Des ténèbres, du sang, cette répugnante sensation dans ma bouche, cette odeur à vous en donner la nausée. Le lot quotidien de mes nuits, de mes réveils. Rêvant de mes erreurs passées, de mes tueries ou du moins du lendemain de mes tueries. Je me redresse d'un bond au centre du lit d'hôtel que je ne me sens pas apte à quitter. Essoufflée, j'agrippe sans plus attendre la bouteille d'eau qui traîne sur ma table de chevet comme tous les matins. Une habitude dans l'espoir des plus stupides de ne plus ressentir ce sang et cette chaire dans ma bouche. J'avale la moitié de la bouteille sans grande réussite, ce qui ne me surprends guère enfin de compte. Il s'agit là de ma punition pour être devenu un tel monstre pour avoir tué sans doute plus que personnes que je le pense. J'ai longtemps pensé que ma vie ne vaut plus rien ainsi, que je ne représente plus qu'un danger et je le pense encore. Je suis juste incapable de passer à l'acte, de mettre fin à cet enfer. Je suis faible, bien trop faible et je me déteste pour être ainsi. Ne pas pouvoir contrôler cette chose en moi qui me change depuis l'instant même où j'ai commencé à tout perdre.

M'extirpant violemment de mes sombres pensées, je sursautes au son de mon portable qui vibre. Je soupire tout en passant une main tremblante dans ma chevelure flamboyante. J'arrête aussitôt mon réveil et m'élance hors de mon lit en répétant les même gestes que chaque matin. Je prends une douche, chaude de préférence, m'habille d'une façon des plus ordinaires, je m'occupe de ma chevelure, prends une dose incroyable de café, je me chausse et je m'élance pour une nouvelle journée sous le soleil de la Nouvelle-Orléans. Je ferme la porte de ma chambre avec précaution, descends les marches de l'hôtel et me fonds finalement à la foule qui se forme dans les rues de la ville. Sur le chemin pour la boutique de musique, je m'interroge. Voilà une bonne semaine que je suis ici, la pleine lune ne va pas tarder et je me demande encore si rester est la bonne solution. Je n'ai pas l'habitude de rester aussi longtemps dans un lieu précis, préférant m'enfuir lorsque vient la pleine lune. Je crains une fois encore que la bête ne tue, qu'elle blesse à nouveau. Sans doute dois-je prendre le temps d'inspecter les alentours pour trouver un endroit où m'enfermer durant trois nuits. Après tout, n'est-ce pas la meilleure solution? Les bêtes doivent être enfermées et attachées, non? Loin de vouloir avoir cette sensation horrifiante dans ma bouche, je me dois de trouver une manière... Encore une vaine discussion intérieure...

Soupirant une fois encore, je mets une fois de plus ses interrogations de côtés et me plonge dans la musique que j'écoute chaque matin en me rendant au travail. Un trajet relativement court, hélas. Cela dit, je ne m'en plaints pas. L'univers est le même, je reste entourée par ces douces et diverses mélodies qui m'apaisent depuis mon plus jeune âge. Une passion qui me hante malgré ce blocage qui m'empêche de pratiquer un art qui me tenait tant à coeur autrefois. Je m'arrête un instant sur le pas de la porte de la petite boutique, range mon portable et m'élance finalement entre les rayons. Je m'apprête par la suite à me mettre plus à l'aise en saluant mon patron lorsqu'il me prévient qu'une livraison est de rigueur. J'acquiesce en toute simplicité, sans plus et commence à charger des instruments et des cd dans le véhicule. Je prends mon temps, buvant et jetant un coup d'oeil de temps en temps à mon supérieur qui s'attelle à ranger les rayons de la boutique avec les nouveautés. Comme la plupart du temps, il me refile le sale travail et prends le plus aisé des deux. Enfin, ce n'est pas comme si je peux me plaindre et puis, ma condition physique semble supérieur à la sienne, donc...

