer cruellement de sommeil et se retrouver affamé comment jamais il ne l’avait été de toute sa vie.
Après s’être empiffré comme jamais dans un bar, que ce soit en bouffe ou en alcool, en compagnie de la gamine prénommée Micah, Cade avait dormi un bon quatorze heures d’affilées, ayant sombré dans le sommeil profond tout juste la tête posée sur l’oreiller.
Maintenant, il était frais et dispo pour la bataille, même si certaines parties de son corps étaient encore douloureuses en raison des jeux auxquels la rouquine complètement folle s’était adonnée avec lui.

Cette bataille, ils avaient passé tout le temps dans ce bar à en parler. Cette fille, Micah, la Tueuse et non la moindre, et lui fonctionnaient bien en équipe. Il aurait fallu être aveugle lors de leur fuite improvisée pour ne pas le remarquer. Et ils avaient décidé de retourner dans l’antre du géant blond et ses sbires pour finir ce qu’ils avaient commencé.
Rien que tous les deux ? Vu la difficulté que posait l’énorme nordique, ce n’était pas un peu cinglé d’y retourner sans plus de renfort ? Sûrement, oui, mais l’un comme l’autre avaient déduits qu’ils n’aimaient pas laisser un boulot non terminé derrière eux. Et puis, Cade ne visait pas vraiment le gigantor  dans sa ligne de mire si vous voulez tout savoir. Son dévolu meurtrier était principalement dirigé vers une certaine rousse.

Puisque Micah et lui séjournaient de manière hasardeuse dans le même motel pourri, il avait été convenu qu’elle passe par sa chambre à l’aube lorsqu’elle serait parée.
Attaquer en plein jour avait été la tactique la plus raisonnable et qui leur donnait un avantage certain. Si les choses se gâtaient trop, ils pourraient toujours s’arranger pour se carapater dehors autant que possible et ils seraient ainsi automatiquement saufs.
Et lorsque la miss frappa à sa porte, que le chasseur eut ouvert et qu’elle lui fit son petit commentaire d’introduction, Cade arqua un sourcil en cherchant de quoi elle parlait puisqu’elle n’avait pas de fleurs.
La fraction de seconde suivante, lorsqu’il eut compris, l’homme eut un vague sourire en coin tandis qu’il refermait la porte derrière Micah.

« Trop d’attention, t’aurais pas dû. »

Se dirigeant lui-même vers le matelas où il avait étalé son arsenal, il entreprit de fourrer le plus d’armes possibles dans un sac à son tour.

« Ouais ça va. J’pète pas la forme, mais ça f’ra l’affaire. »

Il le fallait. Parce qu’il fallait leur tomber sur le poil avant l’inverse pour un effet de surprise réussi. Autrement, vu la supériorité numérique des suceurs de sang, ils étaient foutus.

« Qu'est-ce que tu veux, j'aime bien faire les choses en grand dès le premier rendez-vous. »

L'idée d'amener ce genre de "fleurs" à un premier rendez-vous pouvait être amusante, il serait toutefois bon de s'abstenir dans un cadre plus normal. De même qu'il était bon d'éviter les cimetières ou repaires de vampires avec son accompagnateur quand celui-ci n'avait jamais tenu un pieu autre qu'un crayon à papier dans sa vie. Mais puisqu'on imaginait difficilement Micah être l'accoutumée des gentilles sorties au cinéma ou au restaurant, éloignons le sujet.
D'un bref coup d'oeil, elle avait évalué les propres fleurs de Cade. A eux deux, ils avaient de quoi constituer un bouquet largement suffisant. Le reste se ferait sur l'attention, la ruse, la force et un brin de chance aussi sans doute. Même si dans le cas d'un vampire tel que Ragnar, le hasard n'avait pas trop sa place. Elle n'allait toutefois pas perdre son temps à évaluer le pourcentage de chances qu'ils avaient de revenir en vie tous les deux.
C'était sa mission.
Dans son cas à lui, ça semblait être davantage qu'un simple boulot de nuit.
L'un comme l'autre connaissait les risques, les évaluer tout haut n'amènerait rien de bon.

Hochant simplement la tête à sa réponse, elle avait attendu qu'il termine de rassembler quelques armes supplémentaires, rien ne serait de trop.
Une personne plus humaine, plus sociable aurait pris la peine de lui conseiller de rester au lit quelques jours de plus. Pas Micah. Elle l'avait vu dans ses yeux de toute manière, il viendrait. Elle n'était pas là pour lui demander sa couleur préférée ou les raisons de sa motivation dans le domaine de la chasse, mais elle était assez observatrice pour reconnaître une sorte de détermination dans le regard du chasseur.
C'est vrai, intérieurement elle avait pensé qu'elle faisait seule, et qu'elle ferait toujours seule. Mais ce soir, il y avait une exception à faire et elle n'en donnerait pas les raisons parce qu'elle n'en voyait pas l'utilité. ça c'était fait autour d'un verre, naturellement, et elle n'avait pas cherché à discuter.
Peu de temps après, ils étaient tous les deux prêts à réduire la population vampirique du coin et Micah ouvrait la porte après un échange de regard avec son partenaire.

Sans chercher des heures le moyen de faire le trajet, il avait semblé logique qu'ils ne prennent qu'un véhicule étant donné qu'ils avaient la même destination à l'aller comme au retour, si toutefois retour il y avait. Ils s'étaient donc retrouvés dans le pick-up de Cade et Micah avait profité du trajet pour sortir de son sac arbalète et pieu qu'elle avait chargé.
Il n'y aurait pas de comité d'accueil à l'extérieur, et elle espérait que leur visite récente ait sérieusement abaissé la curiosité, mais ils ne pouvait être tout à fait certain d'avoir le droit à l'effet de surprise. On ne s'attendrait peut être pas à les voir revenir de si tôt, mais Ragnar n'était pas exactement une vieille connaissance dont elle pouvait prédire les réactions.

« Si jamais tu sens que ça va pas une fois là-bas, fais demi-tour. »

Le tact envers la fierté et la force masculine, elle n'était pas trop connaisseuse dans le domaine.
Ce serait sans doute mieux formulé façon protectrice plutôt qu'autoritaire en insinuant qu'elle préférait qu'ils rentrent tous les deux ou quelque chose dans ce goût là, mais, même avec quelques efforts, ça ne donnait jamais grand chose de bien dans sa bouche.

En moins de temps qu’il ne le fallait pour le dire, ils se trouvaient à bord du vieux pick-up de Cade pour rouler en direction du nid de vampires dans lequel se cachait une certaine rousse.
Son visage respirant l’innocence, cet air candide du quel on ne soupçonnerait jamais le moindre mal, elle lui rappelait un peu trop cette vampire au physique d’adolescente qui avait signifié la fin de sa vie. Un transfert inutile, puisqu’il avait déjà d’excellentes raisons de vouloir offrir la grande mort à Victoria, mais à défaut d’avoir sous la main cette vampire responsable du massacre de sa famille, il ne lui faisait que plaisir de s’acharner un peu plus sur le compte de son bourreau. En espérant pouvoir l’atteindre, car la petite protégée du géant était, comme l’indique son statue, bien protégée. Mais le plus dur ne serait pas ça, non, le plus dur serait de décider de ce qu’il allait lui faire subir en premier. Six jours de captivité, c’est très long, et il n’avait que ça à faire, imaginer comment il lui ferait payer…

« Ça ira. »

Il n’avait pas vraiment écouté ce que Micah avait dit, mais au ton, ça avait sonné comme une mise en garde, voir même, de l’inquiétude. Ses muscles lui tiraient encore et c’était sans compter les plaies qui cicatrisaient à pas de tortue comparé à la vitesse de récupération de la tueuse, mais le Cade était une espèce têtue et un peu trop déterminée pour son propre bien. En forme ou pas, suffisamment fort ou pas, seul ou pas, il allait entrer dans ce nid de vampires et en tuer autant qu’il en était capable.
Ça avait tout de l’état d’esprit du kamikaze classique, mais ce n’était pas très changeant de d’habitude. Micah ne le connaissait pas, mais si elle l’avait rencontré plus tôt, elle aurait rapidement compris qu’être suicidaire était l’état d’esprit quotidien du chasseur. Cette vengeance qui brûlait en lui depuis six ans ne se terminerait que d’une manière et c’était les pieds devant.
Aujourd’hui ou demain, quelle était la différence?

