Un vol direct et en première classe n’avait pas suffit à Jon qui s’était rongé tous les ongles, certains même jusqu’au sang. Il ne craignait pas nécessairement pour le couple de l’année – rien ne pouvait venir à bout de l’amour que ces deux-là se portaient – mais le faussaire connaissait son grand copain voleur comme s’il l’avait fait lui-même. Il lui fallait un Joni pour lui secouer les puces, lui filer une baffe ou deux en cas d’extrême besoin et une la descente d’une bouteille pour bien digérer la nouvelle.
Une nouvelle que Jonathan n’était pas certain lui-même d’avoir avalée. Roxy, une poilue ? Depuis que Marsh en était devenu un, ils en avaient vu, des choses dont ils n’auraient jamais douté de l’existence, mais Roxanne qui se métamorphose en bête, c’était encore trop abstrait pour l’invocateur de démons. Et s’il avait une certaine difficulté avec ce concept, il n’osait même pas imaginer comment son meilleur ami pouvait se sentir.
Avec la restriction du temps de vol, du décalage horaire et ainsi de suite, le blond n’avait pas pu mettre les pieds à l’aéroport en bordure de la Nouvelle Orléans avant le matin. N’ayant pas beaucoup dormi, il avait une sale mine, mais il se doutait que ça ne devrait pas être bien différent de celle de ses deux amis.
Cette nuit, Rox avait vécu sa première transformation et, sincèrement, Jon était presque content d’avoir du passé la nuit dans un avion à soupirer de ne pouvoir trouver le sommeil. La vraie partie de plaisir avait du se faire peu importe où Marsh avait jugé bon de s’enfermer avec sa fiancée pour la nuit. Jamais il n’aurait risqué la première transformation de Roxanne quelque part dans les bois où il aurait pu être séparé d’elle, même sous sa forme de loup.

La soif de trésor onéreux avait pris un sacré coup. Jonathan n’avait pas songé à Balthazar et les millions qu’il pouvait représenter depuis que la pilleuse de tombe lui avait appris la mauvaise nouvelle.
Mais si le blond était doué pour le pessimisme, il était également fort dans l’art de l’optimisme lorsque personne d’autre n’y croyait. Maintenant que Rox avait chopé la malédiction, il fallait admettre que le danger que Marsh pouvait représenter pour elle venait de sacrément diminuer, voire devenir totalement inexistant. En espérant que ça aide Marshall à avaler la pilule, parce que, franchement, le faussaire n’avait aucun autre argument dans sa manche.

Après l’aéroport, le blond avait sauté dans le premier taxi et avait demandé l’hôtel le plus luxueux en ville, parce que nul doute que la future mariée y avait élu domicile.
Une fois sur les lieux, il n’avait rien demandé, sinon le numéro de la chambre de ses copains. Le penthouse n’était pas plus une surprise que le reste et ce fut avec une bouteille de fin whisky écossais que l’ainé des trois avait frappé quelques coups à la porte close.

« Livraison spéciale » chantonna-t-il d’une voix qui ne se voulait pas trop dépressive.

Il ne savait pas exactement ce qu’il allait trouver de l’autre côté de la porte, mais il savait d’avance que ce ne serait pas jojo. D’où le fait qu’il ne se présentait pas les mains vides !

Les yeux fermés sous cette pluie d'eau presque bouillante, Roxanne était restée un moment sous la douche. De longues minutes à tenter d’apaiser les courbatures et à laisser la fatigue l'anesthésier complètement dans l'espoir que les pensées finissent pas quitter définitivement sa tête, au moins pour plusieurs heures, une journée entière si possible. Tout se bousculait et elle ne savait pas ce qui prenait le dessus si on excluait Marshall de l'addition.
Bien sûr que ça aurait été lui autrement ! C'était toujours lui ! On pouvait lui apprendre n'importe quelle nouvelle, mauvaise ou bonne, lui bourrer le cerveau de quelque chose sans rapport, il figurait toujours en top de liste.
Mais en second actuellement, elle ne saurait décider de ce qui revenait le plus. Le fait qu'elle se sentait complètement différente ? Le fait de ne rien se souvenir de la veille ? Le fait d'imaginer que la douleur, Marshall la connaissait depuis des années ?
Il y avait trop à assimiler, même quand on partageait la vie d'un loup-garou depuis des années. Et la fatigue après ces deux dernières nuits faisaient qu'elle rêvait simplement de s'écrouler pour dormir 48 heures à la suite. Il faudrait pourtant remettre ça une dernière fois ce soir.
Elle s'habituerait. Elle supposait que les débuts étaient toujours un peu particuliers, il fallait le temps au corps et au reste d'assimiler.