Le véhicule une fois chargé, j'en informe mon patron, vérifie l'adresse et conduits jusqu'au lycée de la ville. Je me gare, préviens de mon arrivée à la personne concernée par ma livraison, puis me place à un endroit stratégique pour que mon travail soit un peu plus aisé. Je commence par décharger les cd, agrippant le premier carton, je rentre dans le bâtiment et tente de m'y repérer au mieux. Mon regard se vide un instant tandis que j'observe les étudiants, me souvenant combien ma vie était différente à l'époque. J'étais encore humaine et plus que tout Zephyr était à mes côtés. Revoyant son corps ensanglanté, je manque de faire tomber le carton que je tiens. Je me mords faiblement la lèvre inférieure et m'active. Je m'active pour oublier, encore une fois.

Une nuit courte. Un réveille marquée par une nouvelle sensation dans ma bouche. Une sensation bien trop familière à laquelle je ne peux m'habituer. Le goût du sang et de la chaire fraîche se répandent une voix encore dans ma bouche. Instinctivement, je me jette sur la bouteille d'eau sur la table de chevet de mon lit. Vidant la moitié de la bouteille, je désespère lentement une fois encore à l'incapacité du liquide d'emporter cette sensation au loin. Mon rituel matinal s'enchaîne comme chaque jour. Je mange bien peu, m'attardant plus longuement dans la salle de bain. Laissant l'eau couler sur mon être dans la cabine de douche, je ferme lentement les yeux. Vidant mon esprit de mes sombres pensées, je reste ainsi. De longues minutes s'écoulent avant que je dispose de la force nécessaire pour m'extirper lentement de la douche. Je termine de me préparer avec hâte, m'occupant longuement de ma chevelure aux couleurs des flammes. Une fois prête, je n'attends pas plus longtemps, agrippe mes affaires et m'élance hors de ma chambre d'hôtel. Je ne m'attarde aucunement sur les passants, écoutant tranquillement la musique qui s'extirpe de mes écouteurs comme chaque matin. D'un pas lent et nonchalant, je me fraye un chemin entre les habitants qui s'agitent sur le trottoir. Des bousculades et des regards étranges quelque peu désapprobateur se posent sur moi sans que j'y accorde la moindre attention. La solitude à mes côtés ce genre de comportement ne me touche plus depuis fort longtemps.

Une dizaine de minutes plus tard, je m'arrête un instant devant la boutique de musique. Je retire mes écouteurs, arrête ma musique et rentre dans le bâtiment par l'entrée du personnel. Je m'apprête à me mettre à l'aise, saluant mon patron au passage, mais il m'arrête dans ma lancée. Une livraison est de rigueur et la tâche semble me revenir. Je me hâte, remplissant le véhicule avec soin. Je remercie brièvement ma nouvelle condition physique, un atout pour ce genre de situation. La camionnette chargée, je vérifie l'adresse. Je lâche un faible soupire. Le lycée. Un lieu où j'espérais ne jamais remettre les pieds. Un lieu qui me rappelle trop de souvenir à présent douloureux. Cela dit, je ne rechigne pas et prends la route. Cette dernière fut relativement courte. Je me gare non-loin le temps de prévenir de mon arrivée avant de prendre une place plus adéquate. Aussitôt, je commence à décharger le véhicule. Errant dans le bâtiment, je recherche la pièce dans laquelle je dois déposes la marchandise. Je laisse mon esprit et mon regard vagabonder dans les couloirs. Des souvenirs me revenant en mémoire, je sens mon coeur se serre doucement dans ma poitrine. La douleur intense, la vision de Zephyr gisant sur le sol, son corps déchiré et ensanglanté.

Je me fige un instant, paralysée par cette vision. Le carton dans mes mans m'échappe un bref instant. Je le rattrape de justesse en reprenant lentement mes esprits. Je feinte de m'échapper pour oublier cette vision quand une odeur proche me titille les narines tandis qu'un lycéen se place à mes côtés, prenant la parole. Je reste un instant surprise avant de finalement répondre au jeune homme. « Salut ... Ça va, ça va... Sais-tu où se trouve le local de la salle de musique? » Je l'interroge, autant profiter de la présence d'une personne qui connait davantage les lieux que moi pour éviter d'errer trop longtemps dans les couloirs.