Le silence emplit l’habitacle pour le reste du trajet, mais pour Cade il ne s’agissait pas d’inconfort. Juste du calme nécessaire à la concentration avant de passer à la guerre. Il avait suffisamment vu et entendu à propos du blond pour savoir que rien que contre lui, cette vendetta ne serait pas sans risque et pas que des petits.
Il stationna le véhicule à un pâté de maison de l’entrepôt qui servait de refuge aux vampires. C’était les dernières noirceurs avant les premiers rayons de soleil et il n’y avait pas âme qui vive dans la rue. Tant mieux, ils n’avaient même pas besoin d’être discret avec leur attirail de guerriers.
Cade prit son sac à l’arrière une fois descendu du pick-up et se passa la bandoulière en travers du torse. Le poids des pieux, des couteaux et de la hache était réconfortant. Cette fois-ci, il était préparé et n’avait pas les mains vides.

« Qu’est-ce t’en penses, diviser pour mieux régner? »

C’était plus risquer de se séparer, mais attaquer sur deux fronts différents avait plus de chance de semer la confusion chez les chauves-souris.
Et puis, Cade avait déjà son itinéraire tout tracé jusqu’à l’étage de l’entrepôt où se terrait toujours la rousse dans ses quartiers.

Ils n’avaient pas passé le trajet à se rapprocher. « Est-ce que tu as des frères et sœurs ? », « Et sinon de quel coin tu viens ? » n’étaient pas le genre de questions qui avaient été posées dans ce pick-up. A vrai dire, aucune question n’avait été posée. A part cette sorte de mise en garde de Micah et la réponse brève de Cade, seul le son du moteur était venu rythmer le trajet. Ce qui n’avait rien eu de dérangeant pour la demoiselle qui n’avait jamais fait du silence un grand ennemi. Pourtant, s’ils l’avaient voulu, ils auraient trouvé facilement matière à échanger. Le premier pieu taillé ou le premier vampire sur lequel il avait servi, l’histoire de chasse la plus étonnante, il y avait tout un tas de sujets qui auraient pu fonctionner pour faire passer un trajet en voiture.
A l’inverse de Morgan, Cade n’avait pas l’air très bavard. De son côté, elle n’avait pas de grandes compétences dans les conversations mises à part celles qui touchaient son domaine. Et à choisir, avant une chasse de ce genre, le calme était plutôt un excellent ami. Raison pour laquelle elle n’avait pas pris la peine de changer quelque chose de parfaitement confortable à son sens. Elle n’avait d’ailleurs pas jugé le trajet bien long et ils s’étaient vite retrouvés non loin du repère.
Imitant son partenaire, elle avait pris ses affaires, un bon gros sac chargé de cadeaux à la différence près qu’ils étaient plus des Pères Fouettard plutôt que des Pères Noël étant donné le contenu.

« ça me va, j’adhère complètement. »

Ah oui ? Certains diraient pourtant que dans ce genre de situation, comme dans les films d’horreur, se séparer était l’idée la plus stupide au monde. A ceci près qu’elle n’avait rien d’une blonde écervelée et qu’il n’était pas non plus le junkie complètement à l’ouest ou le black qui rejoignait toujours le premier le rang des victimes dans ce genre de films. Genre de films dont elle ne connaissait rien probablement.
Bref, en considérant bien les éléments, elle trouvait le plan assez judicieux. Si elle avait plus que l’habitude de faire seule, il ne faisait aucun doute qu’il n’était pas le genre non plus à faire avec un chaperon de toute manière. Il y avait les pour et les contre de toute manière et elle choisissait d’adhérer à la première catégorie. Valait mieux ne pas regrouper la « bouffe » qu’ils représentaient au même endroit, et attirer ceux qu’ils pourraient alarmer en deux points différents.
Mais si elle avait été du genre à faire avec un partenaire, la pensée qui l’aurait traversé sur le moment aurait été : où était-il tout ce temps ?
Quelques minutes plus tard, ils se retrouvaient face à l’entrepôt et elle lui adressait un signe de tête :

« Amuse toi bien. »

Un demi-sourire plus tard, et elle lui tournait le dos pour s’éloigner. Elle aurait pu lui conseiller de faire attention à lui, ou aurait peut-être dû, mais concentration allait avec prudence. Mais on l’avait dit, elle n’était pas une pro dans ce genre de recommandations… ce n’était de toute manière pas ça qui ferait qu’ils sortiraient vivants tous les deux de façon certaine.
Quelques secondes plus tard, elle se trouvait face à son entrée, pieu en main et appuyait doucement de l’autre sur la poignée. Du pied, elle avait ouvert la porte avec prudence avant d’entrer dans le bâtiment. Aube ou pas, il aurait été bien surprenant de trouver une porte non gardée étant donné l’identité de celui qu’ils venaient visiter. Celui-là semblait un peu idiot, à la dévisager d’un air d’incompréhension pas qu’un brin benêt :

« Salut, je suis venue l’autre soir, j’ai oublié un de mes bouts de bois. Bon, j’en ai d’autres, mais j’y tiens pas mal. Il est à peu près grand comme ça et... »

Il était étonnant qu’il lui laisse en placer autant avant de grogner et de s’avancer d’un air menaçant vers elle et de se décider à se montrer plus agressif en engageant le combat. Parant quelques coups, principe fondamental pour se saluer entre eux, elle avait fini par lui planter le cœur pour lui apporter le repos éternel :

« Hum… j’imagine que je vais devoir me débrouiller toute seule… pas de soucis, je connais la maison. »

Le bagou, c’est vrai qu’elle en manquait moins quand elle était sur son terrain. Si on ne pouvait pas prendre un peu de plaisir au boulot en même temps !

Se séparer était l’idée la plus débile jamais eue dans l’histoire des mauvaises idées, cela va de soi, mais Cade n’était pas ce que qu’on pouvait appeler un joueur d’équipe et, à la réponse de sa collaboratrice, elle était du même genre que lui. C’était préférable ainsi, ils n’avaient pas à se surveiller mutuellement les fesses, ce que le chasseur avait toujours considéré comme une distraction.
D’un autre côté, vrai qu’ils perdaient sacrément l’avantage du nombre, mais si cette sécurité pouvait les empêcher de foncer tête baissée, ce serait fait même en restant ensemble pour la bataille.
De toute manière, vivre ou mourir, Cade s’en fichait, tant qu’il pouvait amener Victoria avec lui. Ce n’était pas la bonne fille, certes, mais elle lui rappelait trop celle qui avait massacré sa famille sous yeux pour la laisser filer si facilement.

« J’y compte bien. »

Pas de fait attention ? Ou de on se voit plus tard ? Inutile. Ils se reverraient s’ils avaient à se revoir et pour ce qui était de la prudence… les gens prudents se lançaient rarement dans leur sphère d’activités.
Il avait tout de même regardé s’éloigner la jeune femme quelques secondes avant de partir dans la direction opposée pour se trouver une entrée.
Il repéra un escalier de secours longtemps une façade de l’entrepôt et eut l’ébauche d’un sourire satisfait. Il savait plus ou moins où se trouvaient les quartiers de la rousse et passer l’antre de la bête en hauteur ne ferait qu’accélérer le processus pour se rendre jusqu’à sa tortionnaire.

Grimpant sur une beine à ordure pour atteindre l’échelle, Cade sauta la distance restante sans trop de mal et due se hisser uniquement avec les bras sur quelques mètres avant d’avoir un appui pour les pieds, puis il démarra son ascension.
Avant d’atteindre le toit, il s’engouffra dans une fenêtre peinte d’une épaisse substance noire – pour éviter les rayons du soleil de pénétrer durant la journée – après l’avoir ouverte.
Un vampire se tenait à quelques mètres à peine, l’expression interloquée. Il ne devait pas s’attendre à avoir de la visite et encore moins de la visite qui entrait par les fenêtres des escaliers de secours.
S’emparant du pieu glissé dans sa poche arrière, Cade lança l’arme en bois avec suffisamment de précision pour atteindre le cœur avant que le vampire n’ait le temps d’alerter ses compatriotes morts-vivants. Sa victime tomba en un petit tas de poussière où le chasseur n’eut plus qu’à ramasser son pieu et poursuivre son chemin.
Il n’avait qu’un objectif en tête et cette détermination se lisait parfaitement bien dans ses yeux bleus encore plus froids qu’un glacié.