Tournant finalement le bouton pour couper l'eau, elle s'était séchée rapidement à l'aide de sa serviette avant d'enfiler un t-shirt de Marshall. Se coller à ce dernier au lit et rester sans bouger toute la journée, voilà ce qu'elle avait envie de faire de sa journée ! Maintenant qu'ils passaient leurs nuits de pleine lune ensemble, ça n'obligeait pas pour autant à se laisser plus d'espace en journée.
ça, il en était hors de question. On pourrait l'accuser d'être une sale droguée, elle en avait rien à faire.
Et pourtant, là aussi ce n'était pas tout à fait pareil. Elle se sentait... mal à l'aise. Ils étaient ensemble depuis des années et, aujourd'hui, pour la première fois, elle se sentait mal à l'aise... coupable de la culpabilité que lui ressentait de son côté. Un cercle ridicule, mais elle n'y pouvait rien.
Aussi, quand elle l'avait vu dans la cuisine, elle avait hésité sur l'attitude à adopter. Ce qui venait tout naturellement d'habitude lui posait aujourd'hui problème.

Quelques coups à la porte l'avaient fait sursauter, le volume lui semblait plus fort, tout en la sauvant de la réflexion... plus besoin de trouver la bonne méthode de rapprochement, elle avait changé de trajectoire pour ouvrir à celui qui serait sans aucun doute son héros du jour.
Elle n'avait rien dit, avec un peu d'attention, on aurait pu lire un "merci" sur ses lèvres avant qu'elle ne se décide à l’accueillir d'une étreinte. Avec Marshall et Benjamin, Jonathan appartenait sans l'ombre d'un doute aux trois indispensables de sa vie. Aujourd'hui, il devenait même l'indispensable par excellence.
S'écartant, elle l'avait fait entrer dans la pièce, visiblement toujours aussi hésitante sur la marche à suivre. Aujourd'hui, elle était particulièrement débile sans nul doute, ce serait à l'anglais de posséder la plus grosse partie de cerveau.

La nuit avait été rude, bien qu’il ne se souvenait que de très peu de choses. Ce qui était aussi bien. Après sa transformation, Marshall n’avait repris conscience que lorsqu’il s’était réveillé, flambant nu, contre le dos de Roxanne. Il y avait au moins une chose que le loup et lui partageait et c’était la considération qu’ils portaient à la femme et, maintenant, son alter ego.
Il avait accompagné sa fiancée autant qu’il avait pu, combattant sa propre transformation pour être présent à la sienne. Il avait cherché à l’apaisée par tous les moyens, même si rien ne pouvait surpasser cette douleur, surtout la première fois. Après, la douleur était la même, mais on savait à quoi s’attendre. Il avait tenté de tempérer le mal au mieux par des mots doux, les dents serrées à lutter contre sa propre souffrance. Lui, ça faisait douze ans qu’il vivait la chose, il pouvait la supporter et la combattre un temps pour Roxy.

Lorsqu’ils étaient rentrés et que Roxanne était allée se cacher sous la douche, Marshall ne l’avait pas suivie. Pas aujourd’hui. Peut-être demain ou le mois prochain, les choses seraient moins bizarres entre eux, mais aujourd’hui, il la laissa seule.
Il prépara juste du café, appuyé contre le comptoir à regarder la cafetière à son œuvre d’un air absent. Pour la première fois depuis qu’il la connaissait, il ne savait pas comment réagir avec sa fiancée. Il savait qu’elle était forte et qu’elle viendrait à bout du traumatisme, mais même si son devoir était de rendre les choses plus faciles, il ne savait pas comment faire. Pour la simple et bonne raison qu’il n’y avait rien à faire. Elle devait faire le choix d’accepter ou non, il n’y avait rien qui était de son ressort et il le savait mieux que personne.
Lorsqu’elle était sortie de la salle de bain, il était encore appuyé contre le plan de travail de la petite cuisine, les yeux dans le vague. Il savait très bien qu’il devait faire quelque chose, même sans la regarder, il entendait et sentait sa présence, même sans le vouloir nécessairement. Une facette de plus à laquelle Roxanne allait devoir s’habituer.