Il ne lui fallu que quelques minutes pour atteindre la porte désirée. En chemin, il n’avait croisé que peu de résistance. C’était bien pour ça qu’il avait choisi d’entrer par la voie des airs. Peu de vampires se promenaient à l’étage et encore moins à l’aube. Pour eux, c’était l’heure d’aller au lit !
Déterminé, mâchoire serrée, Cade prit la hache dans son sac et tourna lentement la poignée. S’il avait du bol, Victoria serait seule ou accompagnée d’un idiot. Sinon, le colosse blond y serait et en quelques secondes à peine, le chasseur serait de l’histoire ancienne…

Gauche ou droite. Droit devant ou rebrousser chemin pour en emprunter un nouveau, elle n'en n'avait aucune idée. Si l'humour typique de chasseur lui ferait bien dire que Ragnar n'avait pas du élire domicile en plein Sud pour profiter de la chaleur du soleil, elle doutait très fortement qu'on y pense quand on élisait domicile dans ce genre d'endroits.
Silencieuse, elle avait fait son chemin un peu au hasard, ne possédant pas de plan de bâtiment ou d'un ami architecte pour lui dire le meilleur endroit à occuper pour un big boss. Si quelqu'un voulait connaître le fond de sa pensée à l'heure actuelle, c'était qu'elle finirait bien par tomber sur quelques vampires avec lesquels exercer son métier. Et pour le grand blond dont elle avait fait la connaissance l'autre soir, il y avait de fortes chances qu'ils se revoient s'il n'avait pas découché. Oui, ce serait absolument scandaleux, parfaitement impoli, s'il ne prenait pas la peine de sortir de son lit alors qu'elle était venue tout spécialement pour lui !
Mouais... il était peut être temps qu'elle rencontre quelqu'un pour qu'il puisse lui faire une petite thérapie. Même si c'était un amateur, il ne serait jamais vain de faire une légère analyse.
Toute personne sensée ne serait pas revenue ici ce soir après avoir vu ce dont le géant était capable. Et elle n'espérerait pas plus tomber dessus en plaisantant intérieurement.

Tout ça. Le bout de bois dans la main. L'endroit parfait pour le film d'horreur. Le vampire mal fringué qui aurait pu la bouffer. C'était son domaine. Son boulot.
Alors elle avait peut être la compétence sociale d'un hamster, et encore c'était mignon, mais au moins elle trouvait le moyen de passer le temps.
Bref. L'heure était parfaite. Le jour l'était encore plus. Ne pas avoir attendu, c'était définitivement une excellente idée après leur petite visite de l'autre soir. En plus du vampire de l'entrée, elle avait présenté ses respects à un deuxième qui n'avait pas eu le temps de réaliser ce qui lui était arrivé en se retournant et était en train de le faire avec un troisième qui venait de défoncer une porte après un vol plané. D'accord, niveau discrétion, on repasserait. Mais essayez donc de jouer à fight club avec des vampires et on verrait bien s'il était possible de le faire façon film muet. Quoiqu'il en soit, le mordeur avait eu du flair, et un répit pour sa vie quand les yeux de Micah s'étaient posés sur la personne de ses désirs... façon de parler :

« Debout chéri, le soleil est levé ! »

Sourire n'était définitivement pas l'attitude à adopter. Mais une tueuse sans assurance ne faisait jamais long feu. Alors oui, elle avait conscience qu'elle ne venait pas troubler le coucher de n'importe qui. Mais non, elle ne comptait pas lui demander d'être sympa et de bien vouloir se battre avec une seule main.
Et tandis que le portier hésitait entre prendre la fuite, ou aider là où il serait manifestement inutile, Micah tirait son arbalète de son sac avant de le laisser tomber sur le sol :

« J'tai manqué ? J'tai apporté un cadeau ! »

S'il y avait une autre chose que Cade et elle partageaient, c'était bien leur inconsidération totale pour leur vie.
Chargeant son arbalète d'un pieu, elle avait tiré sa salutation en direction du blond.

Ragnar n’était pas furieux. Non, à son âge, on apprenait à canaliser les émotions négatives pour éviter de s’emporter pour un rien. Sauf que voir sa bouffe se faire la malle avec la tueuse comme si les portes de sa maison étaient grandes ouvertes, ce n’était pas rien.
En plus des vampires tués durant l’évasion de son garde-manger, le blond en avait renvoyé deux de plus à l’état de poussière pour exprimer son point de vue. Que cette connerie ne se reproduise plus jamais car, autrement, un homme de main qui ne servait rien allait rejoindre ses camarades plus rapidement qu’il en fallait pour cligner des yeux.
Ce n’était pas une façon de traiter son personnel ? Eh bien, son personnel n’avait qu’à être plus compétent. Le vieux vampire n’était pas du genre clément et il n’attendait rien de moins que l’excellence des gens qui venaient à lui dans l’espoir de faire parti de sa maison.

Pénétrer dans son domaine n’aurait jamais dû se faire aussi facilement, mais voilà ce qu’il en coûtait d’être entouré d’imbéciles. Et voilà qu’il ne tarda pas à découvrir que quelques têtes supplémentaires allaient bientôt tomber.
Ça avait commencé par un bruit infime qui, normalement, serait tombé dans l’oreille d’un sourd si ça n’avait été de ses sens aiguisés par les années. Puis, au fil des minutes qui passaient, cet instinct ne fit que s’affermir. Il avait de la visite, encore.  
Si revoir son personnel était maintenant inévitable vue le manque total de talent au sein de ses hommes, le viking se trouvait néanmoins contenté par la situation actuelle. Elle venait s’offrir à lui sur un plateau.

Un sourire satisfait s’étira au coin droit de ses lèvres. Un autre que lui aurait pu s’horrifier de la présence de la tueuse dans son antre, mais pas lui. Ragnar était en contrôle, toujours, ce n’était pas la tueuse qui allait changer ça. Elle allait mourir, comme ses sœurs avant elle, dans la noble cause du combat entre le bien et le mal. Un seul problème pour cette pauvre élue, le bien ne gagnait jamais. Autrement, les héros ne seraient pas des martyrs, pas vrai ?
Lorsque la porte se défonça sur l’un de ses minables compatriotes qui disparu en poussière avant de retoucher le sol, Ragnar n’eut aucune expression compatissante à son égard ou même vengeresse à celle de la tueuse. Ce vampire ne méritait rien de moins que le sort qu’il venait de connaître en représailles de son incompétence désespérante.

Sans répondre à la répartie de sa Némésis, le géant nordique se contenta d’attraper le pieu au vol, quelques centimètres avant que celui-ci n’atteigne son cœur.
Ne croyez surtout pas qu’il s’agissait d’un coup de chance, car de la chance, c’est à la tueuse qu’il en faudrait pour sortir de ce face à face en vie.

« Bien visé. Mais il va falloir faire mieux que ça. »

Et la laisser venir à lui n’était que pure provocation, mais à son âge, il y avait de quoi être confiant et un poil suffisant, vous ne pensez pas ?

Cette douce musique qui n'était plus écoutée par les masses venait aujourd'hui frôlaient les quatre murs de cet endroit. Allongée sur le sol de sa chambre, Victoria avait le regard perdu dans la contemplation du plafond, bercée par ses notes bien mieux utilisées que de nos jours. Un regard charmé comme si elle voyait quelque chose de plus qu'un simple plafond, elle avait levé une main dans les airs, visiblement dans une tentative de se saisir de quelque chose.
Il y avait plus d'une heure désormais qu'elle ne faisait rien de plus qu'écouter ses compositions préférées en se plongeant dans ses rêves. C'était une journée particulière, peut être un peu triste, mais également une célébration. Quelque part, dans son esprit embrumé par la folie, elle était consciente de ne pas adopter la bonne réaction.

« Tu as vu Julie ? On pourrait presque toucher les étoiles ce matin... Cassiopée danse avec Céphée... Andromède est très jalouse. »

Si pour elle ça avait manifestement un sens, un inculte dans le domaine de la psychologie aurait diagnostiqué la folie à l'aide de ces quelques mots. Détournant les yeux vers les enceintes qui venaient de faire taire Chopin pour laisser à Bach le loisir de s'exprimer, elle avait soupiré avec une certaine tristesse. C'était quand même bien dommage... toutes ces belles choses. Elle en avait connu certains de ces génies comme ils étaient parfois décrits, il lui était arrivé de jouer la muse avec une certaine fierté et prétention. Passionnée par cette musique qui ne l'avait jamais quitté, elle l'avait même adoré de son vivant, il aurait été bien triste que Julie et elle ne l'écoutent pas en ce jour particulier.
Sans énergie, elle s'était assise sur le sol pour poser les yeux sur Julie qui n'avait plus tellement la force de discuter. Enchaînée à la place qu'elle réservait à ses jouets, la jolie blonde avait tâché le sol de son sang... inutile de la gronder, elle avait déjà été bien punie pour cette bêtise.
Déçue par sa dernière acquisition, Victoria avait néanmoins fait l'effort de se lever pour la rejoindre, attrapant au passage une pomme dans la corbeille de fruits. La présentant d'abord à la demoiselle, elle l'avait collé contre la bouche de cette dernière face à son manque de réaction :

« Tu vois Monsieur Howard, Julie n'a pas grand appétit non plus.... »

Contournant Julie pour se retrouver derrière elle, elle avait regardé Cade, qui venait d'ouvrir la porte, avec un léger sourire sur les lèvres. Il n'y avait pourtant pas de quoi s'amuser, il ne venait pas par gentillesse. Les animaux de compagnie n'étaient jamais très reconnaissants qu'on s'occupe d'eux avec amour... c'était triste :

« Je suppose que tu ne connais pas Johann Sebastian, il a pourtant tellement à offrir pour vos pauvres cultures. Est-ce que tu veux du thé ? Julie n'a pas voulu du sien, et sa tasse est propre. »

Un biscuit peut être... affronter cette journée était plus agréable l'estomac rempli.

Prudent malgré tout, Cade avait lentement poussé la porte derrière laquelle il pouvait entendre la musique classique s’élever de façon mélancolique. Cette folle ce trouvait bien là et, si pour une fois il avait de la chance, elle y serait seule.
Qu’elle ne soit même pas surprise de son entrée non annoncée ne le surprenait guère. S’il ne croyait pas à ces trucs-là il avait dû se faire à l’idée en le voyant à l’œuvre. La rousse avait un troisième œil bien aguerri.

« J’t’ai déjà dit que la perspective de mourir donne rarement faim. »

La pauvre fille enchaînée tremblait comme une feuille. Son teint cireux n’avait pas besoin des marques dans son cou pour que le chasseur devine qu’elle avait déjà servie de repas une fois ou deux. Mais se faire prélever du sang n’était pas aussi terrifiant que cette vampire qui passait son temps à vous tourner autour en psalmodiant ses histoires sans queue ni tête. Si celui qui avait cru bon de l’engendrer était effrayant de par sa stature imposante et son regard complètement dénaturé d’humanité, sa petite chose rousse faisait plus froid dans le dos encore. Dû moins pour Cade, l’idée d’être une poupée désarticulée était bien plus angoissante que celle d’être le prochain repas.
Chacun ses perspectives comme on dit.

« J’suis pas venu prendre le thé. »

Elle devait déjà s’en douter avant même qu’il ne passe la porte. Dans le cas le cas contraire, sa hache brandit et son sac débordant d’armes était un sacré bon indice des raisons qui l’avaient poussé à revenir en ce lieu de tortures.

« T’as fait tes adieux à papa j’espère. »

Et si les armes ne suffisaient pas, maintenant, il n’y avait rien de plus clair. Il était venu pour la réduire en poussière, rien de moins et il ne comptait pas rebrousser chemin avant d’avoir réussi ou d’y avoir perdu la vie. Et s’il arrivait à en finir avec elle, il irait retrouver Micah pour faire sa fête à l’autre géant.
Faisant rouler sa hache dans sa main de manière menaçante, il se saisit d’un pieu de l’autre main pour commencer à avancer doucement. Il poussa la porte du talon pour qu’elle se referme. Inutile d’attirer l’attention tant qu’elle ne crierait pas à son sire de venir lui prêter main forte.

« Toi et moi, on a des trucs à régler. »

Pas l’once d’un sentiment ne venait troubler son visage. Si la colère tremblante de la vengeance bouillonnait en lui comme jamais, elle ne transparaissait curieusement pas d’un poil. Il était étrangement en paix, finalement face à son bourreau.  

Qu’il se reçoive le premier pieu lancé directement en plein cœur et se contente de retourner à la poussière aussi simplement que ça, ça aurait été étonnant… voir décevant. Si son boulot devenait aussi simple, même avec les individus de type âgés, elle devrait sans aucun doute se trouver une occupation en dehors histoire d’occuper un peu tout ce temps libre gagné. Et qu’est-ce qu’elle ferait ? Franchement, à part chasser le vampire, le démon, le poilu et autres tout en secourant la veuve et l’orphelin… elle n’avait jamais vraiment réfléchit à d’autres qualifications éventuelles. Elle était bonne à ça, voir née pour ça. En tout cas, elle avait été conditionnée à devenir la tueuse. Si Ragnar avait été aussi simple que ça à tuer, un simple flic aurait pu se charger de faire son boulot à sa place et il aurait fallu se demander ce qu’elle foutait là ce soir, avec Cade occupé à venir à bout d’une certaine rouquine.
Bien consciente d’avoir à faire à bien plus que de la basse populace vampiresque, elle n’avait donc pas lâché un seul soupir de déception, préférant laisser tomber son arbalète qu’elle avait troqué contre son épée fétiche, un sourire sur les lèvres :

« C’est pour ça que j’ai amené ça ! Dis bonjour au grand méchant vampire. »

Est-ce qu’elle venait de parler à son épée ? La réponse était clairement oui. Être tueuse et avoir été élevée pour le devenir donner fatalement un humour un peu étrange. Inutile cependant de nous étaler davantage sur son bagou bien plus présent quand il entrait dans le cadre de ses activités nocturnes, elle était manifestement invitée à faire le premier pas et elle ne comptait pas faire attendre davantage le blondinet. S’il avait sans aucun doute raison de montrer tant de suffisance, elle ne se laisserait pas intimider si facilement et n’attaquerait pas en pensant que sa dernière heure était venue. Elle était morte une fois après tout, elle avait de l’expérience !
Laissant donc de côté les formalités d’usage et autres salutations, elle s’était avancée vers son camarade de jeu. Quelques pas seulement avant que son épée ne fouette l’air dans sa direction. Evidemment, même si l’épée était une amie chère à son cœur, elle n’avait pas supposé avec prétention que le premier coup viendrait à bout d’un vampire aussi âgé. A vrai dire, elle s’attendait à ce que la partie dure un moment avant que l’un ou l’autre ne rende son dernier souffle. Lequel ? Elle n’avait pas encore pris son pari sur ce coup là mais elle espérait franchement que son dernier vampire tué n’était pas le tas de poussière à proximité.
Pour la deuxième fois, ils avaient échangé des coups, esquivé certains et reçu d’autres, et la petite « danse » prenait déjà des goûts de long combat. S’il était comme certains de ses congénères à aimer jouer en prenant son temps, elle espérait néanmoins qu’il n’était pas en train de s’économiser à l’heure actuelle… auquel cas, parier sur elle serait sans conteste un gros risque. Gardons toutefois la positive attitude, l’imagination pouvait parfois faire la différence.

« Intéressant. »

Une épée. À moins de le décapiter, celle-ci ne serait d’aucune utilité. Et pour atteindre son cou, cette enfant allait devoir user de bien plus que la force qui venait d’office avec sa fonction d’héroïne.  
Loin d’être impressionné, bien qu’appréciant cette invitation surprise, Ragnar s’approcha du foyer qui servait à procurer de la chaleur à son corps dépourvu de circulation sanguine. Il n’allait tout de même pas se laisser découper en rondelles sans rien faire, ce ne serait pas amusant dans un tel cas. Et ce ne serait pas amusant non plus de se jeter sur elle et de lui briser la nuque d’une main comme il aurait pu le faire.
La Tueuse méritait un combat. Après tout, c’était dans ce but précis qu’il avait suivi les folles divagations de sa progéniture et était venu s’établir à la Nouvelle Orléans.
Il se saisit du tisonnier, le faisant tourner dans sa main comme s’il s’agissait d’un sabre. Loin, loin dans le temps, il était presque né avec une lame entre les mains et l’âge n’avait qu’affiné ses talents. Les vikings étaient un peuple guerrier avant toute chose et, déjà de son vivant, Ragnar en était un bon. Sûrement ce qui lui avait valu de parcourir les siècles et d’être encore de ce monde.

« Voyons cela alors. »

La bataille débuta. Comme lors de leur précédente rencontre, le vampire se contenta de bloquer les coups de son adversaire en tout premier lieu. Il ne désirait rien précipiter et il était plus plaisant de prendre le temps de jauger son adversaire avant de se permettre de goûter son sang.
Elle se débrouillait bien. Mieux que certaines qui l’avaient précédée dans la Mission. Mais qu’elle soit meilleure ou non, elle finirait comme toutes les autres, morte. Parce que le blond avait vécu suffisamment longtemps pour savoir qu’il n’y avait qu’une chose d’immortelle et c’était le mal.
Lorsqu’elle réussit à le frapper, le géant se fit un peu plus agressif, laissant l’unique parade de côté pour lui jeter quelques attaques lui aussi.
L’odeur du sang venant de sa lèvre fendue lorsqu’il l’eut frappée avec la poigne de son tisonnier en fer lui enivra l’esprit. Il avait soudain l’envie irrésistible d’y goûter. Le sang des tueuses était puissant et il y avait longtemps qu’il ne s’en était pas offert.