Le frisé entendit même les pas dans le couloir avant les coups frappés à la porte. Il se demanda qui cela pouvait être puisqu’il n’avait rien demandé au service d’étage. La réponse, il ne tarda pas à l’avoir, sa fiancée allant ouvrir la porte pour découvrir Jonathan de l’autre côté.
Ce même Jon qui avait refusé de venir en Louisiane au premier abord parce que c’était moche, chaud et humide et qu’il croyait dur comme fer que les alligators pouvaient se promener dans les rues pour croquer les passants. Même sans savoir, Marsh se doutait que son meilleur ami n’était pas là pour venir se ravir les yeux du trésor de Balthazar.
Il laissa l’étreinte de bienvenue à Roxanne, sortant plutôt trois tasses pour les remplir de café fumant maintenant qu’il était prêt. C’était vraiment trop bizarre d’être si distant sans pouvoir se contrôler. Il s’agissait pourtant des deux personnes au monde avec qui il était le plus à l’aise et pour qui il n’avait strictement aucun secret. Mais le loup éprouva du soulagement et du réconfort en la présence de Joni même si celui-ci n’avait encore prononcé le moindre mot. Son ami avait été un soutien précieux lors de ses premiers temps avec la malédiction, nul doute que Jon était capable de perpétrer de nouveau ce miracle.

L’ambiance était aussi moche qu’il s’y attendait. Jonathan n’avait aucune surprise ici et commença par sourire tendrement à son amie lorsqu’elle lui mima un merci silencieux de ses lèvres. Puis, il se laissa gentiment aller à l’accolade, serrant Roxanne contre lui en se rappelant que si elle n’était pas une louve aujourd’hui, elle aurait très bien pu être morte. Une louve, c’était mieux et c’était précisément ce qu’il allait devoir plaider sous peu.  

« Tu me dégoutes Roxy, t’as meilleure mine que moi et des trois j’ai sûrement passé la meilleure nuit ! »

Première étape dans le désamorçage de situation tendue, jouer la carte de l’idiot de service. Ça lui avait souvent servi par le passé alors pourquoi changer une recette gagnante ?
Une fois écartée de la future mariée, Jon laissa tomber son sac de voyage par terre, bouteille toujours en main. Il se dirigea ensuite vers la cuisinette où Marshall, étrangement silencieux, versait du café dans trois tasses. Du café ne serait pas de refus, ça, c’était une évidence, l’autre évidence était que l’épicer un peu ne serait pas de refus non plus.
Alors, en marchant, Jonathan ouvrit la bouteille de whisky flambant neuve qu’il avait prise avec lui.

« Vous savez, si vous vouliez à tout prix que je vienne en Amérique, suffisait de demander gentiment. C’était pas la peine de recourir à un stratagème aussi foireux. »

Le regard aussi froid qu’une porte de prison, il l’avait vu venir dès qu’il avait ouvert la bouche, mais Jon s’en fichait pas mal. Pour secouer les puces de son canidé d’ami, il fallait commencer par tourner un peu le couteau dans la plaie pour essayer ensuite de lui enfoncer dans son crâne d’entêté que ce n’était pas si grave.
Une fois devant les tasses, il ne demanda rien à personne avant de se mettre à verser le whisky dans le café fumant. Et tandis qu’il portait une tasse près de ses lèvres pour souffler un peu dessus, il planta un regard dans celui de son meilleur ami qui se passait de mots.
Cet échange était suffisant pour que Jon puisse lire toute la culpabilité et la haine de lui-même que Marshall éprouvait. Il n’y avait pas franchement quelque chose que le faussaire pouvait faire contre ça, son copain devait avaler le truc et l’accepter, au même titre que Roxy devrait accepter sa nouvelle condition avant de pouvoir vivre avec convenablement.