Il continua de longues minutes à échanger coup pour coup avec elle, attendant la faille avec patience. Car une faille, il y en avait toujours une et tout vient à point qui sait attendre.
Un sourire contenté se dressa au coin de sa bouche carnassier une fraction de seconde avant qu’il n’entame son geste lorsqu’enfin, la faille vint.
Il pu désarmer la jeune femme, envoyant son épée voler un peu plus loin. Il lâcha le tisonnier au même instant, attrapant le poing qu’elle voulait lui mettre à la figure dans sa large main. Puis, pareil avec la seconde. Il la fit pivoter dans ses bras à une vitesse qui permettait à peine de discerner le mouvement.
Coincée le dos contre son torse, les bras croisés contre sa poitrine, elle pouvait se démener autant qu’elle le voulait, elle était à sa merci. Il aurait pu planter ses crocs dans son cou et la vider de son sang s’il l’avait voulu.
Et l’envie y était, quoi que c’eut été un peu trop facile.
Il glissa le nez dans son cou, humant son odeur avec la langueur cruelle qui était l’une de ses habitudes. Il y resta juste suffisamment longtemps pour faire naitre la peur, puis, longea sa joue de la sienne  pour aller quérir le sang au coin de sa bouche de sa langue.

« Délicieux » murmura-t-il au coin de son oreille sur le ton sournois d’un amant.

Ensuite, il laissa suffisamment de leste à sa poigne pour qu’elle puisse s’en défaire. Le jeu ne faisait que commencer. Il ne pouvait pas passer au dernier acte tout de suite, ce serait de la triche.

Visiblement pas franchement convaincue des dires de son petit ami, Victoria avait regardé son dernier repas d’un air sceptique. Alors quoi ? La perspective d’un excellent thé en noble compagnie ne valait plus rien de nos jours ? Tant qu’à mourir, autant passer ses derniers instants de manière agréable. Si l’adjectif d’agréable pour certains, moins pour d’autres, semblait lui échapper volontairement ou non, il était clair qu’il en était autrement pour Julie qui pensait voir dans l’apparition de Cade son salut.
Quelle impolitesse ! Alors qu’elle avait été si charmante avec elle. Elle ne l’avait pas torturé non ? Bon… peut être que si, mais elle l’avait fait avec talent et là était toute la différence. De toute manière, si Julie comptait respirer de nouveau l’air frais, elle se faisait des idées. Vu son état, elle n’irait pas bien loin avant qu’un vampire ne lui tombe dessus pour l’achever. C’était écrit qu’elle ne prendrait pas une ride. Elle pouvait s’estimer heureuse au passage, c’était le rêve de beaucoup de femmes de cette époque comme des anciennes.
D’apparence convaincue que la victime n’avait pas à se plaindre, pas plus que Cade d’ailleurs, elle avait regardé l’homme avec un sourire amusé. Elle adorait danser avec lui. Il n’était pas toujours aimable, mais le divertissement était là. Quel gâchis ! Ils auraient pu aller si loin tous les deux si elle lui avait fait rejoindre leurs rangs plus tôt.

« Papa ne va pas être content, Monsieur Howard est rentré sans frapper, sa petite amie va devoir payer. »

Sa petite amie ? Ok, peut être qu’elle ne l’était pas… mais quand même. Il venait ici avec des intentions peu civilisées et emmener cette tueuse avec lui…. Ils partageaient quelque chose alors qu’elle n’avait le droit qu’à des reproches, encore et toujours des reproches. Aaaah la jalousie ! Cette moue boudeuse était clairement faite pour accompagner la mention de la demoiselle. Heureusement, cette demoiselle là était assez stupide pour embêter son père. Clairement, les tueuses ne savaient pas bien choisir leur cible.

« Je sais… je crois qu’il va falloir qu’on rompe… même si un petit oiseau m’a chanté qu’on se retrouverait peut être. C’était un rossignol, un gentil petit rossignol qui chantait. »

Des mots si décousus ne pouvaient que s’assembler en monologue sans fin. Et pourtant, de fin, il en était prévu une aujourd’hui. Cade n’était pas du genre très bavard de toute manière et prouvait de par son approche qu’il avait un autre genre de conversation en tête.
Si elle connaissait déjà l’issue, elle n’en n’avait rien montré et avait ouvert ses bras au chasseur :

« Dansons une marche funèbre mon cher. »

Si elle laissait généralement le plaisir de l’action à son père ou à d’autres, elle ne resterait pas néanmoins passive devant cette invasion de propriété au but peu amicale. Aussi, après un simple tour de valse, elle avait fait les quelques pas la séparant de Cade pour engager ce combat qui durait depuis trop d’années au goût du chasseur. A un moment de la danse, ses ongles étaient venus laisser une trace de griffure sur la joue du chasseur, à un autre, elle aurait pu serrer son joli petit cou et lui arracher la tête, mais le chasseur était toujours là, pas très aimable, violent et en colère. Elle le savait, ce soir, c’était sa dernière danse mais son cavalier ne ferait pas long feu non plus.

« Peut-être dans une autre vie. »

Parce que dans celle-ci, franchement, la rousse était vraiment timbrée si elle croyait qu’ils allaient, d’une manière ou d’une autre se retrouver. Qui plus est, qui irait s’attarder sur le chant d’un oiseau pour percevoir ça comme un signe quelconque ? Hormis cette folle, bien entendu.
Et encore aurait-il fallut que le chasseur prenne la peine de chercher un sens au milieu de tout ce non-sens. Il avait passé suffisamment de temps en compagnie de la vampire pour savoir que son charabia pouvait s’avérer utile lorsque décrypté, mais il n’était pas là pour ça. Il était là pour rendre à la poussière ce qui était poussière. Celle-là avait outrepassé son temps imparti depuis déjà bien années et Cade était venu faire justice pendant que son acolyte se chargeait de rendre la pareille au papa en question qui avait encore plus triché que sa progéniture.
Certes, si les chances de l’homme n’étaient pas bien hautes, celles de la tueuse étaient minces face à celui qui avait donné la jeunesse éternelle à cette aliénée, mais qui ne tente rien n’a rien, dit-on. Cade était prêt à tenter le coup, quoi qu’il en coûtait.

Il laissa la rousse venir à lui, la graciant du premier geste plus pour jauger de quoi elle était capable bien plus que par galanterie. Il se doutait bien que ça n’allait pas être facile. Aussi gracile et fragile pouvait-elle sembler être, comme tout vampire, celle-ci était forte, en plus de ne pas avoir eu n’importe qui comme maître.
Si elle laissait les sbires du viking faire le sale boulot à sa place, ça ne voulait pas dire qu’elle ne savait pas comment user de ses poings… ni de ses griffes. Lorsqu’elle le balafra à la joue, celle-ci ce mit à élancer et piquer désagréablement. Il pouvait même sentir un petit filet de sang couler.
Suffisant pour l’arrêter ? Jamais. Quand Cade s’était embarqué dans cette folie vengeresse, il avait tout de suite su qu’il n’y avait qu’un moyen pour l’arrêter.
Et puis, l’ouverture se fit, aussi naturelle que si elle avait été programmée depuis des siècles et répétée un milliard de fois.
Elle avait tendu le bras, il l’avait bloquée de sa main qui tenait sa hache. Repoussant le bras, il avait mis son torse à découvert et il n’avait plus fallut qu’un pivot du corps pour l’embrocher du pieu qu’il tenait dans son autre main.
Le cœur atteint, s’en était fini de Victoria et toute sa folie divinatoire.

Du plus nul au meilleur, chacun de ses observateurs l'avait dit : le rôle premier d'une tueuse était de rester en vie. C'était la règle numéro une, la plus importante et la condition primordiale pour continuer à faire son boulot. Si c'était d'une grande logique pour certains, d'autres auraient pu trouver ça tout à fait idiot à voir où la tueuse actuelle se trouvait ce soir, et surtout avec qui. Entre les vikings de plus de mille ans, les fins du monde, les démons qui cherchaient à vous bousiller le cours du temps et le reste, une tueuse était sensée durer un minimum de temps. Probablement pas par attachement ou parce que toute vie était importante, mais parce qu'une nouvelle amenait toujours la perte de temps de quelques cours sur la démonologie et ce qui allait avec.
Quoiqu'il en soit, ce soir, on ne pouvait pas dire que ses fonctions facilitaient sa mission première qu'elle n'avait jamais considéré en tant que tel de toute manière. Tuer le méchant ! Voilà selon elle la règle numéro un d'une tueuse. Une bonne règle, une règle logique, pas toujours évidente, mais au moins franche et honnête... toujours plus que le discours débile du Conseil des Observateurs ! Si on suivait le discours débile de ce conseil, l'attitude à adopter ici était de faire demi-tour façon : "ok, tues quelques jeunes vierges innocentes ! Je repasserai une autre fois... dès que j'aurai trouvé la recette d'une potion miracle spéciale raclée !". Le genre de phrases qui aurait peut être pu lui décrocher un sourire si elle ne tachait pas actuellement de garder toute sa concentration sur le combat.