« Alors, tu te sens comment ? »

Ce disant, il s’était tranquillement tourné vers la femme. Pour crever un abcès, il fallait avant tout en parler et son petit doigt lui disait que ces deux-là ne s’étaient encore rien dit du tout depuis le lever du jour.

Qualifier Jonathan de héros, ça aurait presque été le dévaloriser complètement. Aux yeux de Roxy, il était bien plus que ça à l’heure actuelle. Clairement, elle n’avait jamais été aussi ravie de le voir et elle avait eu bien du mal à le relâcher quand elle s’était accrochée à son cou. Il était leur seule chance en quelque sorte. Le meilleur psy du quartier n’aurait bien pu faire là où Jon ferait sans aucun doute des miracles. Au moins, le Jon ne perdait pas sa faculté à plaisanter et l’anglaise lui avait répondu d’un sourire forcé mais présent.
Voilà, encore une excellente raison pour Marshall de déculpabiliser. Il lui avait apporté beaucoup trop dans sa vie pour s’en vouloir aujourd’hui d’un « faux pas » dont il n’était pas le seul responsable, pour ne pas dire complètement irresponsable. Elle n’en démordait pas, elle avait été la plus débile des deux au cours de cette soirée où sa vie avait soudainement changé.
Pour en revenir à ce que Marshall avait pu lui apporter, en plus d’un amour qui ne trouvait pas de mots pour résumer son intensité, il lui avait offert un Monsieur Fawkes. Autrement dit l’ami et le soutien parfait.

Ok, ok, on pouvait remettre en question le jugement de Roxanne quand on entendait les mots qui sortaient de la bouche du soi-disant meilleur psy pour Marshmallow. Disons qu’il avait une technique d’approche un peu différente, mais que la connerie n’était pas une introduction si débile que ça. Oui, elle le pensait, même en se mordant la lèvre et en se gardant bien d’intervenir.
Bon sang, mais pourquoi est-ce qu’elle était aussi mal à l’aise aujourd’hui ?
… d’accord, question con. Inutile d’y trouver une réponse, et elle ne l’avait même pas cherché en s’installant sur un fauteuil, tasse fumante en main. Le café brûlant mêlé à un goût de whisky tout aussi chaud lui avait brûlé la langue sans qu’elle n’en semble très gêné. L’alcoolisme, y’avait que ça de vrai dans des situations telles que celle-ci.
Relevant les yeux vers Jon à sa question, elle avait hésité, détournant le regard vers Marshall avant de répondre. C’était quoi la formulation correcte ? Elle avait le droit de reprendre le mode « dédramatiser la situation » après hier soir ? Après tout… ce n’était toujours pas si grave, il ne l’avait pas mangé. D’accord, tout était différent aujourd’hui, un différent auquel elle devrait s’habituer… mais elle n’était pas certaine que ce soit un mauvais différent. Après tout, le whisky semblait même avoir meilleur goût.

« Différente... mais ça va ! Vraiment ! Regarde, je suis en vie »

Stratégie ? S’adapter à celle du psy visiblement. Elle avait du juger la relativisation pas assez importante ceci dit, puisqu’elle avait ajouté quelques secondes plus tard sur un ton plus convaincu

« Et puis, avec ce nouveau tombeau pillé, j’crois qu’on devrait servir du caviar à la cérémonie et prendre le vin le plus cher. »

Ok, c’était peut être trop tôt pour parler d’une mission foireuse en mode victorieux. Mais tenter, c’était brave et assez louable alors n’allons pas la blâmer pour ça. Levant sa tasse comme pour féliciter ce qui était en réalité sa plus belle connerie, elle avait bu de nouvelles gorgées du liquide fumant.

Vouloir assassiner Jon du regard n’était pas une grande surprise. Autant ce type était son meilleur ami, autant il savait être le pire con que la terre avait porté. Mais Marshall pouvait-il réellement lui en vouloir pour son comportement ? C’était sa spécialité, non ? Dédramatiser les situations si tendues qu’elles empêchaient l’homme et sa fiancée de se regarder en face… Ouais, tout compte fait, Jonathan n’était pas si con. En fait, il adoptait pile poil l’attitude qu’il fallait parce qu’il n’était pas là depuis cinq minutes que, déjà, le voleur sentait le poids sur ses épaules devenir un  peu plus léger à défaut de disparaître complètement.
Il avait laissé son ami d’enfance verser le whisky dans le café sans une complainte, sans même un commentaire par rapport à l’heure qu’il était. Quelque part dans le monde, c’était l’heure de boire et, de toute façon, ce ne serait ni lui ni Roxanne qui rechignerait à prendre un petit remontant maintenant. À ce stade, ça ne pouvait que faire du bien.

Et pendant que la femme de sa vie prenait une tasse pour aller se plonger dans un fauteuil, Marshall remettait la cafetière sur le réchaud, en prenant bien son temps pour la simple raison que c’était un geste parmi d’autres pour lui occuper les mains. Puis, il se rabattit sur la dernière tasse laissée sur le plan de travail. Ses yeux se posèrent naturellement sur Roxy dès que Joni lui demanda comment elle se sentait.
C’était la première fois depuis la veille au soir qu’ils se faisaient réellement face et ce voile de distance lui tordit l’estomac. Est-ce que, malgré lui, il avait détruit la plus belle relation de sa vie à jamais ?
Jouant avec sa tasse, faisant tourner le liquide à l’intérieur en le fixant pour fuir ce fichu malaise, s’en fut trop pour Marshall lorsque Roxanne évoqua la tombe de Balthazar. Sans cette fichue chasse au trésor, ils n’en seraient pas là.
Avec un geste brusque d’où il ne retint aucun agacement, ni aucune violence, le loup reposa la tasse sur le comptoir, le café-whisky éclaboussant de son breuvage fumant. Mais la minime brûlure sur sa peau, il la sentit à peine. Ce qu’il sentait, c’était que personne ici sauf lui ne réalisait l’ampleur de tout ce qui arrivait.

« Vous êtes tombés sur la tête ou quoi ? »

Il se pinça l’arête du nez, les sourcils froncés plus que jamais. Il se retenait de frapper dans quelque chose. Le sang bouillant de la bête faisait son effet et, une fois de plus parmi tant d’autres, Marsh devait contrôler la rage animale qui faisait partie de lui depuis une douzaine d’années.
Puis, il releva la tête en direction de Roxanne.

« La nuit que tu viens de passer te suffit pas à comprendre ? »

Bien sûr qu’elle comprenait, mais le voleur refusait de le voir. Il avait besoin de se sentir coupable, parce que c’était tout ce qu’il pouvait faire pour se repentir de ce qu’il lui infligerait dorénavant tous les mois jusqu’à la fin de sa vie.

Arriver à désamorcer la bombe ne pouvait pas être si facile, évidemment. Jon ne pouvait pas juste acheter une bouteille du plus fin whisky pour que Marshall se sente mieux. Son pote n’avait pas beaucoup de morale, comme eux tous d’ailleurs, mais lorsque ça concernait les gens qu’il aimait, le frisé était le type le plus valeureux que Jonathan n’avait jamais connu.
Le regard meurtrier, il l’avait prédit. Et la petite saute d’humeur n’était pas plus surprenante.
Sans même le sursaut d’un muscle, Jon resta calmement appuyé contre l’ilot de la cuisine, la tasse sous le nez à humer le somptueux parfum du café mélangé au whisky. En ce moment, Marsh n’était même pas terrifiant. Lors de ses premiers temps de loup, lorsqu’il avait du mal à contrôler ses  poussées sanguines, là, il pouvait faire peur ! Mais là, son ami était juste dépassé et en colère, principalement contre lui-même. Il n’avait besoin de rien dire pour que Jon le devine tout seul.
Et c’était à Joni que revenait le rôle de lui secouer les puces. Parce que venant de Roxy, ça ne sonnerait que comme une tentative de le faire déculpabiliser, Jon lui, n’était pas si chevaleresque.

« Marsh, ce qui est fait est fait, tu vas devoir arrêter de te lamenter et vivre avec. »

Le faussaire prit une gorgée de café, donnant à cette pause l’effet d’imprégner ses mots dans le crâne du loup. Puis, il posa sa tasse – de façon bien plus délicate que Marshall un instant plutôt – avant de pointer la femme assise dans son fauteuil sans cérémonie.