Si elle était celle qui avait la jolie épée et lui celui qui avait le tisonnier, il était peu probable que ça lui donne un avantage quelconque mise à part celui du style. Comme il fallait s'en douter, comme elle avait pu le deviner et l’apercevoir un peu lors de leur dernière rencontre, Ragnar n'était pas l'adversaire qu'on provoquait quand on tenait à la vie. Elle avait beau risquer sa vie tous les soirs, ici, son pourcentage de mourir pour la seconde fois avait sans aucun doute triplé. Sa force, sa technique, son entraînement pire que militaire depuis petite et ses quelques années d'expérience en tant que tueuse ne seraient pas ce qui l'aiderait le plus ce soir. De l'ingéniosité ? Si l'environnement était le sien et offrait quelque chose d'utilisable... peut être. Mais pour ce que son regard avait balayé de la pièce, ça ne lui avait pas donné l'idée d'un plan magique. La chance ? Il restait toujours la chance... un peu ridicule face à un viking qui avait connu bien plus de combat que n'importe qui d'autres sur cette Terre.
Alors pourquoi elle se battait encore ? Parce qu'elle n'était pas du genre à baisser les bras. Elle préférait mourir que de le faire. Et parce qu'une tueuse avait toujours un peu d'idiotie en elle. Sous un meilleur portrait, on aurait employé l'adjectif courageux. Mais à voir Ragnar ne pas sembler se fatiguer, un observateur aurait davantage envie d'invoquer la pure folie.

Si le coup qu'elle s'était reçue n'était qu'un de plus parmi tant d'autres, la suite l'avait moins laissé de marbre. Sa garde était trop basse, ou bien le petit jeu l'avait rendu un brin trop impatiente et donc imprudente, mais autant dire que son erreur était comme une invitation à la mort dans un cas comme celui-ci. Et sa pâle tentative pour attaquer à mains nues ne l'avait que pousser davantage dans les bras du viking. Et tandis qu'avec cruauté il prenait tout son temps, elle s'était débattue pour tenter de se dégager de ce qu'elle voyait comme l'inévitable à la seconde précise. Il était donc écrit que son sursis prenait fin ce soir.
Pendant une fraction de seconde, ce fait s'était ancré dans son cerveau au point qu'elle songe à laisser tomber les armes. Comme un chat l'aurait fait avec une souris, il s'était amusé avec elle d'une façon dont elle était, bien évidemment, peu friande. Et elle ne pouvait pas dire, sans mentir, que c'était le dégoût de cette proximité qui lui avait donné la force de finalement se dégager, c'était plutôt le jeu qui n'avait pas duré assez longtemps.
Le premier faux pas était passé... mais le second avait de grandes chances d'être fatal. Et maintenant qu'elle n'avait plus sa belle épée en mains ? Elle avait toujours ses poings et ses pieds. Et c'est au premier coup de pied engagé de ce deuxième acte qu'elle avait eu l'audace, davantage jouée que convaincue, de répliquer :

« Désolée chéri, t'es pas mon type. »

Et le jeu avait repris de plus belle. Si le rythme s'était accéléré, le combat n'en n'avait pas moins traîné en longueur, prenant des allures d'affrontement sans fin. Si, à sa place, une novice aurait déjà regagné le coin réservé aux tueuses parmi les morts, elle ne pouvait en aucun cas se positionner comme la dominante de cette partie. En fait, elle avait beau être du genre solitaire, un petit coup de main de Cade n'aurait pas été pour lui déplaire. Finalement, se séparer n'était pas la meilleure stratégie de la soirée.

La danse était de plus en plus appréciée du vampire. En partie parce qu’il était en parfait contrôle de la situation, mais également parce que, pour une fois, c’était une adversaire qui en valait la chandelle. Ça faisait un moment que le viking n’avait pas eu le loisir d’affronter un valeureux combattant qui était en mesure de durer plus deux minutes dans l’arène.
Certes, il avait eu une excellente opportunité d’en finir plus rapidement que ça et il l’avait laissée courir en pleine connaissance de cause, mais précipiter les choses aurait été moins amusant que ce duel qui avait tout du choc des titans.
Il était encore à se demander s’il terminerait tout cela maintenant où s’il lui octroierait le droit de vivre encore un jour de plus lorsqu’il la sentit.  
Une déchirure dans son poitrail comme il n’en avait jamais ressenti. Même une lame n’avait jamais été aussi douloureuse que cette impression de se faire arracher la cage thoracique en l’ayant attrapé quelque part par la colonne vertébrale. Il n’avait jamais ressenti pareille douleur, mais, bizarrement, il savait précisément ce qu’elle signifiait.

Le grondement furieux d’une bête lui échappa tandis qu’il projetait la tueuse plusieurs mètres plus loin. S’occuper de son compte était, en l’espace d’une fraction de seconde, devenu complètement dérisoire et Ragnar s’en fut si vite que l’on aurait pu croire qu’il s’était évaporé.
Il quitta la pièce, grimpa l’étage et se retrouva dans la chambre de sa jeune progéniture pour en découvrir cruellement l’absence. Son jouet toujours enchainé dans un coin, l’un de ces humains qui s’étaient échappés quelques jours plus tôt au centre, il ne restait plus qu’un tas de cendre à ses pieds mais le blond savait. Il le savait si bien qu’il n’eut pas besoin d’une seconde de réflexion avant de se jeter sur le vulgaire mortel qui venait de lui prendre son enfant.
Il l’attrapa par le cou d’une seule main, utilisant l’autre pour bloquer la hache que le chasseur voulait lui enfoncer dans le corps et il serra. Il serra les doigts en se délectant du pouls rapide qu’il cherchait à atteindre le cerveau de l’insecte insignifiant qu’il s’apprêtait à écraser. Il observa son visage devenir rouge puis bleuté avec la plus grande satisfaction, mais même celle-ci ne tarissait pas la douleur.
Il n’avait pas pleuré depuis très longtemps. Il était encore humain à l’époque, qu’un enfant qui n’avait pas encore appris à être sans peur. Mais ce soir, en voyant ce qu’il restait de Victoria, la rage et la douleur furent incontrôlables.

L’homme avait laissé tombé toutes ses armes, les mains accrochées à son poignet pour essayer de défaire l’étau qui était en train de l’étouffer. Peine perdue, il ne faisait pas le poids contre le géant.  Mais Ragnar ne pouvait pas le laisser partir si facilement. Lorsqu’il sentit la vie sur le point de quitter l’abject primate, il avança vers la fenêtre où l’aurore pointait derrière l’épaisse peinture noire qui servait à les protéger des rayons du soleil.
Il jeta le corps sans le moindre ménagement et le verre se brisa en mille morceaux éclatants sous la force de l’impact. Le corps alla s’échouer sur le béton, des mètres plus bas et le son des os se brisant sous la force de la collision parut comme une douce sérénade aux oreilles du vampire.
Mais tout ça, ça ne lui rendait pas sa Victoria.  

Ils traînaient en longueur. Une chasse normale, le vampire serait déjà devenu un petit tas de poussière. C'était comme ça qu'elle préférait sa race. Mais, dans le cas présent, le voir devenir cet amoncèlement de rien n'était pas la suite qu'elle voyait le mieux. Elle n'était pas franchement du genre pessimiste, pas plus qu'optimiste d'ailleurs, mais, ce qui était certain, c'était qu'elle n'aimait pas partir avec le pronostic en tête. Tout ce qui comptait dans ces moments là, c'était le prochain coup, la prochaine parade, rien d'autre. Pourtant, en cette seconde précise où elle avait cru sa dernière heure venue pour la seconde fois, la pensée négative était venue pour ne plus partir.
Elle rendait toujours les coups avec la même conviction, elle redressait toujours la tête quand elle s'en recevait un nouveau mais, intérieurement, elle savait qu'il n'y avait que peu de chances pour elle de ressortir d'ici vivante. Ce type était un véritable colosse et, au final, si Cade était toujours en vie, il était préférable pour lui de rentrer à l'hôtel sans venir lui prêter main forte. C'était son destin pour elle de mourir au combat, on l'acceptait avec le rôle de tueuse.