« Cette fille est en vie pauvre con, qu’est-ce que tu peux demander de plus ? Tu l’as griffée ? Ouais ok. Tu te sens coupables ? Sûr, qui le serait pas, après tout c’est ta faute quoi ! Mais assume, grand, parce que franchement, ça aurait pu être pire. Et là, au moins, qu’est-ce que tu pourrais lui faire de plus hein ? »

Au fil des mots, il avait laissé retomber son bras le long de son corps pour se tourner complètement et uniquement vers son meilleur ami.

« Le danger que tu pouvais représenter pour elle, il est quasi nul maintenant et Marsh… Marshall, » il attendit que le frisé le regarde dans les yeux et posa une main sur son épaule qu’il pressa avec affection, « Roxy peut pas avoir meilleur mentor que toi dans ce qui est en train de lui arriver. »

Avec un soin tout particulier, elle avait évité de croiser le regard de Marshall quand le moment de répondre à la fameuse question qui tue s'était présentée. Situation compliquée ? Elle l'aurait été deux fois plus en la présence de Benjamin ! En fait, celui qui avait l'image du père pour elle aurait passé son temps à démonter le boulot qu'essayait de faire Jon à l'heure actuelle. Oh oui, il aurait enfoncé Marshall. Et Marshall aurait eu le droit à répétitions aux "je t'avais prévenu que ça arriverait" et toutes les petites phrases assassines et bien inutiles dans leur cas. Son fiancé n'avait pas besoin d'être accusé quand il le faisait si bien sans l'aide de personne.
Si elle adorait Ben, elle n'aurait eu aucun mal à le maudire s'il avait été présent dans cette pièce aujourd'hui. Ce combat aurait pourtant lieu... plus tard. Pour le moment, ce qui lui importait c'était de remporter celui qui se déroulait ici. Son seul souhait était que Marshall comprenne qu'il n'était pas plus coupable qu'elle dans l'histoire et que ce n'était finalement pas si dramatique.
... non ? Ils s'en sortiraient bien.
Pour ce qui était du caviar, il était en revanche trop tôt pour aborder le sujet. Ce n'était pas comme si elle ne se doutait pas que cette plaisanterie n'amuserait personne, pas même elle.

Au son de la tasse, ses doigts s'étaient resserrés autour de la sienne. Elle préférait définitivement les momies à ce genre de situation !
Il lui en avait fallu du temps pour oser relever ses yeux vers lui. Ils étaient d'abord restés rivés sur sa tasse fumante quand elle avait secoué la tête pour toute réponse.
Elle n'allait pourtant pas passer sa vie à faire ça. Si elle était trop mal à l'aise pour le regarder, où est-ce qu'ils iraient ? Pas très loin sûrement.
Dans un soupir, elle avait finit par redresser la tête pour laisser un peu de côté l'attitude de la gamine en faute :

« Ce sont toutes les autres qui me suffisent. »

Tous ces autres moments, avec lui. Avoir Marshall, c'était la plus belle chose qui lui était arrivée... oui, même encore aujourd'hui ! Et qu'il ait un Jonathan Fawkes en meilleur ami, c'était la cerise sur le gâteau, tout spécialement dans un moment pareil. Voilà, on pouvait critiquer cet anglais là, mais c'était exactement le genre de moment pour vous faire fermer votre gueule. Il n'y avait pas mieux qu'un Jon dans vos relations ! Et son vote pour le meilleur ami de l'année, il l'avait sans hésitations.
C'était son propre coeur qu'elle entendait cogner si fort contre sa poitrine comme s'il se trouvait tout contre son oreille ? Définitivement quelque chose de nouveau, et d'un peu perturbant. Mais elle avait pas mal d'années de sa vie pour analyser ce qui avait changé, tout ce qu'elle voulait, c'était le faire avec Marshall

« Je t'assure que ça va, vraiment... Jon a raison, ça aurait pu être pire, et être aussi débiles aurait pu nous coûter beaucoup plus, aurait dû même.... »

Normalement, le caviar aurait été mis de côté et c'était un enterrement et non un mariage qu'ils auraient organisé. Alors oui, ils avaient définitivement une bonne étoile au dessus de leurs têtes !

Marshall ferma les yeux un moment sans retenir son soupir de s’exprimer. Forcément, il ne gagnerait jamais sa cause. Certes, il aurait dû se réjouir de constater à quel point cette femme l’aimait, mais il était trop occupé à s’auto dénigrer pour voir le bon côté de tout ça comme y arrivait si facilement sa fiancée et son meilleur ami.
Son meilleur ami qui ne perdit pas une seconde pour être… lui, juste lui. Parce que c’était tout à fait Jon que de se lancer dans un discours cru mais sonnant de vérité. Ironique pour un faussaire, mais Joni ne s’était jamais complaint dans le mensonge avec lui. Ils avaient toujours fait preuve d’une étonnante franchise l’un envers l’autre. Ce pourquoi, en ce triste matin, Jonathan ne mâchait pas ses mots en disant bien que tout était de sa faute, mais qu’il devait passer outre cette culpabilité.  
Il avait raison. Bien sûr qu’il avait raison. Mais ce n’était pas si facile pour Marshall que d’accepter. Et puis, ne pouvait-on pas lui donner un jour ou deux avant de jouer la carte du c’est fait, vit avec ?
Apparemment non. Mais est-ce que ça l’aidait ? Pas vraiment, en fait, ça ne faisait que l’agacer et triturer un nerf déjà à vif. Résultat, il commença par grogner d’exaspération après s’être libéré de la main – pourtant réconfortante – de son ami.

« Mais je devrais faire quoi? Sauter de joie et sortir mes macarons de bienvenue au club? »

Il s’avança vers Roxanne et s’agenouilla devant le fauteuil.

« Je t’ai fait ça, moi. Et tu peux pas me demander de pas m’en vouloir, tu peux pas. »

Cette culpabilité, elle faisait partie du processus. Qu’elle le comprenne et ce serait déjà ça de gagner. Jon avait déjà saisi la nuance. Mais en la regardant ce qu’il comprit, lui,  c’était que devenir un loup ne l’effrayait pas tant que… ça. Cette sensation étrange qu’il y avait quelque chose entre eux qui n’était pas là avant, c’était bien plus ça le problème et Roxanne l’associait à la culpabilité. Elle n’avait pas foncièrement tord, mais il ne fallait pas croire que c’était insurmontable.
Alors, après un silence où il avait laissé ses mains glisser sur son doux visage pour l’encadrer avec amour, il l’avait attirée à lui, front contre front.

« Hey, je vais nulle part, tu le sais ça. »

Ce n’était pas une question, mais une affirmation. Ils en avaient déjà discuté la veille. Pour le meilleur et pour le pire.

« Je reconnais que je suis pas de super compagnie en ce moment, mais je vais nulle part. »

Ce malaise finirait bien par partir. Le temps que la nouveauté se tasse un peu et ils en reviendraient à ce qu’ils étaient.

Tapotant ses doigts contre la tasse au rythme de son coeur sans réellement chercher à se caler dessus, Roxanne avait semble t'il trouvé un moyen musical pour évacuer un peu de stress. Mais quand Marshall s'était rapproché d'elle, le morceau improvisé s'était stoppé avant même d'atteindre son refrain.
Aaaah, la faculté de revenir en arrière, c'était définitivement le don que tous les débiles de ce Monde devaient souhaiter. Si elle avait pu, elle aurait soit décidé de revenir à sa naissance pour greffer un semblant d'intelligence à son cerveau, soit deux nuits en arrière pour reporter la petite sortie. Dans les deux cas, elle épargnait à son fiancé cette culpabilité que, oui il avait raison, elle ne pourrait pas lui retirer. Et ce malgré tous les beaux discours dans toutes les langues qu'elle pouvait connaître de près ou de loin. Mais elle y avait déjà pensé, et c'était quelque chose d'impossible... même dans les tas de livres du genre qu'elle avait pu lire.