Mais, quelque chose avait changé. Une expression sur le visage de Ragnar qui n'annonçait rien de bon et elle avait fait un vol plané pour se cogner brutalement contre le mur le plus proche, retombant sur le sol, sonnée. Une autre personne qu'elle à sa place ne se serait pas relevée, ou pas de sitôt, mais malgré toutes les douleurs que lui infligeaient son corps, elle avait posé son coude sur le sol pour s'appuyer. Le deuxième mouvement lui avait arraché un gémissement mais rien de dramatique dans son cas. La guérison rapide faisait partie des avantages d'une tueuse, la douleur devenait une habitude avec le temps.
Parvenant finalement à se relever, elle avait quitté la pièce en ramassant un pieu au passage avant de tenter de prendre la même direction que Ragnar. Lui courir après n'était pas très intelligent, elle aurait du prendre ses jambes à son cou et protéger sa vie. Peut être même que c'est ce que son observateur lui aurait conseillé de faire. Mais l'idée ne lui avait pas traversé l'esprit parce qu'une autre y était ancrée : Cade.
Que Ragnar parte comme ça alors qu'il prenait autant son pied n'annonçait rien de bon... rien de bon pour Cade.

Du bruit à l'étage lui avait indiqué la direction à adopter. Si Ragnar ne se sentait plus d'humeur joueuse elle arriverait trop tard.
Mais si elle arrivait à temps, à quoi serait-elle utile ? Il y a 10 minutes, elle luttait pour sa vie, consciente que la moindre erreur mettrait fin à la danse. Amochée désormais, il n'était plus question d'erreur mais de handicap. Consciente de ne plus être aussi opérationnelle qu'au début de la partie, elle avait continué son chemin pour enfin arriver à destination... trop tard pour Cade mais juste à temps pour voir sa fin :

« Cade.... »

Il ne l'entendrait pas, et ce n'était sûrement pas le but. Un prénom pour s'accuser. N'était-ce pas un peu sa faute après tout ? Une tueuse savait que dans sa bataille, elle n'entraînait personne. Et ce soir, elle payait le prix de son erreur.
Elle qui fonctionnait toujours en cavalier seule, elle s'était laissée tenter ce coup ci. La raison était idiote. Par affinité. Elle n'était pas du genre à se lier d'amitiés, sa vie n'en n'avait pas besoin, mais Cade et elle avaient été connecté, une ressemblance qui les avait rapprochée au point qu'ils étaient venus ici ensemble ce soir. Et maintenant qu'elle était dans cette pièce, avec Ragnar, il était certain qu'aucun n'en repartirait. Elle ne mourait pas en victime, mais en tueuse, et sa poigne s'était resserrée sur son pieu tandis qu'elle levait les yeux vers le viking.

Sa tendre enfant n’était plus. La seule qui avait su le toucher suffisamment en tous ces siècles d’errance pour qu’il lui accorde la jeunesse éternelle, disparue à jamais dans un vulgaire nuage de poussière qui ne correspondait aucunement à la vampire pleine de magnificence qu’elle avait été.
D’aussi loin, il pouvait sentir la vie de l’homme brisé, à l’image de la fenêtre, le quitter, mais cette maigre consolation n’était rien. Et même s’il l’avait gardé captif jusqu’à la fin de ses misérables jours pour lui faire regretter ce qu’il avait fait, ça n’aurait rien changé non plus. Sa Victoria n’existait plus et, s’il les laissait là, ses cendres s’éparpilleraient bientôt au vent pour achever de la faire disparaître.
Ragnar songeait à les conserver lorsqu’il entendit le murmure derrière lui. La rage revint au galop, dépassant la triste douleur qui lui déchirait toujours le torse de l’intérieur. Il avait soudain envie de faire payer ces stupides et abjects humains jusqu’au dernier. Brutalement, sans la moindre forme de procès.
Fini de jouer.

Grognant, les crocs de la bête qu’il était bien en évidence, le géant fit volte-face, les yeux rougis par des larmes qu’il ne s’autorisait pas à verser. Sa colère était celle d’un père qui venait de perdre la fille qu’il avait chérie pendant plus de cinq cents ans.
Son calme contrôle de lui-même était complètement absent dans cette troisième ronde lorsqu’il se jeta sur la tueuse pour l’attaquer d’une pluie de coups puissants. Il n’avait cure du soleil meurtrier qui emplirait sous peu la pièce. L’aube poursuivait son chemin tandis que lui poursuivait sa vengeance sur la race humaine. À commencer par celle qui l’avait distrait et qui l’avait empêché de sauver son enfant quand il aurait pu.
Le plafond, les meubles, les murs, le plancher, il l’envoya valdinguer sur tout ce qu’il pouvait, observé par la jeune fille terrifiée, toujours enchainée, qui avait été témoin de plus d’une fin aujourd’hui. Et ce ne serait pas les dernières.

Eut-il cru du moins. Car lorsqu’il se décida enfin à planter ses crocs dans le cou de la tueuse pour en finir, quelque chose se planta dans son épaule, presque dans son cœur. Puis, le poison infeste de la verveine s’infiltra dans son corps et la bête rugit de plus belle, écartant ses dents de la chair meurtrie de sa proie.
Ragnar tituba et grinça en ramenant un bras vers l’arrière pour retirer la flèche qui s’était fichée dans son dos. Il jeta l’arme sur le sol et s’enfuit avant de s’effondrer. Nul doute que s’il tombait près de la tueuse, elle ne prendrait pas le risque de le laisser en vie. Et si elle était assez stupide pour le faire, le soleil finirait le travail. Non, le viking ne quitterait pas cette terre en ce matin d’été, il avait une revanche à prendre sur cette tueuse et la prochaine fois, il ne serait pas aussi fairplay qu’il l’avait été aujourd’hui.  

Des coups, dans sa carrière, elle en avait reçu des quantités. Et si elle avait déjà expérimenté la douleur une nouvelle fois ce soir, ce n'était rien comparé à ce qui allait suivre. Même pour elle, la tueuse, l'expression qu'elle avait vu dans le regard du vampire lui avait fait ressentir de la peur. Un instant, elle avait même eu ce pas en arrière, ce mouvement de recul inutile et qu'elle ne s'autorisait pourtant jamais. Même si elle avait voulu changé d'avis et faire demi-tour pour sauver sa vie, elle n'en n'aurait pas eu l'occasion. Ragnar n'avait pas eu besoin de le dire à voix haute pour qu'elle le comprenne : ils avaient finit de jouer.
Tant bien que mal, elle avait tenté de parer les attaques. Au début, elle avait même essayé de faire plus que se défendre. Mais les coups qu'elle donnait n'étaient rien en comparaison de ceux qu'elle recevait. La force de riposter avait finit par diminuer et ses représailles avaient commencé à manquer de conviction avant qu'elle n'utilise sa force restante pour tenter de se protéger. Ce n'était pas ça qui lui ferait voir un nouveau jour mais ce n'était pas dans ses habitudes de se laisser cogner sans rien faire.
A plusieurs reprises, elle s'était écrasée douloureusement sur tout ce qui pouvait se trouver sur la route de son corps meurtri. A présent, la tueuse était toujours la tueuse simplement parce qu'elle était encore consciente là où d'autres seraient dans les vapes ou mortes.

Ces autres. Elle ne tarderait pas à les rejoindre. Une ultime fois, elle avait essayé de se relever du sol en s'appuyant sur ses coudes lorsque Ragnar l'avait "généreusement" aidé en la soulevant du plancher. Sa dernière heure était venue. Et, cette fois-ci, elle doutait avoir le droit à une seconde ressurection. Est-ce que savoir qu'une soeur s'était déjà éveillée pour reprendre les armes pouvait l'appaiser en cet instant ? Même si elle y avait pensé pour ces dernières secondes sur Terre, elle aurait douté que Ragnar puisse être vaincu, particulièrement dans cet état de rage causé vraissemblablement par la mort de sa semblable. ça n'avait plus vraiment d'importance à présent que ses forces l'abandonnaient, les crocs qui s'étaient plantés dans son cou ne mettraient pas longtemps à finir le boulot.
Un archer ? C'était bien ce qu'elle avait apperçu au milieu de sa vision troublée avant que son corps ne retombe sur le sol, délivré de l'emprise du vampire. Dans un réflèxe de survie, elle avait roulé tant bien que mal sur le sol pour se rapprocher un peu de la lumière salvatrice qui tentait d'envahir la pièce. Inutile. Ragnar avait quitté la chambre.
Cherchant du regard celui qui venait de lui sauver la vie, elle n'avait balayé que du vide. A part elle et la jeune femme enchaînée, il n'y avait personne d'autre. Une hallucination ? Elle aurait pu le croire si ses yeux ne s'étaient pas posés sur la flêche.
Chaque mouvement pour se relever lui avait causé une douleur qu'elle n'avait pas experimenté depuis longtemps, si toutefois elle l'avait déjà experimentée. Sentant un morceau de verre se planter dans sa main, elle l'avait retiré sans plus de considération tant cette nouvelle blessure ne semblait être rien comparée aux autres.