« D'accord... mais si j'avais été un peu moins pressée de visiter ce tombeau, tu ne te sentirais pas coupable à l'heure actuelle. »

Qui avait dit un jour que Roxanne Harper était bornée ? A peu près toutes les personnes qui la connaissaient un peu. Et si Marshall l'était tout autant dans la pièce "la faute à qui", on pouvait couper la poire en deux pour leur faire plaisir.
Techniquement, il l'avait mordu. Et donc, techniquement, et techniquement seulement, il avait raison. Il était un peu débile d'insister là dessus.
Posant sa tasse sur le meuble près d'elle tandis que le contact des mains de Marshall avaient eu le mérite de calmer un peu le bruit assourdissant que faisait son coeur du point de vue de sa propre perception, elle l'avait regardé dans les yeux plusieurs secondes avant de les fermer pour savourer cette proximité qu'elle avait eu tant de mal à créer jusque là.

« Je sais.... »

Inspirant et expirant doucement, il lui avait fallut quelques secondes de plus pour qu'un début de sourire ne vienne sur les lèvres de la chasseuse de trésors

« Si tu crois que tu vas échapper au mariage pour ça, tu te trompes. Je trouve déjà que Montgomery me va beaucoup mieux que Harper, c'est trop tard ! »

Oui, à moins de se trouver un autre homme qui s'appelait Montgomery... un homme capable d'arriver à la cheville de son Marshmallow. Hum, attendez une minute, ce n'était pas impossible ? Définitivement impossible !
Jon ne leur en voudrait pas de tenir un peu la chandelle quelques moments, et elle avait enfin cherché à mettre fin à cette situation de malaise entre eux en passant ses bras dans le dos de son fiancé pour se serrer contre lui. C'était pourtant pas si compliqué non ? Après s'être collés pendant tout ce temps !

Tout n’était pas perdu. Pendant que Jonathan prenait tranquillement une gorgée de son café, Marshall et Roxanne osaient enfin se regarder dans les yeux. Un bon début, voir même un excellent ! Mais le faussaire n’était pas dupe, il savait bien comment tout ça se terminerait. Bien vite, il n’exista même plus aux yeux de ses amis qui n’avaient plus d’attention que pour l’un et l’autre.
Ingrats ? Peut-être un peu, mais Jon le dira surtout pour la forme parce qu’il n’y avait rien de plus valorisant pour ces heures d’avion que de voir son couple préféré sur le chemin de la réconciliation. Il avait raté sa vocation, il aurait dû faire médiateur de couple !
… Ou pas. Parce que le seul couple qui ne le blasait pas profondément avec ses problèmes, c’était celui qu’il avait devant les yeux en ce moment.

Encore une gorgée de café et Joni était de plus en plus effacé de la scène qui se déroulait devant lui. Ils en étaient rendus aux câlins et… oui voilà, Marshall venait de l’embrasser. Jon ferma les yeux, un sourire mi-niait mi-satisfait sur les lèvres pendant qu’il y ramenait sa tasse pour une énième gorgée. Eh bien voilà, il lui suffisait de dix minutes et boom !
Tout ça pour ça ? Jon avait trop bossé sur ce mariage, déjà, pour pleurer sur un trajet de huit heures d’avion versus dix minutes. Puis, maintenant qu’il était là, il resterait un bout de temps avec les copains !
… Mais pas là oz le baiser se prolongeait et où les mains baladeuses se multipliaient. Jonathan ouvrit la bouche dans l’idée de rappeler sa présence, réfléchit un instant, puis la referma sans un mot. Tandis que la fièvre montait chez le couple – typique de ces deux-là, le faussaire n’était même pas surpris – Jon prit une dernière gorgée de café avant de déposer la tasse et s’en aller tranquillement vers la sortie.

« J’ai la dalle, je vais bouffer. Je reviendrai dans trois ou quatre heures. »

Ils ne l’écoutaient pas ? Typique aussi, mais il ne fallait pas s’inquiéter, ni même s’en formaliser, Joni avait l’habitude.

« Je vous aime ! »

Un dernier regard pour constater qu’un peu trop de peau commençait déjà à être à découvert et le bonhomme sortit de la chambre en prenant bien soin de mettre le petit panneau ne pas déranger sur la poignée.
Il ajusta le col de sa chemise, un large sourire sur les lèvres, pendant qu’il se dirigeait vers l’ascenseur.

« Joni, t’es le meilleur. »