Comment s'en était-elle tirée ? Elle n'avait pas la réponse. ça relevait du miracle.
Elle avait ramassé cette flêche et une clé au milieu des cendres. Trouvant la force pour libérer la demoiselle à moitié avant de lui laisser faire le reste, celle-ci s'était sans aucun doute enfuie plus rapidement qu'elle en ne manifestant aucune reconnaissance pour celle qui avait trouvé la force de lui sauver la vie avant de partir. ça n'avait pas d'importance. Et même plus tard, ce qui retiendrait son attention ne serait très certainement pas cette vie sauvée, mais celui qui avait sauvé la sienne. Pour l'heure, elle était parvenue à regagner la lumière du soleil en boitant, s'aidant de tout appui à portée pour l'aider à avancer. C'est dans cet état pitoyable qu'elle s'était écrasée à genoux auprès de Cade, évaluant rapidement son état dont la gravité était largement supérieure à la sienne :

« Donne moi ton bras, j'vais t'aider. Allez, faut qu'on t'emmène à l'hôpital. »

Avait-elle déjà été plus débile ? C'était trop tard. Même si elle était arrivée dix minutes plus tôt, ça aurait toujours été trop tard. Tenter de le tirer par le bras ne le ferait souffrir que davantage.
Elle devait bien le savoir, et ce n'était pourtant pas son genre de se perdre en faux espoirs.

« J'suis désolée.... »

Il n'aurait pas dû être là, avec elle. Cette idée était sans aucun doute la plus merdique qu'elle avait eu de toute sa vie.

Dès que la main puissante du vampire lui avait serré le cou, Cade avait su qu’il était fichu. Non pas que ça le dérangeait beaucoup. Jusqu’à maintenant, son principal regret aurait été de ne jamais avoir pu mettre la main sur la vampire responsable du massacre de sa famille, mais maintenant qu’il venait de rendre Victoria à la poussière, cette colère-là était curieusement apaisée même si elle n’était pas la vampire en question.
La guerre était finie pour lui et le chasseur était en paix avec ça. Survivre à sa famille était la chose la plus difficile à faire et, maintenant, il en avait terminé avec ce fardeau.
L’instinct primal de survie voulu qu’il se débatte quand même, mais lorsque le géant l’avait envoyé valser à travers la fenêtre, il s’en était fallu de peu qu’il sourit.
C’était fini.

Le choc de son atterrissage fracassant contre le béton de la terre ferme fut la chose la plus douloureuse, physiquement, qu’il n’eut jamais connue. Il sentit ses os se briser sous l’impact et savait déjà que s’il restait envie par un quelconque miracle – ou malédiction, selon les points de vues – il serait estropié jusqu’à la fin de ses jours. Ce qui, dans son cas, n’était pas particulièrement souhaitable.
Mais il ne comptait pas survivre à ça. Une partie de lui était venue ici pour en finir, dès qu’il avait pris sa décision de revenir s’attaquer à la rousse. La chance avait voulu qu’il vienne à bout de sa tortionnaire avant de lui-même en terminer, mais il se doutait bien, dès le départ, qu’il ne faisait pas le poids contre le viking.

Alors, patiemment, la respiration sifflante, mais calme, il attendit que la Mort vienne le chercher en espérant que, cette fois, elle n’ait pas décidée de l’oublier comme elle l’avait fait le soir où sa famille lui avait été enlevée.
Il ne sut pas trop combien de temps s’était écoulé lorsque Micah – pas tellement en meilleur état que lui – vint le rejoindre. Il se douta que sa mine ressemblerait davantage à la sienne si elle n’avait pas l’endurance de la Tueuse pour l’aider à tenir debout. Comment elle s’en était sortie, il ne le savait pas et ça n’avait pas tellement d’importance. Il appréciait seulement de savoir qu’elle n’y était pas passée aussi avant de partir.
Il ne bougea pas un muscle lorsqu’elle lui commanda de lui donner son bras. Il ne pouvait rien bouger, sinon sa cage thoracique – difficilement – pour respirer et les paupières pour tenter de garder les yeux ouverts un peu plus longtemps. La douleur était floue maintenant, engourdie par la fin qui arrivait.

« C’est pas grave et c’est pas ta faute. »

Il ferma les yeux de longues secondes avant de les ouvrir une ultime fois.

« Ça fait six ans que j’attends ça… Ça va aller. »

Elle ne saura probablement jamais pourquoi, mais ce n’était pas plus grave que le reste. L’important, c’était qu’elle sache que rien de tout ça n’était de sa faute et que tout était pour le mieux.
Il esquissa même un sourire, laissant la fatigue le gagner, ses yeux se fermer, puis la Mort le prendre enfin.

Y’avait vraiment pas de quoi être fière ! Pour une tueuse qui commençait à avoir pas mal de métier derrière elle, elle s’était comportée comme une débutante. Et encore, elle n’avait pas le souvenir d’avoir commis de telles erreurs, même à ses débuts. Elle n’avait pas non plus le souvenir d’être du genre sensible. Et pourtant aujourd’hui, pour la vie de ce chasseur qu’elle connaissait à peine, elle avait envie de pleurer. Il l’aurait sans doute mérité… que quelqu’un soit triste de son départ. Elle n’en doutait pas, au cours de sa vie faites de sang et de combats, il en avait fait des choses biens. Et il aurait sûrement fait encore si elle n’avait pas été là pour l’embarquer là-dedans ce soir, ou si elle s’était mieux battue pour être là à temps. Son rôle était de se sacrifier pour que les autres vivent, pas de laisser les autres se sacrifier pour qu’elle voit un jour de plus.
Il avait beau eu dire que ce n’était pas de sa faute, la culpabilité n’avait pas diminué pour autant. Il espérait ce moment depuis longtemps ? Elle ne saurait pas pourquoi, mais quelque part, elle avait l’impression de comprendre. Parce qu’il lui arrivait d’être fatiguée… d’avoir l’impression que son combat ne menait à rien. Et puis, il y avait un affrontement de plus, et elle oubliait. Ou plutôt elle se rappelait que jusqu’à ce qu’elle rende son dernier souffle, le choix ne lui revenait pas. Peut être que sa vie n’avait rien de fantastique, mais son existence permettait que d’autres continuent.

Cade avait finalement quitté ce monde et pour la première fois depuis longtemps, elle avait laissé la tristesse l’envahir. Les larmes coulaient toujours sur ses joues quand elle était parvenue au pick-up, difficilement. Les larmes avaient coulé de nouveau lorsqu’elle avait allumé le brasier, seule. Ce n’était pas « l’enterrement » du siècle, mais elle l’avait exécuté à leur manière. Il partirait comme un chasseur. Dans un murmure, elle avait prononcé de nouvelles excuses qu’elle avait été la seule à entendre. Retourner au motel pour fouiller dans la chambre de l’homme lui avait coûté de l’énergie qu’elle n’avait plus, mais elle lui devait bien ça. Elle n’avait trouvé personne à prévenir probablement parce qu’il n’y avait personne. Il était comme elle. Seul. Ce soir, il aurait pu être celui qui tenait la torche, et elle le corps sur ce tas de bois que les flammes prenaient plaisir à dévorer… la scène aurait été très ressemblante.
Peut-être que c’était pour ça que ça la touchait davantage que d’habitude au final…. Elle ne connaissait pas grand-chose de sa vie. Elle ignorait la raison qui l’avait poussé à prendre cette route aussi dangereuse. Mais elle savait que sans cet homme qu’elle avait apperçu, il n’y aurait eu personne pour brûler son corps et le sien.

Elle était restée bien après que le feu s’éteigne entièrement, le vent s’était levé et avait dispersé de lui-même une partie des cendres avant qu’elle ne remonte dans le pick-up pour prendre le chemin retour vers le motel. En boitant, elle avait regagné sa chambre où elle s’était écroulée sur son lit tout habillée. Malgré la douleur qu’elle ressentait pratiquement dans l’intégralité de son corps, un sommeil sans rêves, sans rien, était venu l’envahir pour pratiquement une journée entière.